Les Lucioles Automnales - Guild Wars 2
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Chroniques Claires-Obscures

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Message par Elentar Lun 20 Oct 2014 - 21:27

Chroniques Claires-Obscures


Partie I :
Le Dragon et le Phénix


Chapitre Premier :
La Faucheuse d'Ombres




Journal de Fenrir Mordrelune
Ingénieur Charr de la Légion de Fer

1325 après l'Exode
Saison du Colosse
Juste après Now Hell
et « Supernova »


Enfin revenu de cette étrange province...
J'ai fait le festin de toute une vie dans ces contrées luxuriantes ! Mais ces espèces d'ours noirs et blancs m'ont lassé, tant par leur style de combat que par leur goût. Ce pays, cet Azeroth, avait l'air d'un vieux fromage périmé. Heureusement, j'ai pu revenir en Tyrie après que le Furby ait été tué par un troll de l'espace et son pote Lanfeust. Enfin c'est ce que j'ai compris en lisant ce journal qu'ils m'ont prêté et que j'ai oublié de leur rendre, tant il était perdu dans mon barda.
Du coup j'ai décidé de raconter la suite de mes aventures sur ses vieilles pages, parce que quand même... c'est classe d'avoir comme excuse « attends j'finis ma page ! » pour ne pas se ruer au combat.

Avec Elentar, on avait été séparés, mais on s'est facilement retrouvés à notre retour. Comment ? Je vous dirai simplement que le norn est d'une bien agréable compagnie, mais qu'il a un gros défaut : là où il est passé son gros bide, tous les tonneaux sont vides !
En parlant de tonneaux, c'est le soir en Tyrie, et nous voilà en train de tailler le bout de gras à la Taverne de la Jeune Fille, au Promontoire Divin. Ici, rien n'a l'air d'avoir vraiment changé : tout le monde continue de se mettre sur le coin de la trogne, pendant que le vieux Ver zombie continue de décharner l'univers. Enfin d'après certaines rumeurs des Soupirs, les défenses de Zhaïtan seraient au plus bas. Les Ordres auraient même l'intention de lancer une offensive très prochainement ! Je me demande s'il y a moyen de refourguer des balistes de chez Castrorama pour la lutte contre un Dragon Ancestral.

C'est donc là, assis à une vieille table en bois, que nous partageons nos avis divergents sur les combats et les stratégies. De toute façon, pas moyen de faire entrer dans le crâne de cette mule d'Elentar que la vie vaut la peine de se montrer pleutre et retors. Il a la chance d'avoir suffisamment de courage et de vitalité pour survivre aux folies que lui impose son code de l'honneur. Quant à moi ? Balancer un paquet de grenades pour me replier derrière mon bouclier en allumant un ennemi - à demi-carbonisé - de loin me va très bien ! J'aime transformer mes ennemis en steaks saignants, mais une fois la situation et les risques clairement évalués.

Tout ça me rappelle que je ne me suis pas présenté. Faisons bref : je suis un charr de la Légion de Fer, consultant pour Castrorama et pionnier de l'industrie apéro-spatiale.
Quant au gros-plein-de-bière dont je parlais, c'est un gardien norn bourrin du Clan du Loup. Un ancien de la Harde qui se prend pour un explorateur et un héros.

Dans un coin, Morwintil nous regarde, mi-envieux mi-dédaigneux. Il faut dire que le lieu est presque un QG pour les Lucioles Automnales. On peut souvent trouver quelques-uns d'entre nous ici, en train de boire ou de refaire le monde. Ou les deux. Pour en revenir au charr, je n'ai jamais vraiment compris cet élémentaliste introverti. Pourtant, il vient de la Citadelle Noire tout comme moi. Son pelage blanc tacheté, sa grosse tête surmontée de monstrueuses cornes et ses yeux globuleux et affamés peuvent faire peur aux gosses. Mais derrière ses incisives de trente centimètres se cache peut-être un bon gaillard. Enfin... Comment le savoir, vu qu'il ne se confie pas, laissant tout le monde le prendre pour un pyromane sanguinaire ? Il profite simplement de la taverne pour se perdre dans ses pensées, fixant une flammèche qui crépite entre ses griffes, telle un feu follet apprivoisé.
Gladium depuis un malheureux incident resté aussi secret que les Brumes, c'est un paria que tout le monde cherche à abattre. Aussi bien chez ses ennemis héréditaires que parmi ceux de son propre peuple. Chacune de ses phrases laisse planer le mystère entre la folie et l'ironie, et il est le plus imprévisible des combattants, comme ennemi mais aussi comme allié.

Soudain, le sauvage des Cimefroides empoigne son espadon en gueulant. Tout ça parce que quelqu'un vient d'ouvrir la porte et que le courant d'air a soufflé toute la mousse de sa pinte. La cerise sur le gâteau : c'est la faute de deux asurettes. Ma paume cogne mon front cornu dans un élan de dépit.

Grognant comme un animal, le gros-plein-de-bière s'avance vers les arrivantes.

« Eh ! Elentar, Fenrir, Morwintil, salut les gars », nous lance Thauffee. L'élémentaliste et
moi répondons d'un grognement, alors que le gros-plein-de-bière semble tergiverser sur le
bien-fondé d'une charge frontale. Ce qui est étonnant.

C'est une asura blonde caparaçonnée dans une armure impressionnante. Fluette mais solide comme un roc, elle peut venir à bout d'une armée sans golem de combat. Pour autant, malgré ses compétences martiales de gardienne, elle se refuse à tuer tout être libre et intelligent - fût-il le mal incarné. Armée d'un marteau fait d'un métal aussi dur qu'elle est douce, sa technique favorite consiste à concasser le crâne de ses adversaire juste assez fort pour les assommer.
Elle est accompagnée d'une petite noiraude qui garde le silence. Celle-ci n'a rien de l'allure grandiose de la gardienne : petite même pour une asura, sa peau est marquée de multiples stigmates. Sa physionomie est loin de tout standard, et ses cheveux rouges comme le sang contrastent avec son visage comme une Lune écarlate dans un ciel nocturne. Ses yeux blancs semblent aveugles mais remplis d'une haine farouche. Dans sa main, une faux escamotable attire mon œil d'expert. Le travail du métal, fait pour guider l'énergie magique, est d'une remarquable précision.

Si Elentar semble quelque peu s'apaiser en reconnaissant Thauffee, il est carrément hésitant face à la nécromancienne qui l'accompagne. Voir le géant incertain face à un être qui lui arrive – presque  –  littéralement à la cheville est fort amusant !

« Salutations, Thauffee. Nala. Laissez-moi vous offrir une pinte ou deux, propose le héros.

- Non merci, tas-de-bière, répond l'asurette sombre. Mais j'ai besoin de toi pour autre chose.

- Ah... Pour quoi donc ? Demande le héros en se dandinant de manière comique.

- Une mission de la plus haute importance : tu vas avoir l'honneur d'être l'un des Pourfendeurs du
premier des Dragons Ancestraux, explique-t-elle.

- Mettre une dérouillée à Zhaïtan ! Avec grand plaisir, mais ce sera difficile... Il nous faut une
équipe ! Précise le gardien.

- Eh bien ! Nous sommes bien assez, non ? Toi qui connais Orr, tu sauras nous protéger et
nous guider. Morwintil sera notre force de frappe, et Thauffee notre soutien et ma seconde.
L'ingénieur protégera nos arrières et brûlera tous les cadavres qui nous feront face. Quant à
moi, je serai votre leader, et j'opposerai ma volonté et mon pouvoir à ceux du Ver.

- Attends... Nala, c'est ça ? Tu n'as pas l'intention de m'embarquer là-dedans, n'est-ce pas ?
Demandé-je, soupçonneux. Elentar est peut-être assez fou pour être capable de tenter
l'impossible, mais je garde les pieds sur terre ! Et je suis sûr que Thauffee et Morwintil sont
d'accord avec moi.

- Je suis avec Nala, répond simplement Thauffee, ce qui m'effare.

- Ça dépend de tes buts, et de ce que tu proposes de plus qu'un insignifiant honneur, pois
chiche, grince quant à lui l'élémentaliste poilu.

- Quand nous en viendrons à bout, je ferai mienne la magie du Dragon. Mon but : protéger
Thauffee et notre amour. Quant à toi ? Je te propose ce que tu cherches sans l'avouer depuis
longtemps : des alliés, répondit-elle à mon collègue charr en le détaillant de pied en cap.

- Très bien, ainsi Thauffee t'a parlé de nous, constaté-je en souriant. Mais tu ne nous auras
pas aussi facilement.

- Je marche, déclame le charr albinos.

- QUOI ?! Ne puis-je m'empêcher de lâcher. Mais vous vous rendez compte ? Allô ! Zhaïtan, le
Dragon Ancestral à la puissance d'un Dieu ! La bestiole qui a plongé une bonne partie de la Tyrie
dans la mort et l'effroi, le monstre qui fait s'unir les peuples par peur de l'extermination !

- Oui, c'est bien lui, affirme la nécromancienne. Considère ça comme l’œuvre de ton
existence, le chat. Ou tu préfères terminer ta vie bien entamée à fuir, boire et te plaindre ?
Je vois que tu as pris la plume, rajoute-t-elle en désignant le livre posé sur la table. Pourquoi,
sinon pour transmettre tes expériences ? Écris ton histoire dans ce monde avec la vigueur de
ton sang, avant de l'inscrire entre ces pages ! Plutôt que de tourner en rond dans un univers
fait de bribes de pensées.

- Et comment écrire si je suis mort ? Si je ne suis plus qu'un immonde tas de chair contrôlé
par la volonté d'une créature abjecte ?

- Je ne laisserai pas Zhaïtan faire main basse sur ta chair. Et puis après tout, tu as bien
survécu à plusieurs aventures avec Elentar.

- Ce n'était pas de bonté de cœur !

- Peu importe, si tu ne fais rien de ta vie, autant mourir dès maintenant. Tu oses te proclamer
aventurier, mais tu n'es qu'un incapable pleutre, une larve impotente. Réagis ! Utilise tes
compétences pour atteindre un but supérieur ! N'as-tu donc aucun rêve ?! »

Tête baissée vers la petite créature qui ose me tenir tête, je suis sidéré : comment peut-elle être à la fois si acerbe et perspicace ? Comment peut-elle avoir percé à jour mes doutes et mes espoirs sans même me connaître ? Nala contrôle bien plus que la simple chair. Les voies de l'esprit ne lui sont pas inconnues.
D'un signe de la tête, je laisse comprendre que je me suis laissé convaincre. Et je repense à la Lune. À l'astre dont la simple vue m'enchante depuis toujours.

« Bien sûr que si, étron lilliputien ! Rugis-je en me reprenant. Et j'ai réalisé le plus grand d'entre
eux : aller sur la Lune ! Maintenant... je veux visiter les confins de l'espace.

- Et c'est là que je pourrai t'aider, sac à puce, grâce à l'Alchimie Éternelle ! Mais il me faut
pour cela la puissance du Dragon...

- L'Alchimie Éternelle, hein ? Me moqué-je. Cette théorie fumeuse sur laquelle un tiers des
souriceaux de votre peuple passe sa vie à travailler ?

- Exactement, l'ahuri ! Sauf que grâce à nous, elle passera du monde des idées à la réalité.
Nous aurons le savoir et le pouvoir des dieux, me rétorque la nécromancienne avec un sourire.

- Qui a dit que les asuras avaient de petites chevilles, déjà ? Lance Elentar en riant.

- Ça me plairait bien à moi, d'être un dieu, rêvasse tout haut Morwintil.

- Nala, peut-être que tout cela va trop loin... tente de la refréner Thauffee.

- Laisse-moi faire, mon Amour », lui répond sèchement la noiraude.

D'un coup, le déclic se fait dans mon esprit. Je les regarde toutes deux d'un autre œil, tandis que la gardienne rougit sous le regard à la fois tendre et inflexible de sa compagne.
Mes pensées s'enchaînent à toute vitesse. Cette proposition pourrait être ma plus grande réussite ou ma plus grande ruine. En quelques instants, tout cela m'apparaît au final assez clair : il fallait que je participe à cette expédition, mais en minimisant les risques d'y laisser ma peau. Quitte à les utiliser comme boucliers vivants.

« Ok. Je marche, conclus-je. Mais à une condition : personne ne m'envoie en première ligne.
Traitez-moi de poltron si vous le désirez, mais je tiens à ma vieille carne.

- Parfait ! Se réjouit face à moi Nala.

- Tataaaa Yoyooooooooo ! Nous repartons à l'aventure ! Braille Elentar en fracassant sa
chope vide sur la table.


Dernière édition par Elentar le Mer 21 Jan 2015 - 23:24, édité 5 fois
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Message par Elentar Sam 27 Déc 2014 - 23:18

Chapitre Deuxième :
Funeste Épopée


Chroniques mentales d’Elentar :

Nous voilà enfin sur la route ! Allons dézinguer du Dragon ancestral, faire de ce ver un saucisson en tranches, une bouillie de hachis, une soupe pourrissante ! J’ai hâte que Zhaïtan soit vaincu, afin qu’enfin tout le monde se tourne vers Jormag. Que cet ennemi que je veux à tout prix voir sans vie gise à mes pieds, mon épée fichée à travers sa chair gelée.



L’Arche du Lion s'étend tout autour de nous. Notre petite compagnie se dresse devant le large portail asura flambant neuf qui mène au Fort Trinité, la base du Pacte, supervisée par les trois Ordres de Tyrie : Veilleurs, Prieuré de Durmand et Soupirs.
Au moment de traverser l’onde violette, chacun arbore une expression bien à lui. Elentar et Morwintil ont l’air impatients d’en découdre, vu le sourire farouche qui anime leur visage. Nala affiche toujours cet air impénétrable, un masque effroyable qui ne laisse rien paraître de ses pensées. Thauffee est la seule à avoir l’air anxieuse. Elle se tord les mains et se dandine tout près de sa douce dans l’espoir de trouver dans cette proximité un quelconque réconfort.
Quant à moi ? Je lâche un soupir entre dépit et espoir inavoué, tout en m’avançant sous l’arche de la porte spatiale. Ce système m’a toujours hérissé les poils : c’est contre-nature de se téléporter, mais il faut avouer que c’est aussi bien pratique. Toujours est-il que le voyage me laisse un arrière-goût de bile dans la gorge. Déglutissant en essayant de me donner l’air féroce, je m’avance derrière ma troupe. Tous les quatre ont les yeux levés vers les immenses remparts qui séparent nos forces des morts-vivants. Une lumière irréelle se réfléchit sur leurs armures, teintant le métal d’un vert maladif. Le ciel lui-même a l’air de pourrir au-dessus de nos têtes.

Devant nous s’avance un sylvari charismatique. Enfin… à ce qu’il paraît. Si ça ne tenait qu’à moi, ce Trahearn n’aurait pas été élu Maréchal des armées : il serait plutôt surnommé « le planté ». C’est qu’entre sa trogne de chou-fleur et ses idées sorties d’un délire narcotique, on se demande comment il a pu survivre aussi longtemps. Rytlock aurait bien mieux fait l’affaire. Lui, c’est un vrai chef de guerre ! Mais bon, mieux vaut éviter de froisser les gradés, si l’on veut obtenir ce que l’on veut. Une fois notre mission terminée, on pourra toujours tenter de repiquer le satané sylvari dans des bouses de dragon pour voir si la corruption de la Bête est plus forte que celle des opiacés.
Du coup, j’étais tellement occupé à le traîner dans la boue en pensées que je n’ai rien écouté. Bah… sûrement du blabla sans intérêt. De toute façon, ce n’est pas mon boulot d’ouvrir le chemin.


Chroniques mentales de Thauffee :

C'est horriblement moche ici. Et tout le monde n'arrête pas de parler de batailles et de morts... je déteste ça ! Si j'ai pris les armes, c'est pour avoir la force d'empêcher les gens de se battre, de s’entre-tuer... et voilà que je me retrouve moi-même prise dans l'irrésistible maelström de la guerre. Tout ça pour Nala. Je me demande si cela en vaut la peine, mais l'amour est plus fort que ma raison. Toutes mes pensées se bousculent sous mon crâne. Trahearn et Elentar sont en train de parler de reprendre un vieux temple humain, et Nala s'y met aussi... Ils sont prêts à envoyer à la mort soixante êtres en pleine force de l'âge pour pouvoir se targuer d'avoir repris quelques cailloux à des morts-vivants. Je ne le supporte plus.
QUOI ?!! Ils veulent qu'on les accompagne ?! Je dois avoir l'air sidérée, mais personne ne me regarde. Nala je t'en prie, fais quelque chose contre cette folie !

Elle me regarde un instant, me fait un clin d’œil, puis parle pour nous cinq en assurant que chacun fera son travail. Elle vient de me trahir... la colère déborde. Je l'attrape par la manche et la tire vers une tente vide. Il faut qu'elle m'entende. Les autres nous regardent sans comprendre, abasourdis.
Une fois à l'abri des regards indiscrets, je commence à laisser exploser ma colère, mais elle me coupe pour me dire « tu veux chasser les ombres en moi, mais je SUIS une ombre », de ce ton n'admettant aucune réplique.
Je la gifle. C'est la première fois que je frappe quelqu'un que j'aime. Mon corps tout entier tremble. Les mots coulent comme mes larmes sur mon visage : je ne saurais pas me répéter, je sais juste que toutes mes pensées sont en train de sortir et que je crie. Elle me regarde de son air glacial, sans même paraître surprise. Rien de mieux pour m'énerver plus encore. Je crie si fort que ma voix se brise dans un sanglot.

Je ferme les yeux un instant, comme pour échapper à cette ignoble réalité. Une douce chaleur m'enveloppe alors. Mes yeux se rouvre sous le coup de la surprise. Nala s'est approchée et m'a pris dans ses bras, tout en douceur. De son corps émane son exaltation, comme une fragrance envoûtante, qui se communique à moi. Je me sens comme un récipient vide qu'elle remplirait de tendresse. Je sens mon cœur qui cogne fort dans ma poitrine, et vite. Je me laisse aller à elle, tandis qu'elle m'embrasse doucement. Ses mains trouvent la place de se faufiler sous les pièces de mon armure, pour caresser ma peau. Je pose une main sur son cœur pour le sentir battre en harmonie avec le mien. De l'autre je lui effleure les cheveux. Quand mes lèvres frôlent son cou, elle gémit doucement. Mes longues oreilles se mêlent avec les siennes comme animées d’une vie propre. Elle a l’air aussi sensible que moi à cet endroit-là. Une ardeur toute nouvelle prend possession de moi. À son tour elle met sa main sur ma poitrine, comme pour me montrer que je lui appartiens. Puis je délaisse sa chevelure rousse pour sentir nos doigts s'entremêler. Elle me sert plus fort contre elle, et nous nous unissons dans un langoureux baiser. Il semble durer le temps d'une si courte éternité... Soulevant mes paupières, je vois ses pupilles dilatées assombrir ses grands yeux, illuminés d'étoiles scintillantes. Elles se reflètent dans l'océan de mes émotions. J'ai l'impression de léviter, d'être légère, que la seule force d'attraction qui s’exerce sur moi provient de Nala. Puis j'entends le bruissement du tissu qui s'étale sur le sol. Elle vient de retirer la chaîne qui tient sa robe en place, et plus rien ne la couvre. Puis elle s'en sert pour m'attirer plus près encore, avant de me retirer mon armure. J'ai l'impression d'être en feu, chaque parcelle de mon corps léchée par des flammes qui me consument de bien-être. Voilà que l'on s'étreint... nues. Ses caresses me transportent, et mes baisers la font frémir, gémir... Tout cela va trop vite, et pourtant je souhaiterais que jamais ce moment ne se termine. Nous n’avons pas le temps d’attendre. La mort nous attend dehors, mais elle est bien loin de mes pensées. Je ne suis qu’amour et désir. Et Nala n’a pas l’air prête à s’arrêter...



Nous voilà prêts pour la première étape de notre voyage en Orr : reprendre le temple de Lyssa. Cela nous permettra d'être escortés jusqu'à ce qui deviendra un nouvel avant-poste du Pacte. Bien sûr, comme toujours avec les idées de Trahearn, cette mission sent le pâté. Un détachement de soixante aventuriers ne saurait passer inaperçu, et les combats vont sûrement s'enchaîner... Heureusement, je fais partie de la deuxième ligne. Il y aura vingt-cinq bourrins en armure lourde entre moi et la corruption. Au milieu de quinze autres spécialistes de tous poils, prêts à dézinguer tout ce qui bouge, je fais partie de l'escouade d'attaque à distance. Dernière nous se tiendra le cercle des mages, qui feront pleuvoir toutes sortes de cataclysmes et malédictions sur nos ennemis. J'espère qu'ils savent aussi prodiguer des soins.
Ah ! Voilà Nala et Thauffee... apparemment, l'explication qu'elles ont eu en privé a su les revigorer. Mon large sourire laisse apparaître mes crocs. Il paraît que ça me donne un air menaçant.

Pour l'instant, tout baigne. Les trébuchets ont su tenir à distance les morts-vivants qui encerclent en permanence le Fort Trinité. Il faut dire que c'est du matos de qualité supérieure : ils se sont fournis chez Castrorama. Notre sortie effectuée, nous voilà sur le chemin du temple de Lyssa.
En première ligne, un certain Ramor le Terrible guide tout ce beau monde. Enfin un commandant digne de ce nom, et un Charr qui plus est ! Elentar le seconde pour relayer les ordres, mais de toute façon chacun sait ce qu'il a à faire. Le Fort est maintenant hors de vue, et les hordes de zombies se retournent sur notre passage et nous poursuivent, nous encerclent. Nous continuons à marche forcée tandis que des boucliers magiques nous protègent : l'objectif est d'atteindre un défilé facile à défendre. En quelques instants, chacun est à sa place. Les morts-vivants, ralentis par la décomposition, arrivent tout juste sur nous. Ils sont accueillis par une volée de flèches et de boules de feu qui les fauchent comme les blés. Je lance trois grenades au milieu histoire de participer. De toute façon, j'ai fait le plein avant de partir, et je ne serai pas à court à moins de me faire sauter. Dès que les monstres se rapprochent suffisamment, les guerriers et les gardiens les découpent en tranche. Au signal du Terrible, ils rompent le combat pour reculer de quelques pas, juste derrière une rangée d'ingénieurs. Lance-flamme au poing, chacun d'eux fait rugir le feu des enfers sur nos ennemis. L'incendie se propage dans la horde, et les ennemis encore debout se comptent sur les doigts d'une main. Les rôdeurs laissent leurs familiers achever les ennemis, tandis que les nécromants utilisent l'énergie de tant de morts pour prendre le contrôle des chairs mortes et les transformer en serviteurs. Ceux-ci ont toutes sortes de formes plus infâmes les unes que les autres... Mais bon, tant qu'ils sont de notre côté, je ne vais pas râler. D'autant plus que nous n'avons subi aucune perte. La stratégie, ça a du bon parfois !

Le reste du chemin se déroula de la même manière : trouver un terrain favorable, allumer les hordes  qui nous attaquaient et continuer notre chemin sans traîner. Au fur et à mesure, les nécromants avaient rassemblé une troupe respectable de serviteurs, qui jouaient le rôle d'éclaireurs. Mais le Terrible fit sa première erreur : tentant de trouver une cuvette facilement défendable, il mena tous les esclaves de chair dans une chute insondable. Je suppose que les railleries sur ce mauvais moment vont le suivre encore longtemps...

Finalement, il nous a fallu une bonne demi-journée pour arriver au temple. On ne peut d'ailleurs pas le rater : des ruines à l’air libre encore empruntes de gigantisme, sur une hauteur qui se perd dans le ciel verdâtre d'Orr... Mais le plus dur est devant nous : l'ascension. Et voilà qu'après quelques centaines de mètres de défilé, un guerrier humain tombe dans le vide tandis qu'un monceau de débris l’entraîne sur les rochers en contrebas. Je crois voir des morts-vivants là-haut... seraient-ils assez intelligents pour avoir préparé une embuscade ? Dans le doute, je prépare mes bottes-fusées et saute de corniche en corniche. Me voilà arrivé devant ces roches émiettées, ces statues délabrées et ces piliers morcelés. De l'immense opulence qui devait régner ici, il ne reste plus grand chose. Seule un autel couvert subsiste au centre de l'édifice effondré, entouré de trois larges allées ruinées qui mènent à des autels plus petits et en piteux état. Tout a été ravagé par le temps, l'érosion et la corruption, jusqu'à être réduit en poussière.

Notre but maintenant ? Défaire ce temple maudit de l'avilissement de Zhaïtan ! Et puis d'abord... quelle idée bête et humaine, d'avoir des Dieux. Voilà comment ça devait finir.
Bref, je n'ai pas tout compris à leurs histoires de purification, mais apparemment il va falloir mettre en pièces l'ancienne prêtresse de Lyssa, possédée par le Dragon et son énergie maléfique. Pendant que quelques mages s'occupent de l'invoquer devant l'autel central, nous autres devons nous occuper des morts-vivants qui squattent depuis trop longtemps ces lieux. Et comme si ça ne suffisait pas ils nous demandent d'installer des machines asuras au plus près de chaque autel mineur. Ils sont tous cinglés... Et pour une fois, Elentar m'approuve !

Plus le temps de tergiverser, ces satanés fils de pestiférés purulents savent encore manier des catapultes, et ils ne s'en privent pas. Esquivant de peu un projectile empoisonné en courant puis en roulant sur le sol, je me place derrière la boîte de conserve et le suit comme son ombre. Mais d'un peu plus loin : son espadon a une portée invraisemblable. Et voilà que nous nous retrouvons entre Lucioles devant un autel duquel semble émaner d'obscures volutes menaçantes. Tous les autres sont partis vers les deux autres points, évitant celui qui inspire le plus l'effroi. Il n'y a qu'Elentar pour nous guider vers le plus grand danger sans hésiter.
Pas le temps de souffler : à peine entrés dans le cercle entourant le piédestal, celui-ci se met à briller d'une lueur glauque. Nala se mord les lèvres : elle a l'air de sentir de la nécromancie dans l'air.
D'un coup, elle se met à gémir de douleur : son sang traverse ses pores pour couler dans l'air vers l'autel menaçant. Je me recroqueville en lâchant un cri de douleur quand le même sort me touche, comme tout le monde d'ailleurs, sauf Elentar. Lui ne lâche qu'un grognement sous sa lourde armure, s'avançant pour fendre la pierre en deux d'un grand coup. L'attaque interrompt le drain de sang, mais de grands yeux jaunes nous fixent un instant avant qu'une ombre ne s'étende au-dessus de la tombe, prenant forme et consistance devant nous. Elle a l’air d’une énorme tête hérissée de pointes, flottant dans l’éther. De chaque côté lévitent deux sortes de mains griffues.

Notre gardien norn raffermit sa garde, l’air féroce et prêt à en découdre comme à son habitude.
En tant que vétéran de nombreuses batailles, c’est lui qui donne les ordres de bataille :

« On croirait voir un être venu des Brumes, où aucune lumière ne parvient. Il ressemble sacrément au Béhémoth des Ombres.
Nala, tu peux peut-être faire quelque chose contre lui avec tes pouvoirs ?
Fenrir, tiens-le à distance. Morwintil, guette une quelconque invocation, dans le genre portails de ténèbres, et envoies-y assez de flammes pour faire rôtir les Titans.
Thauffee et moi, nous vous couvrons.

- A tes ordres ! »  lançons-nous dans un bel ensemble en dégainant nos armes.

Le chuintement du métal se joint au son insupportable du frottement que provoque le glissement du spectre dans notre monde.
Il s’est maintenant extrait complètement de l’autel, et s’apprête apparemment à nous dévorer sans états d’âme. Je suis censé tenir ce truc à distance ? Bon... Comme disait mon vieux, tant que t’as pas essayé tu peux pas savoir si ça va te tuer.
Je plonge une main dans mon sac dorsal et en ressors un outil au canon allongé et cuivré et au manche recouvert de bois isolant.

« Voyons si l’on peut rôtir les ténèbres... » m’entends-je dire en appuyant sur la gâchette.

Une langue de flamme crève l’air devant moi, le réchauffant assez fort pour roussir mes moustaches malgré la distance. Le spectre est maintenant invisible, sûrement à l’état de cendres ectoplasmiques au milieu de la boule de feu. Au bout de quelques secondes, je relâche la pression de mon doigt sur l’actionneur de mon lance-flamme : pas besoin d’utiliser tout mon carburant pour un seul ennemi. Fait étonnant : le feu ne s’étiole pas. Je tourne la tête vers Morwintil, m’attendant à ce qu’il soit en train d’invoquer son pouvoir, mais il me renvoie mon regard ahuri.

Puis un crépitement attire mon attention. Nous sommes soudain encerclés par des portails faits de feu et de ténèbres. Des spectres sortent de toutes parts, auréolés par les flammes comme s’ils s’en nourrissaient. Puis leur vitesse augmente : ils ont l’intention de nous charger, mais sont repoussés dans les abysses par une vague irrésistible qui jaillit autour de nous.
Morwintil est cette fois bien entré en action, occupé à noyer ces démons. Une fois l’eau traversant les portails, il y mêle un courant électrique qui frappe tous ces êtres impies.
Mais cela n’a pas l’air de faire effet : à peine le sort passé, ils sont de retour sans dommages apparents : au moins ne sont-ils plus enflammés.

C’est au tour de Thauffee et d’Elentar d’intervenir : un grand dôme bleuté nous entoure, invoqué par l’asurette, tandis que le géant tente de trancher les spectres sans autre résultats que d’attirer leur colère vers lui. L’acier de Deldrimor leur passe à travers, mais eux parviennent à faire crisser leurs griffes sur l’armure lourde du norn.

Il se fend d'une roulade qui l’amène derrière ses ennemis regroupés. Je remarque alors que Nala n’est plus parmi nous. Prenant l’ennemi à revers, elle agrippe les spectres à mi-distance avec ce qui ressemble à de solides cordes fantomatiques. Puis elle les tire à elle en semblant arracher la substance des ténèbres qui les composent. Les spectres semblent pousser un terrible cri, mais celui-ci n’atteint pas notre monde. S’étiolant progressivement, ils implosent en laissant des taches sombres sur mes rétines et en envoyant Elentar et Nala s’écraser sur le sol, apparemment sans plus de dommages que quelques contusions.


Nous n’avons pas le temps de nous féliciter qu’une explosion retentit, son souffle ébouriffant ma crinière. D’habitude, j’aime cette sensation, mais cette fois elle indique qu’un groupe allié a sauté avec sa machine asura. Nous posons la notre sur l’autel brisé, espérant que cela suffira. La troisième équipe est déjà venue à bout des pièges qui l’attendait. Enfin, s’ils ont eu le droit à un comité d’accueil. Je n’ai pas vraiment pris le temps de regarder ailleurs.

De larges rais de lumière semblent s’agréger autour des machines pour être focalisés vers un prisme tenu par un mage au centre du temple.
L’énergie se condense dans le sol, le faisant trembler sous l’impact de la magie qui s’y infuse.
Nous accourons vers le lieu de l’invocation, impatients et curieux. De très vilains défauts quand il s’agit de rester en vie dans le pays des morts.

Les incantations ont l’air de toucher à leur fin : les mages manquent de souffle et ralentissent la cadence de leurs gestes rituels. Un grand chœur final tient la note sur un mot aux consonances gutturales, qui force la terre et la roche à s’ouvrir.
Sous nos pieds se tient l’incarnation de la corruption de ce temple, en train de se relever avec la vigueur d’un guerrier malgré un corps en charpie. Ce sont les restes d’une femme de grande taille, ancienne prêtresse de la déesse de la beauté et des illusions, Lyssa. Me faut-il préciser que son ambassadrice ne la représente plus très bien ?

Nos sorciers sont prêts à la purifier, protégés par plusieurs barrières magiques entre eux et la chair pourrissante.
Soudain une note résonne dans l’air, pure et cristalline. Je mets quelques instants à comprendre qu’il s’agit de mots, prononcés d’une voix plus douce que le velours et de ce ton qui caractérise ceux qui ont l’habitude d’être obéis. Elle prononce ces mots en balayant l'assemblée du regard, avant de le fixer sur le soldat le plus proche comme on épinglerait une mouche sur un mur :

« Humains, Charrs et autres bipèdes supposément intelligents... Vous êtes plus misérables encore que dans mes souvenirs ! Toi par exemple, infecte larve, tu as trahi ta propre mère, l’abandonnant à son sort. Lorsque les centaures sont arrivés, tu l’as laissée mourir ! Comme une punaise puante, tu as couru te cacher dans une armoire le souffle court et le cœur battant la chamade, n’osant même pas regarder le résultat de ta lâcheté... Et pour quoi ? Pour devenir un soldat ? Laisse-moi rire ! Tu es trop pleutre pour seulement dégainer ton épée face à moi. Je le sais car je peux lire dans vos esprits, dans vos cœurs... »

Le guerrier humain victime de cet assaut verbal n’est en effet pas en état de combattre : il est recroquevillé sur le sol, les mains sur la tête et le visage figé sur un cri d’horreur muet, comme si des milliers d’aiguilles de pouvoir transperçaient son âme.

« Déjà brisé ... ? reprend la prêtresse corrompue. Voyons qui aura l’audace de me résister davantage que ce rebut dégoûtant ! »

La plupart ont l’air stupéfaits, figés sur place par la sorcellerie qui émane de la marionnette de Zhaïtan. Elle cherche à nous envoûter par la force de son esprit, tenant ses proies par leurs peurs les plus profondes.
Heureusement, ses yeux morts ne se sont pas posés sur moi. Sinon, je pense que je pourrais pas écrire ces lignes, ni même être capable de me souvenir ce mauvais moment. Il faut dire qu’elle a trouvé bien plus intéressant :

« Ahahah ! ricane-t-elle, triomphante. En voilà une créature torturée... Nala Deathstar, la Supernovae, ou plutôt le jouet de Kudu et de la curiosité malsaine d’une race naine et abjecte. Tu veux paraître forte et invincible, car ton amour te pousse à vivre et à protéger ta vie et celle de ta dulcinée. Mais l’amour n’est pas infini ! Il ne suffira pas... Ta haine et ta soif de sang vous sépareront plus sûrement même que la mort. »

Le visage de Nala blanchit, ses yeux écarquillés fixaient l’apparition.

« Laisse-la ! Crie Thauffee sans hésiter, se dressant entre elles deux.

- Oooh, mais voilà une petite rebelle ! Tu te crois solide comme un roc, suffisamment pour que ta douce puisse se raccrocher à ton intégrité? Mais regarde-toi ! Même tes principes ne tiennent pas debout ! Croies-tu vraiment qu'il est possible d'arriver à ses fins dans ce monde sans apporter mort et destruction ? Ne t'es-tu jamais demandé pourquoi tu était la seule assez idiote pour essayer ?

- Parce que c'est difficile !

- Ahahah... la seule chose difficile, c'est de porter un boulet comme toi, de garder en vie une créature qui refuse d'aider à tuer, à franchir les obstacles. Et tous t'abandonneront pour cela !

- Jamais ! Jamais nous ne l'abandonnerons, s'éleva Elentar, son regard bleu acier durement cloué sur le mort-vivant. Elle est notre compagnon, notre amie, une aventurière prête à tout pour lutter contre ta corruption, comme nous tous ! Ses principes lui font
honneur, et pour cela nous la respectons !

- Du respect ? Tu devrais déjà tenter d'en avoir pour toi-même, gros-plein-d'effroi ! Tu te vantes mais tu n’es pas le héros sans peurs que tu voudrais tant incarner... tu n’es pas même capable de protéger tes amis ! Je vois d'ici ton futur proche, ta mort sans gloire, ton armure fracassée souillée par le manque de retenue de tes sphincters. Tu n'es même pas digne de mon intérêt. Tu te prétends gardien ? Peuh ! Tu n’es qu’un pion, de la chair à canon.

- Aujourd’hui, le pion défait la reine, l’interrompt Morwintil. Elentar, allons mettre cette langue de serpent en charpie.

- Toi, la boule de poils... Susurre la prêtresse d'un l'air venimeux. Tu n'es qu'un fauve incapable de suivre son farhar dans la mort. Tu as trahi ta propre race. Tu ne mérites que solitude et d’être traqué comme une bête.

- Cette solitude est la plus grande des souffrances. Tu ne pourras m'infliger pire. Ton pouvoir n'est pas aussi grand que ma douleur, et ce sera ta perte. »

Morwintil dégaine alors une dague dont la lame est faite d'une langue de flamme. Il prononce quelques mots en levant l'arme vers les cieux, et d'immenses épées de feu apparaissent autour de la prêtresse corrompue. L'encerclant, elles tournoient dans les airs pour la couper en morceaux.

Des lambeaux de chair morte voltigent et brûlent immédiatement. Derrière moi, un étrange bruit de succion attire mon attention. Le corps d'un rôdeur sylvari s'écrase mollement sur le sol, sa tête tenue en l'air par la marionnette de Zhaïtan, son intégrité physique sauvegardée contre toute attente. Le chien de fougère de la victime aboie en sautant sur la meurtrière, mais leurs regards se croisent tandis qu'elle l'esquive et il retombe au sol en geignant, avant de se jeter comme un possédé sur le guerrier le plus proche.

Alors des clones de la prêtresse apparaissent de toutes parts, leurs yeux lançant des éclairs qui calcinent toute volonté. En quelques secondes le chaos s'installe : tous sont en train de s'entre-tuer, et je dois moi-même tenir en respect un mage et un escamoteur aux talents d'assassin. Mon bouclier pare une boule de feu tandis que je tire des salves de balles empoisonnées. La substance a habituellement pour effet de plonger mes ennemis dans la plus grande confusion, mais dans leur état elle les assomme quelques instants et annule le sort qui les envoûte. Aucune Luciole n'a été touchée, étant tous les cinq regroupés autour des épées de flamme de Morwintil qui tiennent à distance les illusions. Celles-ci s'évaporent quand elles subissent des coups directs, mais l'originale est introuvable.

Débarrassé de mes « ennemis », je peux observer la situation. En plus de l'éveillée, tous les morts-vivants du coin sont attirés ici, et nous devons faire face sur deux fronts. Les autres Lucioles ont l'air de s'en sortir, achevant les troupes du Dragon ou se défendant en assommant leurs anciens alliés. Seule Nala n'a pas autant de considération : un grand cercle l'entoure, dans lequel chaque entrant se met à saigner par tous les orifices. Je détourne vite les yeux de ce spectacle impie pour voir que nous subissons de lourdes pertes : la moitié de nos guerriers en armure lourde sont déjà retournés à la poussière. Puis une bizarrerie me saute aux yeux : certains s'écroulent, un membre en moins ou une plaie béante apparaissant sur leur corps.

La raclure des bas-fonds ! Elle peut se rendre invisible. Heureusement, j'ai de l'expérience : on n'apprend pas à un vieux charr comment se faire les griffes. Je sors cinq grenades de mon sac, que je projette en l'air d'un mouvement dans différentes directions. Puis je tire cinq coups. Chacun fait mouche : les années d'entraînement lors de ma jeunesse, quand je frimais pour impressionner la galerie, ont porté leurs fruits. Cinq explosions quasi-simultanées secouent les ruines tandis que tout le monde est aspergé de poussière blanche, dispersée dans une onde de choc assourdissante. Ahah ! Et voilà le travail ! Un coup de grenade à plâtre et tout le monde peut voir une forme enfarinée se déplacer à découvert en s'imaginant invisible.

Quelques coups plus tard, les morceaux de l'ancienne prêtresse de Lyssa se tordent sur le sol, calcinés. Il faut dire que chacun a pris à cœur de lui mettre au moins un coup, et que nous sommes encore une quarantaine debout.


Chroniques mentales de Nala :

Cette sorcière est bel et bien morte, maintenant ! Zhaïtan a encore un si grand pouvoir... il me le faut ! Chaque seconde nous en rapproche, mais combien d'épreuves et de combats sanglants se dresseront encore entre nous et lui ?
Enfin... ce combat a au moins eu le mérite de me rappeler certaines questions : qui suis-je ? D'où est-ce que je viens ? Pour y répondre, je dois devenir quelqu'un ! Parvenir au sommet de la magie et du pouvoir. Quand tous seront à mes pieds, Thauffee et moi seront en sécurité et pourrons vivre heureuses. Je ne suis qu'amour pour elle. Je ferais tout pour elle, même si cela signifie que je dois parfois la blesser ou saigner moi-même pour lui sauver la vie. La prêtresse se trompait : rien n'est plus fort que notre amour. Il sera la base même du plus grand des pouvoirs, et constitue déjà la force sans commune mesure qui m'anime. Je suis prête à mourir pour elle, mais je ferai tout pour rester en vie afin de parvenir au bout ! Nous vivrons ensemble à jamais... dans le Château Brumepierre ! Ce sera une résidence au diapason de notre passion : démesurée.



Maintenant que le temple est purifié, un étrange silence a pris possession des lieux. Il y règne une atmosphère étonnamment... apaisante. Nous en profitons pour soigner les blessés, nous reposer et nous restaurer en profitant de la vue sur la mer depuis notre promontoire. J'ai même le temps de rattraper le retard pris pour écrire ces pages.
Seulement... au moment de repartir, la situation a changé en-dehors du temple.
Des cris gutturaux résonnent en contrebas. Des Géants se sont rassemblés : une vingtaine de ces infâmes montagnes puantes sont en train de grimper vers nous.

Rapidement, la résistance s'organise. Même si nous autres vétérans de guerre sommes durs et blasés, au moins nous sommes efficaces. Lors des quelques instants qui nous sont alloués, des rochers déboulent les pentes, les flèches comme les balles fusent, et les catapultes des morts-vivants sont utilisées contre eux. Mais le plus efficace reste la magie : rien de tel que les sorts à longue portée pour faire un massacre dans une pente. Le crâne défoncé, les membres arrachés, la chair pourrie calcinée, la plupart de nos ennemis retombent avec d'ingrats bruits de diarrhée sévère. Le temps que tous les valides se mettent en ordre de bataille après le premier assaut, et seulement neuf Géants se hissent péniblement sur la corniche. Un cri de guerre secoue nos rangs, tandis que les bourrins s'élancent à l'assaut des jambes mortes, protégés par leurs lourdes cuirasses. Derrière eux, nous formons un demi-cercle qui assaille à coups de projectiles les immenses cadavres.

Ceux-ci ne se laissent pas faire : ils n'ont pas besoin d'armes pour faire d'immenses dégâts d'un seul coup du plat de la main. Plusieurs des nôtres voltigent dans les airs. Morceau par morceau, nous renvoyons ces ignominies à la tombe et à la paix. Pour ma part, j'ai décidé de faire confiance à mes balles perforantes pour découper les tendons de nos ennemis et empêcher leurs mouvements. Mes tourelles de soutien, déployées pendant l'escalade, font des ravages avec leur système de visée automatique. Pour l'instant, une seule a montré quelques faiblesses, explosant au nez d'un humain qui se donnait des airs hautains. C'est dans ces moments-là que l'on est fier de ses inventions !

Ces combats ont l'air faciles, vus derrière une page de papier, mais l'ambiance sur le terrain est toute autre. Les cris – de rage ou d'agonie -, l'odeur métallique du sang, le fracas des armes et des coups... tout se mélange dans l'esprit de chacun, le poussant à se battre ou à fuir.

Thauffee, elle, n'hésite pas : elle n'a pas l'air de considérée la chair réanimée comme digne de pitié. Malgré ses petites jambes, elle fait partie des premiers à affronter l'ennemi. Mais occupée par un Géant, elle ne voit pas s'écrouler sur elle un autre corps décomposé et criblé de flèches. Un bruit assourdissant accompagne la chute qui a dû entraîner l'asura six pieds sous terre.
Je me tourne vers Nala. Elle s'est interrompue en plein milieu d'un sort, et d'énormes sauterelles mortes entourées d'un halo vert s'écrasent sur le sol autour d'elle sans plus bouger. L'expression de son visage est partagée entre la surprise et la colère. Elle se met alors à hurler de toute la force de ses poumons. Plusieurs sursautent autour d'elle et s'écartent précipitamment. Son regard est devenu fou.
Elle lève sa faux dans les airs, sans cesser de hurler.

Pendant ce temps, le Géant tombé sur Thauffee tremblote. Un de ses bras se soulève, puis il se retourne tout entier, avant de se relever progressivement. Aucune trace de la gardienne sous lui. Nala, les yeux révulsés, découpe l'air à coups de faux. À chaque frappe s'en échappe des fumerolles sombres qui viennent s'agglomérer autour du grand corps. Certaines pénètrent par les pores du Géant, dont les paupières s'ouvrent sur des orbites vides.
L'un des autres titans se tourne vers lui, et reçoit un magistral coup de poing qui lui arrache la moitié du visage et l'envoie s'écraser quinze mètres plus loin dans une colonne de poussière.
Soudainement, tous les morts-vivants se tournent vers celui dont Nala a pris le contrôle. La volonté de Zhaïtan les pousse à détruire l'incarnation de celle qui l'a surpassé. Ils se jettent sur lui pour le réduire en charpie, et une féroce bataille s'ensuit. Chaque coup est rendu, et le Géant de Nala arrive à prendre l'avantage sur plusieurs ennemis en profitant de la gêne créée par leur nombre.

Un vide se crée autour de lui, vite comblé par deux adversaires qui reviennent à la charge. Le premier se fait déchirer la gorge à coups de dents, mais le second arrache un bras au mort-vivant défenseur du Pacte. Nala crie avec plus de rage encore, et les deux Géants se frappent d'un violent coup de tête mutuel. Tous deux ont le visage ravagé, mais semblent encore en état de combattre... Jusqu'à ce que l'ennemi s'écroule face contre terre. Thauffee, debout sur le colosse, arrache son marteau de l'arrière du crâne décomposé. Puis elle le lève en direction de Nala et hurle, avant de repartir à l'assaut. Je vois derrière elle un trou dans le sol. Elle a dû survivre en creusant sous elle par sa magie gardienne tandis que le Géant s'écroulait, et resurgir dans le dos de celui qu'elle a escaladé et achevé. Plus sure d'elle, Nala pousse son pouvoir contre celui du Dragon. À chaque fois qu'une main ou qu'un pied mort va s'abattre sur la gardienne, sa douce la protège en provoquant la décomposition du membre.

Soudain, l'un des colosses morts-vivants mis KO par le titan de Nala se relève et se met à charger dans notre direction. Je ne pensais pas qu'une telle masse pouvait se mouvoir aussi vite ! Les mages n'ont même pas le temps d'invoquer des murs de terre pour le stopper... Avant de pouvoir l'immobiliser, il a réussi à écraser un petit groupe de sylvaris, mettant de la sève partout. Par les moustaches de Rytlock, je trouve ça tellement sale...
C'est alors qu'un mage se met à hurler au milieu de la cohue : apparemment, ces troupes-là ne forment que la première vague, et de nombreux autres morts-vivants accourent vers notre position.

Rapidement, Elentar prend les devants, personne n'osant le contredire pendant que Ramor le Terrible lutte pour s'extirper de sous un cadavre géant. Nous autres Lucioles foncerons à travers les lignes ennemies et les contrées d'Orr jusqu'à parvenir à Arah et Zhaïtan, tandis que le reste des troupes défendra ce temple, notre nouvel avant-poste.

Le temps que nos gardiens préparent leurs sorts, je m'occupe du bricolage d'une baliste qu'un idiot de guerrier humain a enrayée avec une dague. Parfois, je me demande comment ils font pour être aussi bêtes et brutes ! Et après ce sont les charrs qu'on traite d'animaux sauvages...
Pas le temps de faire plus, il faut partir avant de s'enliser dans la bataille qui se prépare et qui s'annonce interminable. Sauf peut-être si l'on parvient à découper ce satané dragon en tranches !

La descente est périlleuse : Thauffee et Elentar, formant notre avant-garde, fonce au milieu du chemin, écartant les ennemis du plat de la lame ou du bouclier. Les coups ne les atteignent pas, arrêtés par l'énergie magique qui les entoure. Quant à nous, nous les suivons tant bien que mal en essayant de ne pas nous fouler une cheville sur le sol inégal.

Passer entre les morts et les jambes des Géants... voilà un sport que je préfère laisser dans le passé.
Heureusement, je retrouve avant que l'on ne rencontre le gros de l'armée adverse une vieille potion d'invisibilité au goût de champignon. Le temps de se mettre à couvert pour l'ingérer avec une grimace, elle nous permet de nous faufiler entre les lignes ennemies sans trop de difficultés.

Les diversions magiques de Morwintil complètent notre stratégie furtive, et tout cela nous amène jusqu'à notre prochaine étape : un grand lac semblant rempli d'eaux usées.

L'effet de la potion d'invisibilité s'interrompt. Heureusement, il n'y a plus d'ennemis en vue.
Pourtant, des projectiles faits d'une boue de cadavres corrompus tombe du ciel droit sur nous. Thauffee nous en protège in extremis avec un bouclier spirituel, mais tous se tournent en tous sens pour tenter de trouver d'où vient l'attaque. Elentar, lui, a l'air de le savoir : avant même que nous ayons pu y prendre garde, il charge en direction du lac en criant « Par la truffe du Loup, cette pourriture, je vais la filtrer avec le sang du poiscaille qui s'y baigne ! ». C'est alors que je le vois : le poisson-armure géant, un cœlacanthe. J'avais pris son ombre pour une tache de boue plus sombre, mais la boue n'a pas d'yeux.

Elentar ne prend pas la peine d'enlever son armure pour plonger, il a juste enfilé un masque respiratoire en courant, et saisi un trident brillant qu'il porte habituellement dans son large dos. J'espère qu'il a appliqué sur son équipement ce fameux sort anti-rouille si prisé à l'Arche du Lion, sinon il va falloir attendre des heures qu'il nettoie tout son barda...

Nous autres soupirons en nous demandant pourquoi il se sent obligé de purger le monde de ses monstres : pourquoi ne pas simplement se retrancher derrière un bouclier de roche et continuer son chemin ?
Mais en désespoir de cause... il nous faut aller l'aider. En approchant de la berge, nous voyons qu'il se bat férocement avec deux mégalodons qui cherchent à le dévorer, tandis que le poisson-armure lorgne la scène. Entre ses écailles ressortent des sortes de tubes exécrant du poison.

Morwintil projette des stalactites vers les mégalodons, mais le liquide les ralentit trop pour qu'ils puissent provoquer de sérieux dommages, et la chaleur ou l'électricité risqueraient de griller le norn avec les poissons. Je décide que ça suffit : les caprices suicidaires du gros-plein-de-bière nous mettent tous en danger, il est temps de partir. Je pose une tourelle lance-filets, équipée du nouveau système à double tranchant « deux secondes à déployer, deux heures à ranger ». Celle-ci acquiert sa cible et projette un filet lesté à grande vitesse, mais le but n'est pas de pêcher : je vise un autre type de poisson.

Quelques instants plus tard, le gardien est tiré sur la berge, du sang coulant de multiples plaies. Il nous jette un regard noir, mais son sourire dénote sa joie de survivre.

C'est alors que le ciel se couvre de projectiles empoisonnés.

« À couvert !! » crie Nala.

Nous courons entre les impacts, nos boucliers magiques ne suffisant pas à maintenir une pareille grêle de mort à distance.
Une large fente s'ouvre dans le sol devant nous : une retraite bienvenue.

À peine entrés dans le tunnel, la terre tremble autour de nous, faisant s'écrouler des pans du plafond au point que l'entrée se retrouve bloquée par les décombres : impossible de faire marche arrière.

Devant nous s'étend un couloir noir et étroit, fait de terre sèche et de roches de toutes tailles : si l'on parvient à sortir d'ici sans que personne ne soit assommé, on pourra s'estimer cocus tous autant qu'on est. Mais il faut bien avancer : le poison s'infiltre à travers le sol et menace d'attaquer nos chairs d'un instant à l'autre.

Chacun sort une torche de son sac, et Morwintil les allume. À l'odeur, pas de gaz. C'est déjà ça.

Une fois à l'abri du poison, nous faisons une pause : Elentar a besoin de repos et surtout de soins. Malgré sa constitution et son courage, il ne pourra pas éternellement survivre s'il perd un demi-litre de sang à chaque pas. Seulement, notre élémentaliste maîtrise mal les arcanes des soins, et le gardien refuse catégoriquement que Nala s'occupe de sa chair... ce que je peux comprendre.
Au final, rien de mieux que des pouvoirs de métamorphose pour guérir rapidement : le gros-plein-de-bière invoque ses totems et se transforme en ours avant de revenir à son état humanoïde, et le voilà comme neuf. J'en grogne de jalousie.

Et nous repartons. Plusieurs chemins s'offrent à nous... je sentais bien le coup du labyrinthe ! D'après notre guide norn, la voie de gauche nous emmène pile en direction d'Arah. Pas d'hésitation donc. Enfin, jusqu'à ce que de multiples yeux jaunâtres nous fixent dans le noir, réverbérant la lueur de nos tisons en se cachant dans les recoins. Des yeux bien trop gros pour appartenir à des arachnides inoffensifs. Pas facile de manœuvrer une arme avec une torche en main. Malgré tout, ressentir la lourde crosse froide de mon pistolet contre ma paume me rassure. Du coin de l’œil, je vois un mouvement sur ma droite. Je fais la grossière erreur de tirer, ce qui provoque un flash aveuglant et un bruit tonitruant qui résonne à travers les tunnels.

Quelques instants plus tard, le bruit de centaines de pattes frappant le sol se rapproche.

« Bravo, vieux croûton ! Me lance Nala. Tu viens de réveiller des hordes d'ennemis mortels. »


Pas besoin de se concerter pour mettre en place une quelconque stratégie : la seule chose à faire est d'avancer et de se tailler un chemin au milieu des araignées en furie jusqu'à la sortie. Notre formation reste simple et efficace : les tanks restent devant, Morwintil envoie des boules de feu au milieu des rangs ennemis soutenu par mes grenades, et Nala coordonne nos attaques depuis le centre en achevant les arachnides blessés.

Tout se complique quand nous nous retrouvons dans leur nid, où les toiles nous barrent le passage.
Pour Elentar, Morwintil et moi pas de souci, mais les deux asuras se retrouvent empêtrées et notre défense s'en trouve affectée : difficile de maintenir une formation tout en sauvant la moitié de l'effectif. Les araignées déferlent de toutes parts comme des vagues vivantes, sombres et poilues. Je sens leurs morsures à travers mon manteau renforcé, mais elles ne l'ont pas encore percé.

Mais c'est dans ces moments désespérés que la magie se révèle utile : Morwintil gèle les toiles qui se fragilisent et deviennent aisément destructibles. Quelques coups de marteaux plus tard, les cadavres prennent plus de place que les vivants, et nos ennemis refluent quand un mur de flammes noires et rouges nous entourent. Nos mages ont l'air fatigués, mais nous sommes tous en état de sortir de ce trou à rats. Je félicite intérieurement Thauffee de faire montre de moins de sensibilité quand il s'agit de morts-vivants et d'araignées.

Nous continuons notre chemin, espérant bientôt revoir la lumière du jour, quand une lueur aveuglante s'imprime sur ma rétine. Une sorte de laser violet traverse un passage transversal et frappe six araignées d'un coup, formant une sorte de brochette peu ragoûtante le temps d'un instant. L'immonde parfum de la chair calcinée se répand jusqu'à nous, me faisant plisser le nez. Osant un regard j'aperçois une sorte d'œil sans nerf ni paupière, de la taille d'un charr, flottant dans les airs. Je n'ai jamais rien vu d'aussi absurde et terrifiant à la fois. On pourrait le croire injecté de sang, mais il s'agit plus vraisemblablement d'une sorte de pouvoir liquide. Morwintil lève une main et un éclair fuse vers la créature, mais disparaît à un mètre d'elle en grésillant.

Elentar lance alors son cri de guerre préféré : « Tata Yoyoooooooooo !!! » et se jette à l'assaut l'arme au clair. Un laser le frôle et fait voler son casque. Sa chevelure de sauvage flottant dans l'air, il porte un monstrueux coup d'estoc droit devant lui. Un son strident retentit, me faisant fermer les yeux. Le géant du Nord retire sa lame d'un bouclier invisible, avant de prendre un second rayon en plein ventre. Propulsé dix mètres en arrière, il s'écroule contre un mur en crachant du sang.

Si le gros-plein-de-bière est vaincu aussi vite, c'est qu'on a affaire à un sacré morceau ! J'entends Morwintil pester à propos d'un œil de Zhaïtan... cette chose serait donc associée au Dragon lui-même ?

Un autre laser détruit un large pan du coin derrière lequel nous sommes retranchés, et Thauffee parvient à parer en partie le suivant d'un coup de marteau, mais son arme lui vole des mains. Elle brandit alors son bouclier, tandis que je lance le mien à Elentar, en train de se relever en titubant. Il l'attrape sans même un regard mais avec un sourire carnassier, jouant comme à son habitude au héros intrépide. Poussant un cri guttural, son énergie de gardien l'enveloppe sous la forme de vagues bleutées qui émanent de son corps. Il est maintenant dressé de toute sa hauteur, son regard bleu plus dur que l'acier rivé sur son ennemi comme pour le clouer au sol. Quand celui-ci envoie un autre laser, la lumière violacée ricoche contre l'armure spirituelle du gardien, qui ricane en chargeant de nouveau. Alors que le prochain rayon va l'atteindre, Elentar brandit mon bouclier renforcé par sa magie. La laser ricoche et repart vers l’œil, affaiblissant son armure : il me semble voir comme de légères craquelures dans l'air. Morwintil invoque alors une tempête d'éclairs qui s'abattent par-dessus sur le blindage magique du monstre, l'aveuglant en même temps. Cela me donne l'idée de lancer des grenades flash qui ruinent totalement sa perception. Les lasers fusent dans des directions totalement aléatoires. Nala, bien à l'abri derrière Thauffee qui a ramassé son marteau, brandit sa faux, et de l'ennemi semblent sortir des filaments de sang reliés à la nécromancienne. Elle touche alors la gardienne de son cœur de l'autre main, et cette dernière donne l'impression d'être plus grande, plus forte. Elle fonce aux côtés du norn pour mettre en pièce l'ennemi.

Quelques instants plus tard, un son clair semblable à celui d'une cloche résonne : l'armure psychique de la créature est brisée.
Je lui loge quelques balles à travers la cornée, visant la pupille pour affûter mes talents : tout dans le mille ! Les bourrins achèvent l'ignominie en la hachant menue. Voilà une bonne chose de faite !

J'ai l'impression de ne faire que combattre... et mes cornes semblent poindre vers d'autres batailles, plus sanglantes encore ! Mais bon, je peux déjà m'estimer heureux de sortir bientôt du trou à rats qui nous a permis de traverser les territoires du Saut de Malchor et les Rivages maudits... voilà que de nouveau la lueur de l'éternel crépuscule d'Orr scintille au-dessus de nos tête.

Nous voici devant les portes de l'ancienne Cité d'Arah !

De nouveau, un paysage sombre, cadavérique, où tout a l'air calciné par une lumière sale et le feu d'un poison qui vous dévorerait de l'intérieur... Malgré tout on ne peut pas dire que les lieux manquent de vie : deux légions s'apprêtent à s'élancer à l'assaut l'une de l'autre, à une centaine de mètre de nous.
D'un côté, des centaines de morts-vivants entourent leur général, un immense guerrier mort-vivant. Celui-ci porte une lame reflétant les plus profondes ténèbres de l'univers, découpant dans l'air des volutes sombres auréolées d'étoiles lointaines, presque indiscernables. Ses sbires ont l'air particulièrement féroce : la proximité du Dragon ancestral et la puissance du sang versé doivent faire d'eux bien plus que de simples tas de chair putréfiée...

En face d'eux se dresse seulement une centaine de soldats du Pacte. Beaucoup arborent des blessures légères : estafilades, bandages sur le crâne ou jambes boiteuses se remarquent un peu partout. Malgré cela et les innombrables morts qu'ils ont dû laisser derrière eux, ils sont arrivés ici ! Et de cela ils sont fiers, et le montrent en brandissant bien haut les bannières de l'alliance des races libres de Tyrie ! Des cris et des rugissements montent de leur masse, contrastant avec l'angoissant silence de mort qui règne sur ma gauche. Malgré l'apparente absence de hiérarchie, tous ont l'air prêts à donner l'assaut, à donner leur vie pour ouvrir le chemin vers une mort plus sure et atroce encore ! Ce courage, cette dévotion... je l'admire, mais ne la comprends pas. Pourquoi périr alors qu'il est si facile de détaler ?

Pourquoi se sacrifier à un ennemi sans âme et disparaître purement et simplement alors qu'on peut choisir de vivre ?
Et pourtant... j'ai bien suivi Elentar jusqu'ici. Le norn est si vaillant qu'il se dégage une sorte d'aura autour de lui, puissante et communicative. Nous avons tous envie de nous précipiter à ses côtés, de briller au cœur de la bataille, et de pouvoir goûter aux faveurs des héros.
Mais ma peur étend ses griffes trop profondément pour me laisser faire cela. Je n'éprouve pas d'amour de la guerre comme Elentar. Lui est dans son élément : baigné dans la culture norne qui inculque l'honneur consistant à teindre l'acier de sang. Celui des autres, ou le sien. Moi... j'ai besoin d'une raison pour me battre à mort : d'une raison plus importante que la douleur, le sang, ou la folie. Plus importante même que mes amis, plus importante que tout le reste, au-delà de ma propre vie.
Comme à mon habitude, je me contenterai de rester en arrière, de jauger la situation et de soutenir mes alliés. Sans oublier de faire exploser quelques monstres, cela va sans dire. Mais je ne suis pas un héros...

Soudain, un tremblement résonne à travers l'air et la terre. Le détachement du Pacte s'est mis en branle, et charge vers l'armée des morts qui les attend de pied ferme ! Malgré les lances aux pointes aiguës tendues vers eux, ils continuent d'accélérer en serrant leurs armes comme s'il s'agissait de leurs vies, incarnées dans le métal entre leurs mains.

Elentar nous jette un coup d’œil, et Thauffee hoche la tête. Bien sûr, tous deux sont prêts à sacrifier leur existence pour venir en aide à une juste cause. Nala non. Elle estime le risque trop grand, et préfère profiter de tout ce sang frais pour faire le plein de pouvoir.

« Et si on s'occupait du chef, pour désorganiser leurs troupes ? Proposé-je, m'étonnant moi- même. Ensuite... éh bien ensuite on avisera. »

Morwintil grogne son assentiment, et les gardiens brandissent leurs armes en réponse, pressés de sauver des vies. Nala secoue la tête et hausse les épaules, dépitée.

L'ignorant, Elentar lance son bras vers l'avant dans un geste qui n'admet aucune répartie. Puis il charge vers la mort et la ruine, tandis que nous nous élançons à sa suite.


Chroniques mentales de Morwintil :

Je ne suis pas sûr de moi, de mon geste, de ma décision. Mais j'ai décidé que je ne serai plus jamais seul. Plutôt mourir. N'importe quoi plutôt que d'être torturé encore par ces visions qui m'assaillent sans cesse. Sauf quand je suis occupé à battre la campagne avec ces compagnons, ces Lucioles. Parce qu'ils m'acceptent, je suis prêt à les suivre au milieu d'une bataille perdue d'avance. Parce que ce Pacte m'unit à eux, je suis prêt à défendre ses soldats !
Je n'ai pas encore retrouvé mes souvenirs... je ne sais pas à quel moment la rage peut parcourir mes veines... mais je suis prêt à l'affronter !



Devant nous, le choc est terrible : des cris de rage se transforment en râles d'agonie, le sang gicle de tous côtés, rendant le sol glissant et les armes poisseuses, les corps s'effondrent dans des positions improbables, et l'odeur a de quoi faire vomir un norn à geint... Et pourtant, nos alliés tiennent encore bon ! Il lèvent et abattent leurs armes sans relâche, ou invoquent éléments et innommables démons au prix de mille et une souffrances.

Face à eux, la marée de corps réanimés reflue, pour laisser passer leur Commandant. Le guerrier mort à la lame ténébreuse m'inspire une terreur sans nom, et un incompréhensible respect. De son vivant, ç'avait dû être un homme adulé par les récits de bataille et les chants de guerre.
D'un seul coup de son gigantesque espadon, il découpe trois hommes et un charr, avant d'effectuer un tour sur lui-même pour abattre son arme sur un pauvre asura, avec tant de force que le petit être explose littéralement. Non seulement il est fort, mais sa vitesse est ahurissante.

Et nous voilà à quelques mètres seulement de cette abomination. J'ai tout juste le temps de me demander si mon idée ne serait pas la dernière idiotie à germer dans mon crâne, quand Morwintil écarte les rangs ennemis d'un coup de vent monumental. L'appel d'air nous propulse tous les cinq au milieu de la mêlée et en un instant, nous encerclons le Commandant adverse. Une armure faite de métal noir brillant et de tissu noir déchiré le recouvre de la tête au pied, antiquité d'un âge d'or révolu.

Morwintil et moi lançons une attaque simultanée, mais le temps semble ralentir et sa lame se démultiplier tandis qu'il s'en sert pour parer mes balles et étouffer la boule de feu du mage comme on souffle une bougie.
Le temps donne alors l'impression de reprendre son cours, alors qu'Elentar saute arme au poing sur notre cible, et que l'armée défunte se referme sur nous.

Du côté droit de notre gardien, je me retranche derrière mon bouclier et un mur de grenades fumigènes, prenant soin de descendre un ennemi à chaque tir pour économiser mes balles. Dans ces conditions, le moindre rechargement est un moment périlleux.
Du côté gauche, Thauffee virevolte avec son marteau de guerre et fracasse les corps qui menacent de nous submerger. Morwintil nous isole du reste du combat avec une barrière de flammes hautes comme une muraille, mais il ne pourra pas tenir pareil effort très longtemps.
Nala, non loin de moi, n'attaque pas : ses yeux sont clos, mais sous ses paupières on devine un mouvement incessant. La magie la porte littéralement, émanant du sang et de la mort, omniprésents. Quand elle daigne de nouveau prêter un regard au monde, je peux plus distinguer ses pupilles, flottant dans des ténèbres totales. Ses lèvres se retroussent sur ses petites dents pointues...

Me retournant tandis qu'une de mes grenades explose avec plusieurs ennemis, je vois Elentar et le Commandant mort croiser le fer à une vitesse telle que leurs mouvements sont flous. Le norn esquive, attaque sur le flanc de son adversaire puis roule et lance un coup d'estoc dans son dos, mais aucune ne touche : l'abomination pare et contre-attaque dans le même geste, blessant le gardien à l'aine en enfonçant son armure. Elentar souffle comme un taureau mais repart à l'assaut, se concentrant sur la lame du maudit.

Même le gros-plein-de-bière ne fait pas le poids face à la vitesse d'un tel monstre... et pourtant ! Il parvient à passer sous sa garde et à lui infliger deux larges entailles sur le torse et la cuisse, avant de le transpercer en plein ventre. C'est que Nala est entrée dans la danse et a bandé toute sa volonté contre celle du Dragon, qui anime le guerrier mort. Ce duel psychique ralentit fortement l'ennemi, permettant à notre champion de reprendre l'avantage, et d'avoir le temps de retirer la plaque déformée qui l'handicape. Reprenant son souffle, il regarde à la ronde et voit le mur de flammes de Morwintil s'étioler et les combats se poursuivre. Il scande alors des paroles qui se sont gravées dans mon esprit, lâchant mots et coups au même rythme et avec la même force :

« La guerre est une terrible malédiction. Mais elle est aussi merveilleuse !
À la guerre, chacun découvre qui il est vraiment. Tout ce qu'il peut être. La guerre fait ressortir le pire de chacun : cupidité, lâcheté, sauvagerie ! Mais elle montre aussi le meilleur : notre courage, notre force, notre altruisme ! Montrez-moi le meilleur de vous- même aujourd'hui ! Encore mieux, montrez-le à l'ennemi ! »

C'est à ce moment-là qu'il porte un lourd coup de taille à la tête de son ennemi, l'assommant et roulant derrière lui, sous l'espadon sombre. Morwintil lâche alors une autre boule de feu qui cette fois fait mouche en explosant en pleine poitrine, ouvrant un large trou dans l'armure du Commandant. Les paroles d'Elentar et le courage de mes compagnons m'enhardit ! Je sens mon cœur prêt à exploser de cette fureur de vaincre... je me sens prêt à être un Héros ! Saisissant mes bombes dans la main droite, je fonce sur le guerrier en glissant sous ses coups pour éviter de finir en plusieurs morceaux, avant de sauter au-dessus de lui en prenant appui sur mon bouclier électromagnétique. Lâchant mes bombes, je retombe à côté du gros-plein-de-bière, derrière le monstre qui brandit son espadon pour me découper en deux, et j'appuie sur le bouton de l'interrupteur que je cachais dans ma manche. Une explosion retentit dans mon dos, et l'espadon de ténèbres s'enfonce dans le sol.

Je l'ai eu.

Un cliquetis, un frottement d'air. Du sang. Une immense pelle à tarte sombre me ressort du ventre... Le Commandant damné est loin d'être vaincu, et pourtant il est resté à sa place. Sa volonté et la magie du Ver ont suffit à projeter l'arme à travers mon corps. C'est lui qui m'a eu. Je m'écroule au sol dans un gargouillis infâme. La douleur est insupportable, comme si des vers dévoraient mes entrailles. J'arrive à peine à grogner tandis qu'une bouillie sanglante s'échappe de mes lèvres.
L'inconscience me guette, et elle est la bienvenue, mais Nala s'agenouille devant mon corps allongé, et plonge sa main dans mon sang.

Thauffee lui jette alors :

« Je connais tes limites, et ça, c'est en-dehors de tes compétences.

- Il respire encore, et tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir ! Lui rétorque Nala. On ne peut pas l'abandonner maintenant ! »

C'est vraiment le monde à l'envers...

De sa main libre, l'asurette noire s'entaille le poignet avec ses griffes métalliques acérées, et mélange son hémoglobine à la mienne. Puis elle prononce des mots que je ne comprends pas, et mon ventre se met à me brûler comme si on y enfonçait des tisons chauffés à blanc. Cette fois, j'arrive à hurler. L'asura secoue la tête, et la douleur s'arrête. Je parviens à me retourner sur le dos, à voir ma chair reconstituée... un miracle. Alors cette nécromancienne est bel et bien capable de soigner autant que de tuer !

Le duel entre le gardien et celui qui a failli me tuer a repris de plus belle. Le mort ne ressemble plus à grand chose désormais : son armure détruite, ce n'est plus qu'un squelette vide auquel il manque des os, mais à chaque coup ses restes se reconstituent. Il a repris son arme fichée dans mon corps sans que je ne m'en aperçoive quelques instants plus tôt. J'essaie de me relever, mais je suis encore trop faible.
Nala plonge alors ses mains dans la boue sanglante à ses pieds, et tout autour de nous le fluide vital se met à bouillonner jusqu'à former d'innombrables sauterelles sanglantes qui se jettent à l'assaut de l'armée des morts qui s'approche toujours plus. Presque tous les soldats du Pacte sont tombés.
Notre nécromancienne tente une fois encore d'affronter la volonté du Dragon pour ralentir le Commandant, mais elle crie et s'effondre en se tordant de douleur. Elle a dû dépasser ses limites.

Voyant cela, Thauffee devient comme folle : elle se tourne vers l'abomination et se jette sur son dos marteau en l'air, la frappant encore et encore sans lui laisser de répit suffisant pour se relever. À chaque coup, des morceaux d'os giclent et se brisent sans pouvoir se régénérer complètement. Elentar en profite pour reprendre son souffle et estimer la situation.
Morwintil tente quant à lui de retenir les autres morts-vivants, mais il semble aussi à bout de force. Seuls quelques murs de terre tremblants les séparent désormais de nous.

Thauffee s'interrompt une seconde, un laps de temps suffisant pour que le squelette la projette à cinq mètres de lui et se relève souplement malgré un corps en charpies.
Nala parvient alors à se relever, et me jette un regard désolé. Puis elle ordonne l'entrée dans la Cité d'Arah par la force, en abandonnant les morts et les blessés.
J'aimerais la suivre, mais j'en suis incapable.

Elentar hurle son refus, et fonce de nouveau sur le Commandant. Le choc les désarme tous deux, et ils s'empoignent dans un corps-à-corps féroce.
Morwintil tremble et transpire à grosses gouttes pour maintenir ses sorts encore quelques secondes, mais il reste stoïquement aux côtés du norn, refusant de nous abandonner à notre sort. Thauffee hésite entre rejoindre celle qui a ravi son cœur et la justice, et décide de retenir Nala par la main.
Rugissant de dépit, je lance des grenades à travers les rangs ennemis comme pour signer mon baroud d'honneur, stigmatisant la terre et envoyant voler des morceaux de corps dans les airs.

Les portes de la Cité sont seulement à trente mètres de nous, et pourrissent sur place. Pourtant elles semblent inatteignables, et surtout d'autres périls nous attendent derrière elles...
Puis un sordide craquement retentit soudainement, figeant le temps.
Elentar vient d'exploser le crâne du Commandant d'un coup de tête, son front arborant une large entaille saignant abondamment. Malgré cela, il sourit et lève le poing au ciel, calcinant les restes de son ennemi par le feu venu de son pouvoir de gardien. Il a même la force de crier :

« Tous à la porte ! Personne ne reste derrière ! »

Me prenant sur ses épaules, il brandit le focus qui traîne d'habitude à son baudrier, et une large ceinture de magie protectrice nous entoure alors, repoussant les morts. Morwintil aligne ses pas sur les siens, et Nala et Thauffee couvrent nos arrières.
Devant la porte, Elentar me lâche, et j'arrive enfin à tenir debout. Puis l'asura gardienne brandit son marteau et crie en projetant son pouvoir devant elle. Une onde de choc bleutée déferle jusqu'aux larges battants, explosant un peu plus le bois ancien et fracturant le porte.


Nous entrons rapidement dans la Cité d'Arah. Elentar reconsolide la porte derrière nous, tandis que je pose des pièges destinés à empêcher les morts-vivants de nous suivre.

D'où l'on est, un peu en hauteur, on a une bonne vue sur les premiers quartiers de cette immense ville perdue... Contre toute attente, des gars à nous sont déjà entrés !
Ils se battent en petits groupes isolés un peu partout.

… Nous n'aurons donc jamais le temps de souffler !


Dernière édition par Elentar le Jeu 22 Jan 2015 - 23:40, édité 2 fois
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Message par Elentar Mer 21 Jan 2015 - 23:34

Chapitre Troisième :
La Cité des Damnés



Chroniques mentales de Nala :

Voilà la sinistrement célèbre Cité d'Arah ! Tant de sang et de pouvoir parcourent les veines de cette terre maudite... Je sens le pouls du Dragon dans ma tête, et bientôt tous nos efforts seront récompensés !
Mais il nous faut vite avancer : de nombreux Tyriens du Pacte combattent depuis des heures ou des jours dans cet enfer, et ils ne nous ouvriront pas le passage éternellement. Bien sûr Elentar veut les sauver, mais l'heure n'est pas à l'héroïsme. Pourtant, malgré son intelligence, Thauffee est de son côté. D'après elle, l'honneur est tout ce qu'il nous reste quand la guerre nous a tout pris. Cette notion absurde de panache et de dignité n'est qu'un prétexte pour envoyer des hordes d'abrutis à la mort, qui subsiste à travers les chansons et les textes de quelques poètes qui n'ont jamais connu une seule bataille...



Alors que nous nous avançons au-delà des Portes du royaume des Morts, une flèche frôle la tête nue d'Elentar – délesté de son casque lors de la bataille -, faisant voler ses cheveux en arrière.
Son visage s'illumine d'un grand sourire, étonnamment avenant.

« Eh, gros-plein-de-bière ! l'appelle une voix féminine, noble et puissante. Je t'avais pris pour un de ces monstres formés d'un conglomérat de morts infâmes !

- Eir ! Garm ! s'exclame sans s'offusquer notre norn en reconnaissant ses camarades, élevés au rang de héros de leur race. 

- C'est bon de te voir ici, et bien accompagné. Tout cela me rappelle nos offensives contre ces raclures des bas-fonds de Fils de Svanir ! continue la rôdeuse sans cesser d'épingler les morts au bout de ses longues flèches. 
Je me dis que sa réserve de projectiles doit ressembler à un bûcher funéraire.

- Allons mettre en pièces ce Dragon, pour s'échauffer avant de montrer notre force à Jormag ! tempête Elentar. Au fait... où sont les autres ? »

Eir montre alors du menton la direction dans laquelle le combat est le plus intense. J'y vois Zojja qui semble flotter sur la marée de corps décomposés, en fait debout sur son golem, M. Kibrille. L'asura lance des sorts de tous côtés, laissant sa machine repousser les assaillants qui osent l'approcher. Une pluie de flammes et d'éclairs a tôt fait de réduire en poussière des dizaines d'ennemis, mais il en arrive toujours plus.

À quelques mètres d'elle, une forme floue, verdâtre, apparaît et disparaît successivement. Ce doit être Caithe, la voleuse sylvarie à la dextérité légendaire. Ses armes tailladent les morts-vivants un par un, et bientôt un cercle de corps paisibles s'élargit autour de la chlorophylle sur pattes.

Il faut dire qu'elle n'est pas la plus à plaindre : la plupart des zombies ont préféré se ruer sur le plus gros morceau, et surtout le plus bruyant.
En effet, Rytlock combat dos-à-dos avec Logan Thackeray. Je me demande comment mon Tribun, un modèle de rage et de droiture, peut supporter ce bougre de moins que rien... Un soldat épris de sa Reine, incapable de se protéger, et encore moins de veiller sur les siens !
Tous deux se comportent comme dans les chansons qui content leurs exploits : hachant menu chaque adversaire qui vient se presser contre eux, ils s'invectivent l'un l'autre de tous les noms.

« Pleutre !!

- Boule de poils !

- Toutou de la Reine !

- Eeeh ça te va bien de dire ça, bête infâme !

- Demi-portion !

- Gouffre à mierdaaaailleuuuh ! »

Tiens... je crois que cette injure s'est perdue dans un cri de douleur. Il faut dire que choqué par la bravoure et la prestance de son rival, Logan s'est retourné vers lui le visage décomposé. Bien sûr, pareille erreur n'est pas restée impunie, et un misérable paysan mort-vivant s'est permis de lui enfoncer sa fourche entre deux plaques de son armure rutilante.
S'écroulant en criant, tout blanc, Logan a l'air d'agoniser. Il suffit pourtant que Rytlock lui envoie quelques coups de botte bien placés en râlant pour que l'humain se relève en soufflant. Arrachant la fourche du bas de son dos pour rendre son coup à l'agresseur, il a l'air d'avoir repris du poil de la bête... si j'ose dire.

Tout cela me donne fort envie de partager l'une de mes théories avec mes compagnons, tandis qu'Elentar et Eir préparent rapidement notre stratégie.

« Je suis sûr que cet humain, Logan, a sur lui un artefact d'une puissance monstrueuse !! Si vous voulez mon avis, à chaque fois qu'il est sensé mourir, quelqu'un en Tyrie rencontre la faucheuse à sa place... et c'est pour ça que le pays va mal ! Ce crétin n'est capable de rien d'autre que de se jeter dans les bras de la mort à chaque instant !

- Tu es juste jaloux qu'il combatte aux côtés de Rytlock, ricane Nala. Tu essaies de le salir pour te perdre dans tes rêves d'amour entre monstres puants... Pardon ! Je voulais dire entre charrs ! »

Morwintil et moi nous avançons vers la nécromancienne, prêts à la dévorer, quand un cri nous arrête :

« À l'assauuuuuuuuuuuuut !!! »

Tiens, ce n'est pas Elentar ? Non... c'est la voix d'un autre de nos compagnons de la Citadelle Noire... Tybalt !

Et pourtant... je croyais que ce gredin fanatique de pommes était tombé face aux armées de Zhaïtan qui avaient pris position sur l'île de la Griffe. Revoir celui qui fut un jour mon mentor m'émeut au plus haut point.

Suivi par une cohorte d'une trentaine de charrs à l'air éminemment féroce, il massacre les zombies sans aucune pitié. Cela pousse notre groupe à se jeter au cœur de la bataille. En quelques minutes, il ne reste que quelques membres rampants sous nos pieds.

Se dirigeant vers nous en arborant son éternel sourire, Tybalt se lance dans un discours, apparemment fier de nos visages effarés : plusieurs ici connaissent le fameux espion.

« Vous m'avez cru prêt à laisse aux asticots hein ? Ahah ! ricane-t-il. Ils n'auront pas ma trogne si facilement... J'ai été laissé pour mort après avoir pris un vilain coup sur la tête alors que je combattais sur l'un de leurs navires. Celui-ci m'a amené jusqu'ici, et j'ai réussi à survivre grâce à ces vaillants gars que j'ai croisé sur le rivage ! Ils étaient parmi les premiers à oser pénétrer Orr depuis que le pays maudit a émergé de nouveau. Et aujourd'hui je les mène vers la ruine de ce monde !

- En parlant de ruine... le coupe Morwintil, une nouvelle calamité s'amène par ici. »


Et en effet, des cieux vient un immense dragon, un lieutenant de Zhaïtan aux écailles illuminées par le vert glauque qui filtre à travers les nuages empoisonnés. Il est mitraillé par des équipes de tirailleurs postés dans de petits appareils volants à hélice, qu'on a eu le bon goût de nommer "hélicoptères". Seulement, les balles et les flèches lui font autant d'effet que des piqûres de moustique (les petits, pas les espèces de mutants géants de Thaumanova, hein). Dans son ombre se déplace une armée de créatures mortelles ranimées : ours, loups, chauves-souris, corbeaux, wargs, panthères, et même des ... quaggans ?!
Diable ! Comment Zhaïtan a-t-il pu penser que les quaggans feraient de bonnes troupes ? Ils ont déjà du mal à survivre à l'assaut de quelques kraits !

Bientôt, un hélicoptère est heurté par le Ver qui lui assène un coup de queue dévastateur, l'envoyant s'écraser contre les murs fissurés de la citadelle. Un autre va se perdre plus loin après que la bête ait craché son souffle ardent et fétide sur ses occupants. Les trois restants battent en retraite... et ils ont bien raison ! Puis deux d'entre d'eux font demi-tour et reviennent vers nous ! Encore une fois, des cinglés à l'esprit chevaleresque ont pris le dessus sur la sagesse, si vous voulez mon avis...

Mais je n'ai pas le temps d'observer davantage la situation : la guerre continue !

Mon pistolet dans une main, mon bouclier dans l'autre, je me poste à une distance respectable derrière les porteurs d'armures lourdes. Puis l'attente commence.
Il n'y a rien à faire en attendant le choc : derrière nos fortifications sommaires à base de rochers et de morceaux de métal, nous ne pouvons ni nous reposer, ni faire quoi que ce soit de nos deux mains. Et personne n'est d'humeur à discuter. Alors chacun rumine dans sa tête, s'imaginant ce qu'il pourrait faire plutôt que de se chier dessus ici. Ou bien pour les plus "braves", il est commun d'imaginer la manière dont il vont étriper un maximum de zombies.

Quand ils arrivent sur nous, c'est à la fois un soulagement et une terrible angoisse qui me saisissent. Je ne ressens plus cette boule dans mon ventre et l'adrénaline coule à flots dans mes veines, mais tout en moi me hurle de prendre mes jambes à mon cou en jetant ces armes qui m'encombrent. Ce qui me retient, c'est ce lien que j'ai avec tous ceux qui m'entourent. Nous sommes tous dans la même merde, et nous la partagerons jusqu'au bout.

Puis mon humeur s'améliore finalement quand j'aligne quelques cadavres avec mes balles perforantes. Le calme impérieux qui s'empare de moi par la force de l'entraînement m'enveloppe d'une bulle qu'aucune émotion ne vient percer. Je me sens solitaire dans la mêlée, et je ne vois plus mes compagnons ou mes alliés... seulement des formes floues entre la mort et moi. Pourtant, je m'aperçois quand même que l'on recule, pas à pas. La masse qui nous attaque est trop importante, chaque mort renvoyé aux Brumes est remplacé par deux autres. Et au-dessus de nous, le dragon se déchaîne. Il est trop loin de moi pour que je puisse tenter ma chance avec ma pétoire... tant mieux.


Chroniques mentales de Morwintil :

Ça chauffe ici... l'armée de morts est assez loin pour en faire de la chair à pâté sans difficultés, mais ce Ver est une vraie plaie ! J'ai reçu un crachat d'acide qui a rongé ma cape favorite, et nous nous gênons les uns les autres sans parvenir à lui faire plus de dégâts que quelques fourmis à un aigle... Une partie de moi-même me souffle que tous ces incapables seraient plus utiles raides morts, mais je la fais taire d'une impulsion mentale. Je ne veux pas - ou plus - avoir l'air d'un psychopathe comme Nala Deathstar...
Et pourtant, la folie qui habite un recoin de mon esprit pousse en moi, s'étendant malgré mes efforts. Ce qui m'effraie le plus, c'est qu'il est terriblement tentant de s'y abandonner : de ne plus rien contrôler et de me laisser aller. Puis de me réveiller sur un coup du sort soit dans les Brumes soit au milieu d'une marée de corps...
Rugissant ma rage fortifiante, je projette une volée de stalactites vers le ciel, tentant de déchirer les ailes du Ver délétère. Il parvient à esquiver mais perd de l'altitude.
Pas de problème, j'exhibe un sourire carnassier en laissant un peu plus de folie déborder sur mon esprit, et alors qu'une énergie nouvelle m'enveloppe, les stalactites évités retombent en une pluie drue sur le dragon. Aussitôt, le liquide gèle sur sa peau et ses ailes, ralentissant ses gestes. Son vol se fait stationnaire, et alors il est aisé de le cribler de projectiles !
En quelques instants, l'ignoble serpent des airs n'est plus que chair morte, et s'écroule en écrasant plusieurs de nos alliés.



Je n'entends plus le monstre volant d'où je suis... j'espère que c'est le signe de sa défaite ! Pour autant, nous ne sommes pas tirés d'affaire : le nombre commence à faire pencher la balance du côté des morts, et contrairement à nous leurs renforts arrivent !

« Nous n'avons plus le choix ! Hurle Tybalt non loin. Il faut nous séparer !

- Non !! répondent ensemble Logan et Elentar, ce qui rend le norn rouge de colère à l'idée d'être aussi bête que la carpette humaine.

- Héritiers du Destin, Lucioles ! Vous êtes nos champions. C'est à vous d'affronter Zhaïtan. Nous retiendrons ses troupes !

- Ramène ta fraise, Tybalt ! Y'a une place pour toi, tenté-je de l'inviter. Tu t'es déjà sacrifié pour nous... tu ne vas pas recommencer !

- Ne me parle pas de fraises... Beurk.
Et voyez : je suis toujours vivant ! De toute façon, j'ai juré de veiller sur mes gars ! Après tout ça, plantez un pommier en mon honneur sur un bateau pirate, j'en sourirai depuis les Brumes !

- Tybalt, si tu meurs, nous remplirons ta bouche de fraises jusqu'à ce que tu en vomisses et reviennent à la vie !
Cette fois, c'est Rytlock et moi qui crions ensemble.

- Il faut y aller... Maintenant ! » tranche Eir, soutenue par Caithe, Zojja et Nala.

Les larmes coulent sur ma truffe tandis que je cours.Mais je m'en contrefiche, tout comme de savoir qu'il a raison : il nous faut continuer sans lui.

Malgré les pleurs et la douleur, mon esprit est encore clair et mes pensées coulent de façon fluide. Cherchant un élément familier du regard, je le trouve bientôt : les deux hélicoptères revenus vers nous ont atterri. Le premier apparemment sans encombre ; je vois les Héritiers du Destin prendre place à l'intérieur. Il n'y a pas assez d'espace pour davantage de monde. C'est Zojja qui prend les commandes, malgré l'air dépité de l'humain qui est gracieusement venu les sauver et aurait sûrement fait de l’œil à Eir Stegalkin en vantant ses talents. Je ne sais pas ce qu'ils lui trouvent tous, à la grosse. Bon... sa voix grave est PEUT-ÊTRE sensuelle, mais je m'égare.

Il nous reste le deuxième hélicoptère, dont les occupants n'ont pas eu autant de chance que leurs confrères : l'habitacle étant vide, je suppose qu'ils sont morts. Ou mourants. En tout cas, malgré le métal cabossé, la machinerie n'a pas l'air esquintée : une chance !
Je fais signe aux Lucioles de me suivre. Diriger ce tas de ferraille ne devrait pas être plus difficile que de conduire les "avions" de l'étrange Outre-Monde que j'ai visité avec Elentar !

« Attends ! me dit justement le gardien. Un homme nous appelle ! »

Et en effet une voix résonne :

« Eeeeeh les Lucioles ! Aidez-nouuus ! Il faut sauver le major Ryan !!

- Et pourquoi ferait-on ça ? Répond sèchement Morwintil. Tout le monde crèvera ici, vous ne l'avez pas encore compris, crétin ?! Tant mieux d'ailleurs.

- Eh du calme mon ami ! Allons leur porter secours. » Lui lance Elentar, une expression étonnée lui barrant le visage. 

En réponse, le Charr crache au sol et part en direction de l'engin volant.
Sans surprise, Nala le suit, et ajoute son petit commentaire :

« Je vous parie que ces pecnots mourront même avant Tybalt, vu comme ils ont l'air dégourdis. Qu'ils crèvent, et qu'ils n'fassent pas chier...

- Je ... JE ME CASSE !! cette fois c'est Thauffee qui a hurlé, prenant tout le monde par surprise. L'amour ne suffit plus pour supporter ça... Je serai mieux sans toi, et toi sans moi !

- Eh oh hein bon ! Ça suffit le pétage de plomb ! Arrêtez de nous les briser, les casse- noisettes, tenté-je malhabilement pour détendre l'atmosphère.

- Ma chérie... » tente Nala pour retenir sa gardienne, tandis que tout le monde ignore mon calembour vaseux.

Mais Thauffee fait la sourde oreille et marche d'un bon pas - ce qui est impressionnant de la part d'une asura - vers un défilé qui semble contourner l'armée ennemie et mener vers la sortie.

Tout le monde a stoppé sa marche, incapable de prendre une décision vu la tournure inextricable des événements.
Heureusement, Elentar prend en main la stratégie :

« Fenrir, va chercher Thauffee avec Nala. Elle ne survivra pas longtemps seule. Morwintil, avec moi, allons réduire en cendres les zombies qui osent attaquer le fameux soldat Ryan.

- Tu le connais ? Demande Morwintil en s'éloignant avec lui.

- Oui, c'est le protégé de Logan : il a de l'esprit et du succès, surtout pour s'attirer des emmerdes. »


De notre côté, nous courons après la gardienne boudeuse. Nala a les larmes aux yeux, ce que j'imaginais impossible.

« Tu crois que la prêtresse de Lyssa avait raison ?

- Hein ? Bah... non... Elle disait ça juste pour te blesser, tenté-je d'argumenter pour la consoler sans grande conviction.

- Sûrement... » répond-elle d'une toute petite voix.

Un rugissement phénoménal résonne alors, suivi d'un cri suraigu.

La nécromancienne relève la tête, ses yeux brillants d'une lueur animale. Elle prend le temps de souffler une phrase avant de s'élancer plus vite encore :

« Je vais la sauver, et elle m'aimera de nouveau ! »

Passant un coude en suivant les traces de Thauffee, nous la voyons prostrée au sol à une vingtaine de mètres de là. Mais elle n'est pas seule.
Un dragon aux ailes déchiquetées menace la gardienne de son souffle empoisonné. Ou plutôt une dragonne : derrière elle un immense nid fait de chair en putréfaction abrite trois œufs gros comme ma tête.
Face à la couveuse sanguinaire, l'asurette blonde est sans défense : son marteau gît dans la poussière hors d'atteinte. Sous elle s'écoule un liquide sombre. Son saignement m'évoque la triste métaphore des grains de silice s'écoulant dans un sablier. D'ici, je ne vois pas où elle est blessée.
Elle a cessé de hurler, sûrement parce qu'elle n'en est plus capable.

Nala ralentit son pas, qui se fait décidé.
Elle plante alors son regard dans celui de la bête, attirant son attention, puis la défie :

« Je te la laisserai pas ! Thauffee, tu m'entends ? Je ne t'abandonnerai pas ! »


Chroniques mentales de Nala :

Cette rage qui me parcours fait bouillir mon sang, me fait trembler de cette colère qui va déferler sur l'ignominie qui menace mon amour.
Rien ne pourra m'arrêter. Je me sens ... invincible !

« Thauffee ! Relève-toi ! lui crié-je en tentant d'être aussi brave qu'elle. Quand tes compagnons se rassemblent autour de toi et te viennent en aide, tu peux voir l'espoir devenir réel, tangible, et te porter ! »

Elle ne me répond pas. Je ne sais pas s'il vaut mieux que ce soit parce qu'elle ne peut pas ou parce qu'elle ne veut pas.
De toute façon, ma réponse sera la même :

« Fenrir, à mon signal, vide ton chargeur droit dans le crâne de la dragonne. »

Le charr opine de la tête, son arme à feu se retrouvant dans sa main instantanément.

Avec la puissance que ma rage de vaincre me confère, exacerbée par le danger qui menace ce que j'ai de plus cher, je suis capable de me dépasser.
Mes pensées tournent si vite autour de ma conscience que le temps semble ralentir à l'infini. Je suis la maîtresse de la chair. Toute celle qui compose mon ennemi est mienne. La dragonne m'appartient. Et ce jouet ne mérite qu'une seule chose pour avoir fait saigner mon cœur : être brisé.

Il me suffit de penser, pour contrôler la bête. Il me suffit de stopper le flux de sa vie pour rayer son existence de notre plan matériel. Mais elle ne mérite pas tant de pouvoir et d'attention...

« Maintenant. » dis-je à Fenrir.

Alors que le canon de son arme fume et que les balles fusent, je griffe l'air en fixant toujours les pupilles de la dragonne. Elle a senti ma force, et la respecte. L'aura de mort qui m'entoure a suffi à la paralyser. Ce monstre ne songe même plus à déchiqueter ma Dulcinée, et elle n'en sera plus jamais capable.
Au moment où les balles pénètrent la chair du monstre, un peu de liquide verdâtre gicle sur son museau déformé par la putréfaction. L'attaque ne suffira pas à la tuer, mais le signe que je trace dans l'air lie son sang au mien. Tout est en place.
D'une griffe acérée, je me pique le bout de l'index pour y faire perler une gouttelette d'hémoglobine. Dans mon esprit, ce liquide représente la dragonne. Puis je presse mon pouce contre mon doigt blessé, faisant exploser la goutte carmin... et le Ver ailé. D'un seul coup, tout son être corrompu est fragmenté en milliards de fragments.

Fenrir est ahuri par ce qui vient de se passer. Son regard passe de l'immense tache rouge qui couvre le sol à moi, rond de surprise.
Mais je n'ai pas de temps à perdre : je cours jusqu'à Thauffee et m'agenouille auprès d'elle.

Son bras droit a été à demi sectionné... Son visage est blanc comme un linge, et elle respire par saccades.
Mon cœur bat de façon désordonnée, mais il faut que je me calme.
Reprenant mon souffle, je plonge une paume dans les restes de la Bête de Zhaïtan, et de l'autre je prends la main de ma gardienne. Malgré la mort, il reste toujours une certaine énergie résiduelle dans les cadavres... et en particulier dans celui d'un dragon animé par magie. Suffisamment pour guérir Thauffee et lui rendre des couleurs. J'espère juste qu'il est encore temps de la sauver...
Le processus n'est pas immédiat : il faut faire transiter l'énergie doucement, sans quoi son corps risque de ne pas supporter la surcharge. Quant au mien ? Après tout ce qu'il a subi, je ne sais pas vraiment.

Pour la rassurer - mais pas seulement elle - je lui chante sans retenue les mots qui coulent en moi :

« Perdue sur les mers
Dédale infini comme repère
Vacilleras-tu
Sans étoile pour guider tes pas ?
Partage avec moi
Tes larmes et plus profonds effrois
Dis, te souviens-tu
Quand tu chassais les ombres en moi ?

Viens et, prends ma main
Quittons toutes les deux ce chemin
Laisse-moi te donner
Tout ce qu'un jour tu m'as apporté

Quand l'orage s'embrase
Quand les rêves meurent avec les âges
Sache que tu n'es pas seule
Quand la bataille brûlera
Je garderai ton cœur en émoi
Tu te sentiras chez toi

Si tu perds espoir
Que tu es cernée par le Noir
Sache que tu n'es pas seule
Je donnerai tout
Pour sécher ces larmes sur tes joues.
Pour qu'elle n'abreuvent le sol...
Ne trouvant plus mon rythme pour dire ce qui me vient, je lui murmure simplement les mots qui brûlent dans mon âme :

Enfin, la fin du voyage s'approche
Ça me rappelle tant de souvenirs...
Je peux finalement avoir de l'espoir
Je ne peux plus retourner en arrière
C'est pourquoi il ne peut pas y avoir de larmes
Changeons les larmes en courage


Heureusement, alors que son bras se reconstitue, son rythme cardiaque et son souffle reprennent un rythme régulier. Tout comme le mien, son cœur bat fort dans sa poitrine.
Je pousse un soupir soulagé, tandis que l'ingénieur poilu s'approche timidement.

« Elle est vivante. Tout va bien », lui dis-je dans un sanglot.

Lui aussi a l'air soulagé. En fait, ce vieux charr est un sacré sentimental !

Mais je n'oublie pas que nous ne pouvons nous permettre de nous attarder ici. J'attrape ma gourde dans ma sacoche et verse un peu d'eau sur le visage et la nuque de Thauffee. S'ébrouant, elle reprend progressivement connaissance.

Puis ses yeux s'ouvrent sur son regard clair. Un sourire se forme sur mon visage, avant de s'évanouir.
Ses traits sont figés, durs, elle me regarde comme si elle voulait me tuer.

« C'est trop tard, Nala. C'est fini.

- N... non... répondé-je d'une petite voix. Notre amour est plus fort que tout ça !

- C'est là que tu te trompes. La douleur est plus forte que le bonheur quand je suis à tes côtés. J'arrête. Je ne veux plus souffrir.

- Je te rendrai heureuse !! Nous touchons au but ! Bientôt, le pouvoir du Dragon sera nôtre, et nous protégera à jamais. Nous pourrons vivre une vie royale au Château Brumepierre que j'irai conquérir pour toi ! Tu n'auras plus à combattre.

- Ce n'est pas le problème principal. J'ai choisi de combattre quand je suis devenu gardienne, malgré mon aversion pour la guerre. Mais tu ne peux pas comprendre qu'on veuille protéger et sauver ceux qui peuvent l'être. 
Tu n'éprouves que de la haine et tu ne désires que le pouvoir d'en dispenser plus encore. Car pour toi, nous ne sommes tous que des fétus de paille et de sang, nés pour devenir tes esclaves. 

- Non, pas toi !

- Je ne suis qu'une exception ! Mais ce ne sera pas éternel. Et même si ça l'était, je ne supporte pas de te voir agir et penser de la sorte. Je m'en vais.
Fenrir, désolé de ne pas aller jusqu'au bout. Je ne peux plus continuer. Je vais joindre mes forces à celles du Pacte. Explique-le à Elentar et Morwintil et ... dis-leur que je suis fière de ce que nous avons accompli ensemble.
Nala... adieu.

-Thauffee !!!! » crié-je à en perdre la voix tandis qu'elle part là où je ne pourrai la protéger.

Mon cœur est brisé, mon âme déchirée.
Je me sens comme morte, comme une enveloppe vide. Les larmes coulent sur mes joues sans que je ne cherche à les retenir. Plus rien ne compte, tout m'a l'air futile et fade tout d'un coup. Le rouge de la colère voile mon esprit l'espace d'un instant lors duquel je shoote rageusement dans une grosse pierre. La douleur me ramène à moi, et mon ressentiment s'en va aussi vite qu'il était venu. Et pourtant cette douleur n'est rien. Rien à côté de ma souffrance psychique.

Je marche machinalement derrière Fenrir pour rejoindre les autres, qui ont fini leur bataille. Je ne suis là que parce que je ne sais plus quoi faire. Mon esprit tourne dans le vide. Finalement, je regrette la colère qui m'a saisi quelques minutes auparavant. Au moins, elle me remplissait d'émotion. Je décide de me venger de moi-même et de cette destinée qui m'a emplie de tant de douleur.
Je dois tuer Zhaïtan, pour obtenir le pouvoir de reconquérir Thauffee !



Après de brèves explications, Elentar regarde Nala d'un air désolé. Elle lui renvoie un regard furieux, comme pour lui recracher sa pitié au visage.
Morwintil, lui, a l'air d'avoir du mal à se contrôler : il tremble et son regard est fixé dans le vague.
On verra ça plus tard... pour l'instant il faut monter dans cet hélicoptère avant la prochaine attaque de zombies !

C'est parti, je me poste sur le siège du pilote.
Après quelques secondes lors desquelles mes compagnons d'infortune se chamaillent à propos de la grande carcasse du gros-plein-de-bière qui les étouffe, je parviens à trouver les manettes servant à décoller !
Il était temps : alors que nous prenons de l'altitude je vois se presser au sol d'innombrables zombies, dont certains géants...
Et pourtant, ils sont loin d'être notre priorité : partout dans le lointain, le ciel est sillonné par des dragons de formes et de couleurs variées, mais toujours un peu pourris et décomposés.
C'est alors que Nala pointe son doigt dans leur direction, et annonce d'un air théâtral :

« C'est là que nous allons ! »
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Message par Elentar Ven 23 Jan 2015 - 0:04

Chapitre Quatrième :
Au-delà de la Mort


Malgré le frisson qui secoue mon échine, je pousse les manettes vers l'avant, vers le monstre qui tente de dévorer ce monde de toute sa corruption, de toute sa haine... Quoique, le Ver nous haït-il ? En est-il seulement capable ? D'après les théories actuelles, le réveil des dragons est semblable à une catastrophe naturelle : la mise en mouvement de forces incontrôlables mais essentielles au cycle de la Magie elle-même.
Alors... détruire ces Bêtes ne risquerait-il pas de plonger le monde dans le chaos ? De toute façon, si nous ne faisons rien le chaos est certain. Mieux vaut une faible chance de succès qu'une apocalypse certaine !
Cette pensée me remet du baume au cœur.

C'est le moment d'aller botter l'arrière-train de ces lézards volants !

Faisant vrombir un peu plus fort les pales de notre engin, j'augmente notre vitesse : voyons ce que ce tas de ferraille a dans le ventre !
Avec de la chance, nous pourrons passer à travers les sentinelles aériennes de Zhaïtan avant d'être encerclés, mais il sera difficile d'éviter de multiples confrontations avec les véloces vers ailés.
L'anticipant déjà, mes compagnons sont en train de se poster stratégiquement à l'arrière : n'ayant pas de siège à ceinture comme moi, Morwintil et Nala sont attachés au bastingage près des ouvertures gauches et droites. Elentar, lui, s'est assis en tenant fermement son espadon... fiché dans la carlingue.

« Mais t'es un grand malade le norn ! lancé-je en voyant cela, les yeux exorbités.

- Bah... pourquoi ? répond-il innocemment.

Je lève les yeux au ciel et jette des coups d’œil devant moi par à-coups.

- Mais parce qu'on ne bousille pas son propre matériel en enfonçant des épées dedans, nom d'une chiasse de Titan !

- Au moins, ça tient en attendant que tu nous fiches en l'air... ou plutôt en bas ! se justifie-t-il en partant dans un grand éclat de rire.

- Ouais... maintenant qu'on en est là... » grommelé-je dans mes moustaches.

Les autres ne réagissent pas : Nala a l'air entièrement absorbée par le souvenir de Thauffee et le pouvoir du Dragon ancestral, tandis que Morwintil est immobile, le regard dans le vide. Il a l'air pâle... je commence à m'inquiéter pour lui.

« Morwintil ? Eh mon gars ! l'interpellé-je sans recevoir de réponse.
GLADIUM DÉCÉRÉBRÉ ! Mais tu vas répondre oui ? Qu'est-ce qui lui prend à cet ahuri ?
Elentar, secoue-le pour voir. Oui... tu peux lâcher la garde de ta pelle à tarte. OUI BON, lâche-moi ce "fameux acier de Deldrimor forgé" s'il-te-plaît ! »

Au moment où le gardien pose ses mains sur les épaules de l'élémentaliste, celui-ci se met à pousser un rugissement terrible, emprunt d'une incommensurable rage et de sanglots irrépressibles.
Son émoi soudain me fait perdre les pédales le temps d'un instant, et une violente embardée nous secoue alors, replongeant le charr dans sa mystérieuse apathie.


Chroniques mentales de Morwintil :

Apocalypse. Pandémonium. Crépuscule des Dieux. Feu purificateur des Titans. Je me souviens.

J'étais tout jeune... un idiot même pas en âge d'aller me battre. Et pourtant, j'ai réussi à m'immiscer parmi les soldats en partance de la Citadelle Noire, une dague à la main. Je voulais tuer, montrer ma force, devenir adulte.
Le visage caché derrière un casque trop large pour moi, j'ai prétexté être un blessé de guerre défiguré. Puis que Rytlock Brimstone m'avait réaffecté à une unité d'élite pour m'assurer que tout serait conduit selon ses ordres.
Les noms ont leur propre force, même si je m'étonne aujourd'hui que ces ruses de gamins aient alors fonctionné.

Et j'ai pu suivre les guerriers vers leur destinée : la mort.
En effet, cette énième expédition vers les ruines d'Ascalon avait pour but de frapper notre ennemi sur un point sensible : le tombeau de Barradin.
Les fantômes sont un fléau pour mon peuple depuis maintenant si longtemps... Des découvertes récentes avaient permis de déterminer quelques emplacements magiques desquels s'extrait le brouillard qui compose les êtres vaporeux. C'est là que nous allions, afin de détruire les sources de ce mal.

Mais les âmes vengeresses des humains ne se sont pas laissées faire. Plus on approchait du tombeau, et plus nos ennemis se reconstituaient vite : on avait du mal à voir nos propres pieds. Dans la brume, nous avons perdu des dizaines des nôtres sans même nous en rendre compte.
J'ai survécu sans savoir pourquoi : peut-être était-ce parce que j'étais plus petit, ou simplement par chance. Là-bas, je n'ai pas pourfendu un seul fantôme : j'étais mort de trouille.

Quand nous nous sommes retrouvés devant le tunnel menant au caveau, nous n'étions plus que vingt. Puis un bruit étrange est monté des profondeurs, c'était un cri grave semblable au son d'une avalanche.
Les autres ont reculé, et dressé leurs armes devant leurs visages comme si elles pouvaient les protéger.
J'étais tétanisé par la terreur. D'habitude la peur fait fuir, mais quand elle est trop forte elle paralyse jusqu'à vos pensées. Mes membres refusaient de bouger, sauf pour trembler. Mes dents s'entrechoquaient. Je n'arrivais plus à me concentrer sur autre chose que sur la magie qui sortait de ce trou. Insidieusement, je sentais un froid glacial s'approcher, m'envahir, me geler sur place.
Puis quelque chose frémit dans l'ombre à quelques mètres de moi, avant de se jeter à travers l'espace qui nous séparait. Ouvrant la bouche sur un cri silencieux, je vis une flamme noire gigantesque brûler tout l'oxygène autour de moi, de plus en plus grande tandis qu'elle s'approchait. Puis je m'évanouis.

« Mor-win-til ! Mor-win-til ! »

Morwintil... ah oui. C'est ce nom qui résonnait dans ma tête quand je me suis réveillé. Il était écrit en lettres de feu dans mon esprit, gravé par-dessus mes souvenirs plus anciens. Autour de moi, des cadavres calcinés recouvraient le sol. Les cadavres de mes anciens compagnons.
Des membres arrachés formaient un nom sur le sol recouvert de cendres : Gaheron.
Pourtant, étrangement, l'horreur de la situation restait à distance de mes idées, comme si elle ne pouvait pas m'atteindre à travers le carcan qui emprisonnait ma conscience.
Autour de mes mains, un feu noir crépitait sans me brûler.


« Morwintil ! Morwintil ! Cette fois ce sont les voix d'Elentar et Fenrir Mordrelune. C'est vrai... Je suis dans la Cité d'Arah.

- Je commence à me souvenir… dis-je d'une voix pâteuse.

- Te souvenir de quoi ? De garder ces dragons à distance ? » me lance laconiquement Nala.



Ouf ! On peut dire que Morwintil nous a fait une belle frayeur : il reprend conscience au moment où l'un des Vers tourne sa tête reptilienne vers notre hélico. L'élémentaliste le bombarde alors d'une pluie de flammes. On dirait qu'il a repris du poil de la bête durant sa balade spirituelle, si j'ose dire !
Le Ver, impuissant tandis que ses ailes trouées peinent à le soutenir, chute en rugissant. Malheureusement, cela rameute ses petits camarades à des kilomètres à la ronde...

Bon, prenons-le comme un exercice, ou mieux : comme un jeu. Son nom sera "Le scaphandre et le papillon" ou "passe à travers une horde de dragons avec une boîte de ferraille".

« Accrochez-vous ! » lancé-je en laissant au norn le temps de s’agripper de nouveau à son arme.

Les deux mages flottent accrochés à leur corde tandis que nous virons de bord en évitant un Ver d'un poil. Murmurant quelques mots pieux, Elentar nous entoure d'une égide magique qui nous protégera du prochain assaut.

Les sorts volent dans les airs, et Morwintil lance ses boules de feu à une cadence impressionnante : une de la main gauche, puis une de la main droite, faisant déferler les flammes de sa colère de tous côtés. Chaque déflagration est suivie d'un cri, et plusieurs bêtes chutent parmi la dizaine qui nous cerne.
Heureusement, leur nombre est en fait un avantage pour nous : tant de dragons ne peuvent que se gêner pour frapper un petit engin volant.
Hop ! Une petite manœuvre ascendante et deux d'entre eux se percutent violemment et s'agrippent dans une étreinte mortelle.

Seulement, un ver nous survole et nous crache son poison corrosif en quantité. En quelques secondes, le métal fume et brûle au-dessus de nos têtes. Morwintil invoque une vague d'eau pour dissoudre le produit mortel, puis Nala dessine à distance un sceau de sang sur le ventre du dragon, ce qui attire plusieurs de ses congénères qui foncent d'instinct droit sur lui pour le dévorer.
Reproduisant son sort à l'efficacité redoutable, elle entraîne un indescriptible chaos aérien. Et dire que je dois manœuvrer entre des machines de mort qui s'entre-déchirent ... Souffle Fenrir, souffle. Tout va bien se passeeeeeeeeeeer.

Mon monologue mental est précipité par notre chute : notre hélico mal en point est assailli par des zombies invoqués par les dragons... leur pouvoir n'a donc pas de limites ?
Le toit craque, et le poids nous entraîne vers le sol. Elentar découpe les morts-vivants depuis l'intérieur, à travers les trous créés par l'acide ou ceux qu'il perce lui-même. Mais ce ne sera pas suffisant : le moteur surexploité a rendu l'âme dans un sifflement caractéristique et les commandes ne répondent plus.

Il faut évacuer !


Je détache ma ceinture, et suis presque immédiatement projeté hors de mon siège sur Elentar. Il faut dire qu'il prend toute la place et que je ne pouvais pas le rater. Le choc nous fait rouler au fond du cockpit, tandis que je hurle qu'on va s'écraser pour essayer de couvrir le vacarme.
Mes trois compagnons ont de toute façon saisi la situation. Maintenant, c'est chacun pour soi pour se sortir de là. Nous n'avons pas le temps de nous préoccuper les uns des autres.

De mon côté tout devrait bien se passer : une grande couverture de survie à l'air solide est roulée dans un rangement et n'attend que moi. Je l'imbibe de potion ignifugeante puis la déroule et attache chaque coin à ma ceinture avec des nœuds coulants. Maintenant... sortons le lance-flamme ! Voilààà, réglé au minimum et bien en main.
Allez, il n'y a plus de place pour l'hésitation si je veux vivre : je me vide la tête et je saute.
Appuyant sur la gâchette de mon arme en la dirigeant vers le haut, celle-ci chauffe l'air, qui s'élève et gonfle la couverture de survie !
Je suis fier de mon parachute d'appoint, mais j'appréhende l'atterrissage : des Géants et quelques dragons trop touchés pour voler nous attendent en bas...

Les autres ont également eu des idées originales : Nala a invoqué un cimetière entier d'ossements, rattachés entre eux pour former une échelle qui oscille dans les airs. Elle descend en se hâtant avant qu'un monstre ne vienne briser sa construction.

Le gros-plein-de-bière a opté pour une solution plus ... spectaculaire : il a sauté au moment où l'hélicoptère allait heurter une énorme colonne brisée et penchée, et se tient accroupi sur un morceau de carlingue découpé, en équilibre sur le plan en descente.
Juste avant de heurter le sol, il saute sur le côté et je vois la tôle rebondir et tournoyer dans les airs puis s'enfoncer dans les chevilles d'un Géant à une vingtaine de mètres de là.
Le monstre tombe à genoux en criant de rage, tandis que le gardien avance vers lui en tenant son espadon d'une main. Il faut toujours qu'il en fasse trop !

C'est là que je vois Morwintil, qui était resté dans l'engin volant en dernier en amortissant la chute et les chocs grâce au pouvoir de l'air, arrivant même à diriger l'épave au-dessus du Géant agenouillé.
C'est là qu'il déroule une rampe de terre de lui jusqu'à la nuque du mort-vivant, sur laquelle il se laisse glisser en invoquant la foudre dans ses mains. Arrivé au bout de sa langue rocheuse, il projette sa main dans un geste tranchant et découpe à moitié la nuque du monstre !
D'un coup de pied dans le crâne du Géant agonisant, il provoque une explosion qui envoie la tête rouler aux pieds du norn.
Les pouvoirs de l'élémentaliste ont l'air décuplés depuis son pétage de plomb ! Et je ne vais pas m'en plaindre.

Mon vol plané me dépose en douceur à côté d'Elentar, et Nala nous rejoint, alors que trois Géants et deux dragons nous encerclent.
L'asura nous fait signe qu'elle est exténuée, et qu'il lui reste tout juste assez d'énergie pour provoquer une rage sanglante aveugle chez nos ennemis, qui risque de tous nous tuer.
Je déploie une baliste Castrorama et ses munitions de gros calibre : l'art du changement de taille par magie ne produit pour l'instant que des prototypes, mais je ne peux déjà plus m'en passer. Me voilà prêt.
Elentar se lance à l'assaut, et Morwintil tient entre ses mains une sphère de feu noir parcourue par intermittence par des éclairs et des flammes rouges. Je n'avais jamais vu un élémentaliste mélanger différents éléments... Par sécurité, je m'écarte d'autant que possible en alignant la tête d'un Géant dans mon viseur.

C'est le moment : notre nécromancienne se découpe superficiellement une veine de la main, et invoque en psalmodiant le pouvoir du sang sous la forme d'un grand pentacle sous les pieds d'Elentar.
De longs cris furieux résonnent tout autour de nous, alors que tous se jettent en direction du fier gardien immobile.
J'actionne le mécanisme de ma baliste et le trait parcourt l'air en un instant avant de transpercer de part en part le crâne de ma cible. Le mort-vivant rampe encore sur deux mètres avant de s'effondrer.

« Au suivant ! »

Morwintil a lâché son sort apocalyptique et la sphère se déplace lentement en flottant vers un dragon qui charge gueule ouverte. En tentant de détruire la chose qui vient à lui, il mord hargneusement la boule d'énergies mêlées qui explose entre ses dents. Une détonation retentit tandis que la moitié de la bête est réduite en cendres, et que l'autre moitié est secouée de violentes convulsions. Le souffle projette un Géant à terre, mais m’ébouriffe tous les poils et dérègle complètement mon arme de siège.

« Mais t'es un GRAND MALADE ! » lui lancé-je, mi-coléreux mi-admiratif.

De son côté, le gardien a face à lui un Géant et un ver, et roule derrière l'énorme zombie pour échapper au crachat verdâtre du dragon. Celui-ci souffle alors une vapeur empoisonnée que le gardien dissipe en invoquant un symbole de protection et en tournoyant sur lui-même l'espadon tendu.
Dans le même mouvement, un coup puissant de son large espadon dans les tendons du mort-vivant géant le fait ployer. Le norn grimpe sur lui. Je me rapproche en voyant le reptile se jeter sans distinction sur ceux qui lui font face. Elentar prend appui sur l'épaule du Géant et saute au-dessus de la mâchoire grande ouverte pour atterrir entre les naseaux du ver en même temps que ce dernier déchiquette le grand tas de chair morte. Puis il enfonce sa lame à travers le crâne du dragon. Cela ne suffit pas à le tuer, mais le rend fou de rage.

Et c'est parti pour un tour de rodéo... à tous les coups, le gros-plein-de-bière va se vanter durant des années d'avoir chevauché un dragon !
Pourtant, il n'y a pas de quoi être bien fier : il s'agrippe désespérément à sa garde, ballotté dans tous les sens par les gestes brusques du ver.
Mais celui-ci commence à s'épuiser.
Maintenant suffisamment proche - mais aussi suffisamment loin - je lance au gardien un paquet qu'il parvient à saisir d'une main, et qu'il enflamme de son pouvoir. Mais quel ... benêt !

« C'est une bombe ! Crétin ! lui lancé-je en espérant qu'il aurait la présence d'esprit de la jeter loin de lui - et de moi -.

- Je sais bien ! Justement ! » crois-je entendre en réponse.

Comment voulez-vous mener à bien une mission avec pareils raisonnements ?

Il lâche alors son espadon, et se retrouve projeté dans les airs vers l'avant dans un magnifique vol plané. Roulant sur lui-même, il lance le paquet embrasé en direction de la gueule du dragon, et l'explosion envoie des shrapnels de toutes parts, transperçant les yeux du reptile. Le gardien se protège derrière ses gantelets tandis que les fragments rebondissent sur son armure lourde et qu'il heurte le sol en levant un nuage de poussière.
Se relevant, il rejoint le ver agonisant, retire son espadon et l'abat encore et encore jusqu'à détruire les restes cérébraux de la bête. L'arme brandie vers le ciel, le héros pousse son fameux cri de guerre :

« TATA YOYOOOOO ! »

De leur côté, Morwintil et Nala sont venus à bout du dernier Géant, qui n'a apparemment même pas pu se relever après l'explosion qui l'a envoyé mordre la poussière.

La victoire est nôtre !
... mais pas pour longtemps : notre bataille a dû provoquer un étrange événement, car la terre tremble sous nos pieds.

« Seule la charge d'au moins deux-cents norns peut provoquer pareil résultat ! commente Elentar, habitué aux champs de batailles.

- Ce ne sont pas des norns... courrez ! répond Nala, tandis qu'une armée d'animaux morts- vivants, essentiellement des gorilles, se précipitent vers nous à toute allure.

- Je vous rejoins ! » dis-je aux autres, la peur me nouant les tripes de manière douloureuse tandis que je bricole à toute allure près de la carcasse de l'hélicoptère crashé.

Morwintil claque des mains, et la terre s'ouvre devant la horde adverse en faisant tomber des dizaines de zombies. Je n'avais jamais vu un sort lancé sur une telle distance. Puis le gladium et Nala opinent de la tête et partent à la recherche d'un abri. Elentar, toujours fidèle à ses principes, essuie son arme sur un cadavre et se poste à mes côtés.

« Tu es bien brave, mon ami ! me dit-il sans aucune trace d'angoisse.

- Pas autant que toi, El', lui réponds-je.

- Si tu étais un norn, tu serais bien meilleur que moi », me dit-il avec le plus grand sérieux.

Son compliment me laisse sans voix tandis que mes mains travaillent automatiquement. Je n'ai pas assez de temps !

« Tiens, va poser ça aussi loin que possible, lui demandé-je en lui tendant un fil enroulé raccordant de nombreuses grenades.

- Je me demande comment tu mets autant de choses dans ton sac, me répond-il en prenant le fil.

- Être ingénieur, c'est être ingénieux », lui lancé-je avec un clin d’œil.

Ouf, c'est bon ! Le système d'allumage est prêt. Plus qu'à tendre le câble de l'autre côté... Non ! Je n'en aurai pas le temps : les animaux en décomposition seront sur nous dans une quinzaine de secondes.

« Elentar !! On décampe !! »

Le gardien hoche la tête et me rattrape. J'attrape ma bobine entre mes crocs et me lance à quatre pattes pour accélérer. Du coin de l’œil, je vois nos poursuivants courir sur des dizaines de rangées de vingt mètres de large... les armées du Dragon ancestral sont donc si grandes !

C'est le moment... Ils arrivent à la hauteur de l'hélico. D'un raclement de mes crocs contre le fil, je crée une étincelle qui se propage derrière moi, en priant pour que tout fonctionne.

Et c'est au-delà de mes espérances : une série de "boom" résonne derrière nous en nous vrillant les tympans, et je vois des dizaines d'ennemis être projetés en tous sens tandis que la plupart brûlent et propagent le feu les uns aux autres. Puis notre regretté engin prend feu avant d'exploser à son tour. Je ne sais pas avec quoi sont approvisionnés les hélicoptères, mais la substance doit être sacrément inflammable !

Seulement, il sont tellement nombreux que la deuxième vague piétine la première, étouffant les flammes. Et ils sont toujours innombrables.
Damned ! Au moins, nous avons gagné de précieuses secondes.

Avec tout ça, j'ai failli rater le signal de notre élémentaliste, qu'Elentar me montre du doigt : une boule de flammes s'élève dans les airs, environ deux-cents mètres à l'Est. C'est là qu'ils ont dû s'abriter.
Nous les rejoignons en traversant de petits tunnels dans la roche pour semer nos poursuivants. Nos compagnons ont trouvé une grande grotte formée par des décombres stabilisés, dans laquelle nous pourrons enfin nous reposer !

Je m'allonge à même le sol en poussant un soupir de bien-être.

« C'est avec des racailles comme toi qu'on retrouve les anciennes cités en ruines ! » me lance Morwintil, goguenard.

Nous partons tous dans un éclat de rire nerveux.

Avant de s'installer confortablement, Elentar s'assoit en tailleur et lève les mains en l'air, paumes vers le haut. Il murmure quelques mots incompréhensibles, sûrement pour se concentrer, puis ouvre ses yeux remplis d'un feu azuré.
Entre ses mains apparaît un livre fantomatique, comme fait de brume bleutée. Il se met à le lire, sa voix grave résonnant dans nos entrailles. Je ne connais pas la langue qu'il parle, mais j'ai l'impression de comprendre les mots comme s'il s'agissait d'émotions, d'images, de sons, d'odeurs, de douleur. L'espace d'un instant, tous mes sens sont exacerbés, puis j'ai l'impression qu'un fluide me traverse en emportant au loin toute douleur, tout mal.

« Merci, Elentar ! lui lance-t-on dans un bel ensemble.

- Pas de quoi, bande de gnoufs », nous baragouine le gros-plein-de-bière.

Nous avons tous déjà bien meilleure mine, surtout Nala ! Il paraît qu'aucun sort connu ne guérit les peines d'âmes, mais du moins il a l'air de l'alléger d'un sacré poids.
Nous piquons un somme en prenant chacun un tour de garde. Malgré la perpetuelle semi-pénombre glauque, il est facile de s'assoupir quand on a traversé mille périls.


Nous voilà de nouveau prêts ! Je ne m'étais jamais frotté à de pareils dangers, et dire que nous n'avons pas encore vu le plus grand de tous... Zhaïtan. Rien que son nom fait froid dans le dos. Un Dragon ancestral ! Une Bête à la puissance démesurée, dont le pouvoir est comparable à celui d'un Dieu ou d'un Titan !
Je chasse tout cela de mon esprit. Rien ne sert de se faire peur, cela viendra bien assez tôt. Essayons de faire comme Elentar : faire de la peur son alliée. Si j'y parvenais, je deviendrais assurément invincible !

Aujourd'hui, notre destination est le centre de la Cité d'Arah.
Le Ver est sûrement tapi au fin fond de son repère, et le plus rapide est de couper à travers les anciennes grandes avenues de la Cité.

En sortant de notre grotte, nous retrouvons progressivement la vallée formée par les murs effondrés et l'usure. La pierre a été recouverte de poussière, tant et si bien qu'on a rarement l'occasion de la voir sous nos pieds.
Et pourtant, tout a été retourné avec le passage de l'armée d'animaux morts-vivants. Mais il n'y a pas d'autres indices de leur existence. Heureusement, vu la taille d'Arah nous avons peu de "chances" d'être de nouveau confrontés à eux.

De chaque côté du large passage, des sortes d'arbrisseaux émergent du sol, biscornus et corrompus. Lors de notre passage, une sorte de gros fruit violet s'illumine à leur sommet. Ils s'étalent sur des dizaines de mètres.
Soudain, Morwintil invoque un mur de roche autour de Nala en criant :

« Attention ! Il y a des mines sous nos pieds ! »

Et en effet, juste devant la nécromancienne le sol explose violemment. En regardant plus attentivement, je m'aperçois que le sol retourné est parcouru de bosses sous lesquelles peuvent se cacher n'importe quoi.
Alors les armées du Dragon aussi savent poser des pièges... Heureusement que notre élémentaliste a su que...

« Comment l'as-tu deviné ? grogné-je dans sa direction.

- L'instinct », répond-il en haussant les épaules, avant de détourner la tête.

Ce gladium est de plus en plus étrange.
Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir davantage que les arbrisseaux se mettent à émettre des orbes de poison vaporeux par l'espèce de fruit qui les surmonte. Des tourelles ! Et sacrément rapides avec ça... Nous sommes tous touchés à plusieurs reprises, et chaque bulle qui éclate sur nous inflige une douleur aiguë.
Comme si ça ne suffisait pas, chaque esquive risque de nous amener sur une mine. Il nous faut reculer de toute urgence !
Sauf que bien sûr dans les moments propices à la panique, tout va de plus en plus mal : derrière nous déferlent les armées de Zhaïtan, nous coupant toute retraite.

« Tous sur moi ! Tenez notre position ! » Crie Elentar.

Nous lui faisons confiance et nous avançons à sa hauteur, mais il me paraît évident que nous allons simplement nous faire piétiner par nos ennemis ! Nous ne pouvons pas massacrer une armée à quatre, malgré nos atouts et nos pouvoirs...

C'est alors que le gardien brandit son poing ganté et fait un geste obscène aux zombies qui nous toisent, avant de frapper le sol violemment.
Autour de nous, des explosions retentissent alors que les mines détonent sous le choc.
Voilà une bonne idée, gros-plein-de-bière ! Je lance des grenades droit devant afin de libérer un chemin de tout danger, et une nouvelle fois la poussière s'étire dans les airs.
Mais comment éviter les tirs des tourelles en étant grossièrement placés en tas ?
C'est en me posant la question que je remarque que l'on ne subit plus leur assaut.
Quand la poussière retombe, je vois que nous sommes entourés par un dôme qui renvoie tous les projectiles qui nous sont destinés ! Je me fais la réflexion, pour la centième fois, que rester près du norn est l'un des meilleurs moyens de survivre à une bataille désespérée !
En quelques instants, la plupart des tourelles se sont entre-détruites et ont décimé une large portion des zombies !

« En avant ! » nous lance le gardien en ouvrant le chemin, tandis que son écran s'étiole.

Et nous voilà partis dans une course effrénée. Morwintil nous entoure d'air tourbillonnant afin de dévier toute attaque, et Nala nous sourit en faisant un signe de tête vers l'arrière. Jetant un regard, je vois qu'une vingtaine de zombies nous suivent, et mon cœur s'affole. Mais l'asura me fait signe de rester calme : c'est elle qui a pris leur contrôle.
J'ai vraiment l'impression d'être tombé au milieu des légendes. Leurs pouvoirs sont simplement ahurissants... Il va falloir que je me montre à la hauteur, nom d'une sangsue anémiée !

Nous arrivons alors sur une hauteur loin des pièges, et nous arrêtons pour reprendre notre souffle.
Je jette alors un regard circulaire : d'anciens obélisques couverts de runes sont dressés tout autour de nous. La lumière se réfléchit sur leurs parois polies et se concentre au centre du cercle, au point de m'éblouir.
C'est alors que je vois de grandes taches lumineuses apparaître devant l'horizon. Elles semblent se focaliser devant les pierres dressées, sous la forme de jotuns de lumière.

« Encore un piège ? demande Nala.

- Plutôt les restes d'un ancien temple... j'ai vu ça quelque part dans un livre du Prieuré, marmonne Elentar.

- Que nous veulent-ils ? demandé-je.

- Disparaissez !!! Hurle alors Morwintil d'une voix étrangement stridente en se protégeant les yeux d'un bras, frappant l'air de l'autre.

- Mais qu'est-ce qui lui pr... » commencé-je avant de voir les Jotuns lumineux converger vers l'élémentaliste.

Nous nous plaçons alors en triangle autour de notre compagnon et je tire une salve de semonce. Mais les êtres de lumière continuent, silencieux, imperturbables. Pendant ce temps, Morwintil se tord par terre en hurlant. Je crois voir une forme noire onduler dans son gosier.

Nala prend en main sa faux et la déplie d'un geste, avant de découper l'un des êtres vaporeux en deux. Celui-ci n'a même pas l'air de le remarquer, et reprend forme au fur et à mesure que la lame le traverse, comme la lumière réapparaît quand l'ombre sur elle se déplace.

« Il faut qu'on le tire de là ! » m’époumoné-je.

Elentar prend alors sur son dos notre ami gémissant, et fonce en direction d'un trou laissé par la formation des formes blanches. Mais deux jotuns brandissent d'immenses lances en croix entre eux, et le gardien s'y heurte de plein fouet. Norn et charr sont jetés au sol sous le choc. Je me place devant le gladium pour le protéger de mon corps, mais un être de lumière m'écarte d'une claque qui me brûle les poils.

« Laissez .. mes .. amis !! » crie alors Nala en invoquant un spectre d'ombre semblable à celui du temple de Lyssa.

Se retournant, les spectres éblouissants s'avancent alors vers celui-ci, tandis que nous en profitons pour évacuer avec Morwintil, évanoui.

« Mais que font-ils ? demandé-je.

- On dirait... qu'ils le mangent », répond la nécromancienne en haussant les épaules.

Puis nous prenons la fuite sans demander notre reste, en direction du grand Colisée d'Arah, qui s'ouvre en face de nous et vers les tréfonds de la cité.

Sur le chemin, même sans tendre l'oreille, on remarque que les rugissements du Dragon portent jusqu'ici... le Pacte a fait du bon boulot pour l'affamer et l'affaiblir au cours de ces mois de campagne.
Ou peut-être est-ce un avertissement que la Mort nous envoie ?
En tout cas, cela ranime Morwintil, dont le regard est à la fois emprunt de douleur et de joie.

« Je suis... revenu ? demande-t-il.

- Oui, oui, tout va bien, le rassure Elentar.

- Où est passée l'ombre ?! demande-t-il soudain avec une voix paniquée.

- Elle a été dévorée par les jotuns, je crois, mais tu étais encore conscient ?

- Je ne sais pas... », répond-il en se remettant sur pieds, l'air complètement perdu.


Devant le Colisée, quelques morts-vivants traînent les pieds, comme laissés là sans raison, sans tâches. Ils sont vite mis en pièces.
Les immenses battants sont ouverts sur un large cercle plat qui pourrait contenir le conflit de deux armées. Ici, on voit encore la pierre. Celle-ci s'élève tout autour de ce Colisée jusqu'à trois mètres de haut avec une épaisseur d'un mètre et demi... avant qu'elle ne s'effondre, ce devait être une vraie fortification !
Mais le plus surprenant se situe au fond de l'arène, avachi contre un mur comme s'il s'était assoupi.

« Par la corne d'abondance du grand Dolyak d'Hivernel ! Jure le norn. Un Giganticus Lupicus ! J'ai affronté un de ces monstres quand les armées de Zhaïtan ont commencé à remonter vers le Nord, mais un sacré golem avait fait le gros du boulot. Au Prieuré, j'avais effectué quelques recherches sur les plus grands et terribles monstres que la Tyrie ait portés, afin de pouvoir les occire. Et mes yeux s'écarquillaient devant la description de ces titans d'antan ! Ces loups géants vivaient il y a plus de …

- Eh oh tu vas pas faire ton asura ! lancé-je au gardien qui hoquette de surprise, m'attirant en prime le regard courroucé de Nala.

- Mais que fait-il ici ? reprends Elentar. Attention... son corps a l'air corrompu : une telle décomposition n'est pas signe de mort naturelle après tant d'années.

- Il n'y a qu'un moyen de savoir, réponds-je en m'avançant et en balançant mon pied dans le corps puant de sept mètres de haut.
Eh le moche ! Qu'est-ce que tu fous là ? »

Et à ma plus grande surprise, mon coup fait frémir tout le cadavre.

« Je crois qu'il n'a pas aimé ta blague », ricane Nala.

Mais je n'ai plus du tout envie de plaisanter, et je recule d'une bonne dizaine de mètres avec mes bottes fusées et une roulade arrière avant de mettre en joue l'animal mythologique et de vider mon chargeur dans son crâne.
Puis je regarde la nécromancienne, qui a l'air de bien s'amuser à faire bouger le corps inerte grâce à ses pouvoirs. Dépité, je m'apprête à lui lancer une répartie cinglante - ou du moins essayer - quand le visage de l'asura devient blafard.

« Oh... oh meerde ! Qu'est-ce que c'est que ce ... Son esprit est toujours enfermé dans son corps ! Ce machin va revenir à la vie, et complètement taré et furieux si vous voulez mon avis ! explique-t-elle à toute allure en cherchant son arme.

- Formidable ! » S'enthousiasme Elentar, s'attirant les regards noirs de nous autres êtres sensés.


Un vrombissement emplit alors l'air autour de nous : des guêpes zombies sortent du cadavre du monstre et fonce sur nous. Je dégaine le lance-flamme et les grille rapidement, tandis que Nala se lance dans un sortilège apparemment complexe pour reprendre le contrôle du Lupicus.

« Tu penses en être capable ? Lui demandé-je.

- Il le faudra bien ! répond-elle, anxieuse.

- Tata YOYOOOOOOOOOO ! » conclut notre gardien en se jetant à l'assaut de l'antique abomination, qui a ouvert ses yeux morts et se relève dans d'ignobles craquements.


Avant même que l'acier du norn ne le touche, le monstre bipède a déjà bougé : son bras entier se change en une indistincte ombre verdâtre avant de réapparaître pour bloquer le coup avec ses longues griffes. Les deux êtres sont immobilisés dans un féroce bras de fer. Sa deuxième patte est prête à découper Elentar en morceaux sanguinolents mais s'interrompt à quelques centimètres de lui, complètement gelée par la magie de Morwintil.

« Ce monstre est bien plus fort que celui que j'ai déjà affronté ! Grogne le gardien.

- Ce doit être la proximité avec le Dragon », lui lancé-je en déployant mes tourelles.

Cinq filets lestés enveloppent les membres et la tête du Lupicus, ralentissant ses mouvements, tandis que je tire en visant ses yeux morts.
Mais mes balles le traversent puis la chair se reconstitue après leur passage, et il n'a pas l'air d'avoir besoin de la vue. Puis des flammes commencent à dévorer sa poitrine, invoquée par notre élémentaliste.

Rugissant sa rage dans un cri qui paralyserait de peur le plus vaillant des soldats, il s'élève alors dans les airs en déchirant mes filets, rompant le contact avec Elentar. Le norn en profite pour lui infliger une large entaille en tentant de lui couper le bras ; mais l'instant d'après nous nous courbons tous en deux sous la douleur : que le monstre absorbe nos forces en usant de la nécromancie de celui qui l'a ramené à la vie. Les flammes de Morwintil s'éteignent.
Cependant cela ne dure pas : Nala a terminé son rituel à temps, et parvient à contrer la puissante magie qui nous vampirisait. Le monstre s'est maintenant tourné vers elle, et se mue en une ombre mugissante qui se précipite sur l'asura. Toutes nos attaques traversent cette forme sombre sans effet, puis le Lupicus reprend sa forme tout en assénant un terrible coup à la nécromancienne. Une gerbe de sang éclabousse le sol. Nala hurle et s'écroule. Ou plutôt ce qu'il reste d'elle : un bras et une jambe gisent non loin.

Nous précipitant vers elle, nous sommes tous trois arrêté par un mur qui prend forme en une fraction de seconde : nous sommes enfermés dans des dômes verdâtres plus durs que l'acier, qui semblent couler autour de nous et sur nous. La substance me ronge la peau... du poison ! Je m'empresse de me couvrir de mon manteau étanche qui me protégera quelques secondes, et tire à travers la substance sombre. Mes balles traversent la chose, mais perdent trop de vitesse pour pouvoir blesser le monstre. Celui-ci s'approche de moi pour m'achever. C'est la fin.

Mes compagnons ne sont pas en meilleure posture. Morwintil tente de brûler le poison, mais celui-ci s'évapore sous l'effet de la chaleur et le gladium perd connaissance en l'inhalant.
Elentar est encore protégé par son armure, mais tente sans y parvenir de s'extraire du cocon fatal. C'est alors qu'il invoque une épée fantomatique, qui frappe à plusieurs reprises le dôme incassable avec une vélocité ahurissante, déviant le liquide poisseux. S'entourant d'énergie protectrice, le gardien force le passage en se jetant dans une chute avant.

Il se jette sur le monstre géant en hurlant un défi à la mort, pendant que son arme d’outre-monde lacère le cuir de l'abomination. Cette diversion empêche le Lupicus de maintenir son sort, et les dômes mortels s'étiolent.

L'abomination tente alors de dépecer le norn puis de lui arracher la tête à coups de crocs jaunis, mais le gardien lui tourne autour, pare et esquive, laissant son invocation blesser la bête. Celle-ci écarte ses griffes et recule ses bras, puis les avance un par un à un rythme effréné, projetant un orbe d'énergie à chaque mouvement. La pluie de projectiles magiques s'écrase sur Elentar et autour de lui, creusant un large cratère. Il parvient à en bloquer quelques-uns, mais les autres le percutent et l'envoient s'écraser contre un mur. Plusieurs briques descellées s'écrasent sur lui, l'assommant pour de bon.

Je suis de nouveau libre de mes mouvements, mais totalement impuissant. Avec un hurlement emprunt de folie, la bête savoure déjà son festin. Nala est perdue, et Morwintil et Elentar hors de combat. Avec la force du désespoir, je lance une volée de grenades sur le Lupicus, mais cela lui arrache à peine un grognement et quelques lambeaux de chair. Puis j'attrape mon lance-flamme et appuie sur la gâchette en criant ma peur pour le tenir à distance, mais rien n'y fait : il se transforme en ombre et fond sur moi.
Je ne parviens même pas à fermer les yeux sur ma fin. La terreur tient mon cœur entre ses griffes. Mais je ne regrette rien.

Une immense Liche apparaît devant l'ombre du monstre. Est-ce la forme qu'a choisi la Faucheuse pour venir prendre ma vie ?

Pourquoi la Mort arrête-t-elle la charge du Lupicus ? Celui-ci est stoppé par un coup formidable qui lui rend sa forme charnelle en le projetant au sol. Puis d'innombrables invocations faites essentiellement de crocs et de griffes se jettent sur lui pour le dévorer. Des orbes d'énergie fondent sur la Liche, la traversant en arrachant de sa substance. Elle lève alors une main vers le ciel, et un cercle noir se dessine sous l'abomination, fait de symboles nécromanciens. La chair du mort-vivant fond, laissant apparaître os, tendons et entrailles.
Puis d'un coup la Liche disparaît, et à sa place se tient Nala Deathstar.

« Tu es mien ! Je ne peux pas mourir maintenant... je dois vivre pour Thauffee ! » Crie-t-elle comme un défi à la face rongée du géant de l'ancien temps, en se concentrant pour prendre le contrôle du corps pourrissant.

Comment... là où se tenait son corps, il n'y a plus qu'une large tache de sang. En tombant dans les abîmes de la mort, elle aurait trouvé un pouvoir plus grand encore ?
Mais apparemment elle n'a plus l'énergie de maintenir cette forme dévastatrice, et le Lupicus se relève déjà.
Un formidable duel de pouvoir et de volonté fait rage entre eux deux. Mais leur folie risque de les mener ensemble derrière le voile de leur fin. Et je ne peux laisser mourir Nala après qu'elle m'ait sauvé de la sorte.

Brandissant mon arme chargée avec mes plus précieuses munitions, je tire aussi vite que possible. Mes balles fantômes, faites de la même matière que les spectres d'Ascalon, impactent le Lupicus en traversant son corps, mais aussi son esprit.
Il paraît que ceux qui sont pénétrés par cette brume entendent les voix des morts hurler en eux. Et on ne peut gagner un duel contre leur haine éternelle.

Nala brandit victorieusement sa faux, puis l'enfonce dans le corps du monstre qui la surplombe. Les ténèbres enveloppent l'abomination et la dévorent, ne laissant que des restes bel et bien morts.


Se retournant, Nala me sourit. Elle est fière d'elle, et il y a de quoi. Puis les ombres qui ont fait un festin du cadavre s'envolent vers Morwintil et Elentar. L'une d'elle vient à moi et je recule pour l'éviter, mais elle me traverse subitement et je sens mes forces me revenir.
Le norn et le gladium reviennent à eux. Une fois de plus, nous avons survécu.


Le tonnerre des armes se fait entendre à travers toute la Cité d'Arah. Le ciel se pare d'éclairs et d'explosions, comme des supernovas qui s'inscriraient dans les airs.
Puis une forme indescriptible tombe vers nous comme une comète. C'est titanesque, plus grand que le Colisée qui nous entoure. De toutes parts gesticulent des tentacules terminés par les bouches ouvertes de reptiles qui s'ouvrent pour réclamer leur pitance.
La créature, d'un vert sale proche du marron, est pourvue d'une tête triangulaire dotée de deux yeux brillants de la même lueur glauque que le ciel, et terminée par un large museau sous lequel d'innombrables serpents de chair semblent se battre pour sortir de la gueule du monstre. D'autres excroissances forment comme des cornes, elles aussi pourvues d'une cavité buccale empoisonnée.
Derrière son corps large comme trois navires de guerre flotte une interminable queue qui se sépare en de multiples parties de plus en plus fines. De chaque côté du tronc battent des ailes terminées par des griffes aussi grandes qu'une maison. Ces voiles organiques sont percées et calcinées de toutes parts, ne permettant qu'un vol plané à la créature.

Zhaïtan, le Dragon ancestral, va s'écraser sur nous.
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Message par Elentar Sam 24 Jan 2015 - 1:30

Chapitre Cinquième :
L'Alchimie Éternelle



Chroniques mentales de Zhaïtan :

Fureur. Faim. Douleur. Colère. Pouvoir. Nécromancienne. Ire. Tuer. Manger.


Chroniques mentales de Thauffee :

On l'a eu ! Le mégalaser a enfin bien voulu fonctionner, et nous avons réussi à lui brûler les ailes ! Dragon, ta fin est proche et ton destin scellé !

J'espère que les Lucioles ne lui tomberont pas dessus, autant pour leur bien que pour le nôtre.



« Il va nous tomber dessus !!! crié-je en courant vers le fond du Colisée.
Barrons-nous ! »

Bien sûr, personne ne me suit. Il faut croire que le pouvoir du Dragon, qui terrifie toutes les créatures qu'il approche, ne fonctionne pas sur mes camarades. Il leur manque vraiment une case !

Quelques secondes plus tard, le choc m'envoie rouler sur plusieurs mètres, et secoue la terre comme la plus grosse bombe que j'aie vue exploser.
Je me relève comme je le peux, et me retourne pour estimer la situation.
Le Dragon ancestral s'est écrasé en fait bien avant de nous atteindre, mais la monstruosité qui lui sert de tête a défoncé la moité du Colisée.

Quand la poussière retombe et que je perçois les détails, je vois un ours énorme debout sur le museau du Ver en train de se relever. On dirait une montagne qui lévite...
Le plantigrade, sans doute Elentar métamorphosé par la magie de ses Totems, arrache d'énormes morceaux de chair au Dragon à coups de griffes. Mais à l'échelle de la Bête, ces pertes sont infimes. Puis il se met à combattre les sortes de tentacules serpentiformes qui parsèment le corps de Zhaïtan.
Le gardien est rapidement expulsé de son perchoir d'un mouvement de tête, et tombe à terre.

Je réfléchis à toute allure : je ne voyais pas ça aussi gros, en fait. J'imaginais pouvoir terrasser le monstre en lui jetant une bonne bombe en travers de l'estomac, mais les risques ne valent pas la peine de lui refiler une simple indigestion.
Morwintil déchaîne sa puissance en faisant pleuvoir des comètes enflammées sur le corps de notre ennemi, mais cela doit lui faire le même effet qu'une attaque de cure-dents sur un norn en armure !

Quant à Nala, elle est à seulement quelques mètres de la gueule grande ouverte de Zhaïtan, face à l'enfer, imperturbable.
Autour d'elle et sur elle sont dessinés des pentacles d'ombres complexes, et elle tente de donner des ordres au Dragon. Mais elle est complètement folle !

Loin d'être intimidé, le Ver délétère rugit, et d'innombrables zombies sortent de terre tout autour de nous.
Peut-être ne peut-il pas nous dévorer s'il nous extermine de son souffle ou nous réduit en bouillie d'un coup de patte ? Ou alors le pouvoir de Nala est devenu assez fort pour que son esprit puisse rivaliser avec celui du Dragon...


Chroniques mentales de Nala :

Alors voilà l'alchimie éternelle. Je suis un esprit, capable de s'extraire du carcan de la matière afin de l'observer, en infiniment petit ou en infiniment grand. Je peux voir l'énergie de toutes choses. Le Dragon est là, immense. Il lui reste suffisamment de puissance pour anéantir la moitié de la Tyrie.

J'étais mourante, mais le passage entre les mondes est mon domaine, mon jardin. Mon pouvoir est ma ligne de vie, ma bouée de sauvetage. L'agonie m'a seulement rendue plus forte. J'ai pu apprendre de la Mort, et obtenir d'elle un pouvoir plus grand encore.
Maintenant, je suis capable de rivaliser avec le Dragon, d'affronter la plus terrible force de la Nature. Dompter le Ver est à ma portée.
Nos pouvoir et nos volontés, mêlés en une vague d'énergie brute, s'affrontent dans un choc titanesque. Il serait idiot de lancer dès maintenant toutes mes forces dans la bataille : paralyser la Bête suffira pour que mes compagnons l'affaiblissent encore. Et une fois qu'elle sera à l'agonie... alors je lui volerai son pouvoir.
Je frémis, davantage d'excitation que de douleur. Zhaïtan tente de détruire mon libre-arbitre, de faire de moi sa marionnette. Mais ma volonté est trop forte pour cela. Je n'ai pas le droit d'abandonner, pas tant que Thauffee ne m'aura pas pardonnée.


Les morts attaquent de toutes parts, véritable marée de corps se mouvant dans un seul but : nous entraîner de leur côté des Brumes.
Mais tel le feu de l'espoir qui m'étreint encore, mon lance-flamme brûle des dizaines de ces êtres impies, accélérant leur décomposition jusqu'à les réduire à l'état de cendres et de poudre d'os.

Morwintil aussi a choisi la chaleur comme arme. Il est entouré d'une armure de flammes, qui mugissent à chaque fois qu'un idiot de zombie se consume en se jetant sur le gladium. Dans sa main, un fouet de lave claque au milieu des ennemis, les découpant net.

Elentar s'est relevé sous forme norne après être tombé de la tête du Ver. Il est entouré de plusieurs abominations armées de massues. Je ne le vois plus derrière ces grands monstres, mais je ne me fais pas de souci pour lui. Quand nous serons tous morts depuis des jours, le norn pourrait encore être ici en train de combattre. Le champ de bataille est son terrain de jeu, son univers.
Et il ne nous oublie pas : quand un mauvais coup arrive dans mon dos, je sens qu'il est repoussé par l'égide du gardien. Et je ne mourrai pas de sitôt : mon bouclier électromagnétique suffit à repousser les projectiles et les adversaires qui tentent un corps-à-corps. Et dans pareille foule, mes balles perforantes font un massacre.

C'est alors qu'un étrange miaulement me surprend à ma droite. Me retournant en repoussant un repoussant hylek décomposé, je vois un œil de Zhaïtan prêt à décharger un laser sur moi. Me jetant au sol, je sens le mouvement d'air me retourner les poils, tandis qu'une rangée entière de zombies est décimée derrière moi.
Saleté ! Je ne pensais pas que le Dragon avait tant d'organes externes.
Et dire qu'il est déjà immensément affaibli par ces mois de guerre d'usure et ses blessures.
Nom d'un beignet à la mangue avarié... mais comment l'Ordre a-t-il réussi à lui arracher la moitié des ailes ? Ils ont dû utiliser un mégalaser... au moins !
... en voilà une idée !!

« Morwintil ! l’appelé-je en tentant de couvrir le vacarme de la bataille. Nous allons faire mieux que roussir le cuir du Dragon ! »

L'élémentaliste me rejoint en laissant dans son sillage un monceau de corps inanimées, et contre de justesse un rayon de l’œil avec un miroir de glace. Celui-ci explose en renvoyant le rayon qui va se perdre sur notre gauche.
Je lui explique mon plan en quelques mots tout en criblant les assaillants de balles, puis je contourne le globe oculaire pendant que mon ami de la Citadelle Noire me couvre. Il n'y a rien de mieux qu'un orage localisé pour aveugler et assourdir... même si je doute qu'un œil sache entendre. Pour être sûr d'être tranquille, je lance quelques grenades flash à la ronde.
Arrivé suffisamment près de la créature flottante, je sors mon pied de biche et mon tournevis. J'aime les armes non conventionnelles.
Puis d'un bond rallongé par mes bottes-fusées, j'atterris sur le monstre - en passant au-dessus de son bouclier -. Ensuite, je m'y agrippe en plantant les pointes de mes bottes aussi profondément que possible de chaque côté.
J'enfonce alors mon tournevis dans un coin, loin de la pupille.

Comme je l'espérais, celle-ci se déplace vers le point touché en émettant un laser. Mon outil a été désintégré... mais le système est en place.
Comme pour un œil normal, celui-ci ne peut pas déplacer son regard au-delà d'un certain angle, et je suis à l'abri en étant à califourchon sur lui. Et si jamais je survis à tout cela, cette anecdote pourra faire rire la moitié de la Citadelle Noire !
La main pleine de poinçons sortis du fatras de mon sac, je lance une grenade à fragmentation au milieu de la horde. C'est le signal.

Morwintil provoque alors une explosion autour de lui afin d'avoir un répit de quelques secondes, et se concentre pour maîtriser l'air qui nous entoure.
J'enfonce sans attendre tous mes poinçons dans l’œil, dirigés droit vers Zhaïtan.
Le laser file vers le Dragon, sans se diffracter dans l'air : Morwintil s'en assure.
Le rayon canalisé à sa pleine puissance frappe le Ver sous la tête, en pleine poitrine. On sent jusqu'ici l'odeur ignoble de la chair morte, tandis que la Bête se débat faiblement, de douleur.

Maintenant... l'attaque finale : j'enfonce mon pied de biche à travers la membrane fragilisée par les poinçons, et je me dégage pour sauter de la répugnante créature en lévitation. Cette fois, toute l'énergie du monstre est déchargée à travers une dernière salve, qui défigure - si l'on peut dire - le Dragon ancestral.

Ce dernier rugit alors, exprimant toute la rage aveugle qui l'anime, dans un cri terrible qui résonne dans mon corps et mon esprit, me paralysant de peur.
Cela suffit pour qu'une légion de mort-vivant me tombe dessus et m'écrase sous leur poids. Avant de m'écrouler, je vois Morwintil qui hurle, les mains sur les yeux tandis que des flammes noires s'en échappent...


Chroniques mentales de Morwintil :

Il me dévore. Le feu sombre en moi, celui qui a brûlé mes souvenirs et ma personnalité, alors qu'enfin ils commençaient à revenir. Il me fait souffrir le martyr. Mon esprit s'embrase et je n'arrive plus à agir, à me maîtriser. Je ne suis qu'une conscience qui observe ce que fait le corps qui m'appartenait. Mon âme n'est qu'une flammèche face à tant de haine et la férocité inextinguible de la pénombre.
Qui suis-je pour faire face à l'entité qui m'a prêté sa force et qui aujourd'hui réclame son dû ? Pour me dresser face à une force qui me dépasse ?


Ouf ! Je suis plus saignant qu'un steak bleu, mais encore vivant ! Comme quoi, rien de mieux que de bonnes griffes et des crocs solides pour se défaire d'un tas de corps. Mais je ne pourrai plus jamais manger de viande de ma vie... ce goût dans la bouche, cette pestilence... j'ai envie de vomir. Mais ce n'est pas le moment.

Je retrouve du regard notre élémentaliste, recroquevillé sur le sol et couvert de flammes ténébreuses. Je ne sais pas à quoi il joue, mais il a besoin d'aide !

Malgré le ménage que l'on a fait, il reste encore assez de morts-vivants pour dévorer un troupeau de dolyak en quelques secondes. Et en particulier un énorme zombie d'environ trois mètres de haut, ventripotent au-delà des limites physiques admissibles... sauf qu'une bouche capable de m'avaler tout cru s'ouvre dans sa panse. Des dents tranchantes d'une coudée de haut s'entrechoquent devant une langue à-demi ravagée par la décomposition. Et cette bouche de Zhaïtan est en train d'aspirer tout l'air autour de lui, mais aussi et surtout le pouvoir qui émane de Morwintil pour en faire don à son maître.

Comme si j'allais la laisser faire ! Je sors un bon petit tas d'explosifs de mon sac, les allume, et les lance dans sa direction. Cet empoté de zombie ne s'arrête pas pour autant d'aspirer l'air autour de lui, et avale sans sourciller la bombe. Quelques secondes plus tard, il ne reste de lui qu'un tas de charpies qui frétillent encore.

C'est alors que le feu noir qui recouvre Morwintil s'étend d'un seul coup dix mètres autour de lui, comme une explosion. Sauf que l'explosion prend la forme d'un grand spectre noir qui surplombe le champ de bataille, comme un humanoïde encapuchonné fait de flammes mais froid comme les nuits d'hiver.
Il se met à massacrer tout ce qui l'entoure, et dans ma tête résonne une voix que je ne comprends pas. Mais une haine incommensurable de tout ce qui vit transparaît dans son ton. Je ne sais pas comment cette chose est sortie de Morwintil, mais ce démon d'outre-monde a l'intention de ruiner le monde des vivants par l'intermédiaire du gladium.

Du coin de l’œil, je vois Elentar trancher en deux une abomination avant de sauter entre les morceaux. Il charge vers nous, range son espadon dans son dos pour joindre ses mains et hurle un cri de guerre nordique. Sa magie de gardien s'échappe alors de son corps sous la forme de flammes bleues, et prend la forme d'un loup aussi grand que la chose sombre.
Je ne savais pas que les Totems pouvaient donner tant de force au peuple du Nord... je me promets de ne plus jamais rouler le norn dans un concours de boisson, puis tente de trouver un endroit où je serai en sécurité tandis que les deux formes flamboyantes se jettent l'une sur l'autre.
Le loup saisit le spectre à la gorge dans un bond fluide, et ils roulent dans le Colisée en ravageant le reste des armées du Dragon et en faisant s'écrouler tout un pan de mur.

Mais le spectre parvient à changer de forme pour se transformer en un serpent qui s'enroule autour du canidé et le mord à plusieurs reprises.
Les flammes bleues vacillent puis à leur tour s'étiolent pour reformer une autre apparence : un corbeau cette fois-ci. Le volatile, d'un mouvement de tête fluide, attrape le serpent dans son bec et l'avale.
Se mélangeant, les feux forment un brasier bicolore que je sens jusque sur ma fourrure, mais davantage comme un courant de pouvoir que comme une brûlure. Puis l'obscurité semble avaler l'azur et grossir démesurément. Nombreux son les morts-vivants calcinés, et je ne parviens à survivre que grâce à l'atmosphère protégée d'une tourelle de défense, recroquevillé derrière mon bouclier.
Elentar, vaincu, tombe sur un genou. Puis un tremblement perceptible malgré son armure le parcourt, et il s'effondre le visage dans la poussière.
Mon cœur est encore davantage dévoré par l'effroi quand je vois que Nala aussi perd sa bataille. Ses efforts ont été dignes des plus grands mages de ce monde, mais on ne peut gagner face à la force irrépressible de la magie corrompue. Le pouvoir du Dragon est celui d'un Dieu, et nous allons périr pour avoir osé le défier.
La nécromancienne a du mal à tenir sur ses jambes, les flammes noires du démon de Morwintil ne l'ayant pas épargnée. Le Ver délétère ouvre la gueule, et une gerbe d'acide empoisonné déferle sur nous et le Colisée. L'attaque est telle qu'il est impossible d'espérer y échapper : il n'y a ni cachette ni protection face à pareil déferlement de puissance. Je vois les murs et les derniers zombies fondre autour de moi, et je m'étonne de pouvoir encore percevoir tout cela. Suis-je déjà mort ? Suis-je un fantôme qui va découvrir son corps gisant à terre ?
Levant une main devant mes yeux pour découvrir la dure réalité, je m'aperçois que ma fourrure est plus noire que la nuit, et que sa consistance a l'air changeante comme si elle s'étiolait dans l'air. Je suis devenu une ombre...
Je vois alors Nala, Elentar et Morwintil, tous trois également sous forme d'ombres. Tous sont conscients, et flottent à quelques centimètres du sol. Le monde a l'air plus lumineux, plus coloré, comme si mes yeux captaient un contraste différent depuis les Brumes. Le démon de flammes a disparu, mais Zhaïtan est toujours là. Il commence à bouger, à s'extraire du cratère qu'il a formé en s'écrasant.
Mais pourquoi est-on toujours là ?
La voix de la nécromancienne résonne à ce moment-là dans ma tête.

« Vous n'êtes pas morts, crétins ! Je nous ai transportés tous les quatre dans le Voile, la dimension entre le monde des vivants et les Brumes.
Dans cet état, nous pouvons encore interagir avec le monde que nous avons quitté mais cela nous coûtera cher en énergie. Et quand nous aurons mis la misère au gros Ver, nous l'achèverons en revenant dans notre monde d'origine ! »

Mais au moment où la nécromancienne prononce ces mots, une gigantesque patte saurienne à demi décomposée remplit tout mon espace visuel. Puis un choc indicible parcourt tout mon corps, qui reprend sa forme habituelle.

« Stupide lézard rampant ! Embolie de gonade congestionnée ! L'insulte Nala Il peut traverser le Voile... Il va falloir sauter d'une dimension à l'autre pour le surprendre, mais je n'aurai pas assez d'énergie pour encore tous nous transporter à la fois. »

La situation se complique... Comment peut-on tuer pareil monstre ?! Il est de plus bien plus agile et vif que ce que sa masse laisse imaginer…

« Ce pourrait être notre fin, n'est-ce pas ? Dit alors Elentar de nouveau sur pieds. Vous pensez que tout nous dit d'abandonner ? Eh bien voilà ce que je vous réponds : tout cela peut aller garnir le fondement d'une tarentule. Je ne veux pas de ça : pas d'une vie sans gloire. Quelle gloire ? Celle de se battre jusqu'au bout. Celle de combattre de tout notre cœur peu importe nos chances ! Celle de me tenir à vos côtés, mes amis. Pourquoi serait-ce glorieux ? Mais parce que je, non... parce que NOUS l'avons décidé ! N'est-ce pas l'essence même d'un choix ?
Je ne veux entendre personne désespérer. Si ce qui nous rend heureux est ce qui se dresse devant nous, cette joie de surmonter chaque obstacle jusqu'à notre objectif, alors fonçons ! Nous ne perdrons pas tant que nous n'abandonnerons pas ! Je refuse de fuir et de passer le reste de ma vie à ruminer pareille défaite.

- Mais le fait est que c'est impossible, Elentar, répond Nala. Rien ne nous permettra de réussir !

- Nala, vous tous ! me surpris-je à lancer. Tout cela me fait penser à ces innombrables fois où j'ai fui. Je l'ai regretté. Pas forcément à l'instant... non. Mais quand vous m'avez tous amené à réussir ces choses impossibles ! Toutes ces fois où nous avons gravi des montagnes qui semblaient bien trop hautes, avant d'arriver au sommet sans même nous en rendre compte.
Nous sommes des aventuriers, des Lucioles !
Tirez plutôt vos armes, et chargez !! »

Zhaïtan se jette alors gueule ouverte sur nous. Morwintil, qui a repris le contrôle de lui-même, invoque une dizaine de barrières de roche qui sont rasées en une fraction de seconde. J'attrape Nala et enclenche mes bottes fusées pour sauter sur la tête du Ver, avant de nous défendre à coups de bouclier contre les serpents de chair qui nous assaillent.
L'élémentaliste utilise son pouvoir pour durcir l'air sous ses pieds et courir dans les airs comme sur un escalier, mais Elentar tient sa position et est avalé tout cru par le monstre. Nous allons tous y passer...
Avec la force du désespoir, j'utilise mes grenades pour brûler quelques mètres carrés de chair, mais à ce rythme je serai mort de fatigue avant de réduire la Bête en cendres.
Nala utilise son pouvoir pour qu'Elentar passe à travers le Voile, et celui-ci nous rejoint en traversant comme un spectre la tête du Dragon, le transperçant. Malgré la transformation, un étrange fluide visqueux à l'aspect mortel recouvre son armure. Le norn et l'asura semblent exténués ; et malgré sa soudaine trépanation, Zhaïtan a l'air en pleine forme.
Sa chair se métamorphose et de plus en plus de tentacules nous attaquent, armés de griffes, de bouches garnies de crocs ou crachant de l'acide.
Malgré nos pouvoirs et notre détermination, nous n'avons pas la force de le vaincre. Il faudrait l'intervention d'un Dieu !
Réunis sur son crâne, nous bataillons tandis qu'il secoue la tête en nous attaquant de toutes parts. Puis il traverse le Voile et nous tombons à travers lui... Juste le temps que nos jambes soient prises dans sa chair décomposée. Nous ne pouvons même plus nous déplacer ou esquiver... Nous défendre est utopique, nous allons périr en nourrissant sa chair corrompue.
L'espoir m'a quitté depuis longtemps, mais c'est maintenant que je m'en rends compte réellement. Je suis prêt à mourir. Je ne peux pas dire que je n'ai pas de regrets, mais je suis fier de moi... De nous.

« Par la truffe de l'Ourse ! Nous ne serons défaits que quand nous abandonnerons ! Clame le gardien des Lucioles Automnales.
Mes amis... Tant que nous dressons notre volonté contre ce monstre, nous pouvons le détruire, nous pouvons l'emporter ! »

En prononçant ce fier discours plein de hargne mais vide de sens, le norn se métamorphose en un énorme loup humanoïde et tente de s'extraire en fouaillant dans la chair. Nala utilise ses dernières forces pour se défaire de l'immonde prison et s'allonge au milieu d'un sceau de sang qui décompose tout ce qui l'approche.
Morwintil se débat étrangement, puis je comprends ce qui lui arrive.
Les flammes noires reprennent possession de lui !


Chroniques mentales de Morwintil :

Le Démon veut sortir une nouvelle fois de mon corps, me posséder entièrement pour sauver son enveloppe physique.
Cette fois, il ne m'aura pas. Les mots d'Elentar m'ont touché. Je n'abandonnerai pas, plus jamais. Je sais comment vaincre ! À tout prix, je veux la victoire.
Je laisse le pouvoir noir m'emplir, m'envahir, jusqu'à ce que je sente brûler mes veines, mais sans laisser mon esprit être submergé. La douleur est intense, puis insoutenable, mais je consens à ce sacrifice avec une joie sauvage. Je peux jeter ma raison aux dévoreurs, et le démon n'aura rien d'autre de moi. Il ne peut aller plus loin sans s'éteindre avec moi : le parasite ne peut vivre sans son hôte.
Une seule pensée m'obsède.



Je suis inutile, spectateur. Le corps du gladium est maintenant fait pour moitié d'un feu plus sombre que les abysses.
Je le plains... Je suppose qu'il souffre comme s'il subissait le bûcher.
Mais cela a au moins un effet positif : les flammes dévorent la chair putréfiée qui le retient et le libère. Le charr marche alors d'un pas lourd jusqu'à l'arcade de la Bête. Il se laisse ensuite tomber devant son grand œil percé d'une fente verticale, et la défie du regard sans ciller.
Cette fois, le rugissement de rage de Zhaïtan déchire mes tympans mais aussi mon esprit.
Puis les flammes noires commencent à mordre la chair du Ver, le consumant et se propageant aussi vite que la chair corrompue se régénère.
Du coup, je ne sais pas qui ou quoi me dévorera le premier, ni ce qui sera le pire... Pourtant, tout ce qui s'échappe de ma gorge est un rire désabusé, m'étonnant moi-même. Je m'attendais à sangloter.


Chroniques mentales de Morwintil :

Ça y est, j'ai brûlé les yeux du Ver, et il ne peut plus rien sentir d'autre que sa propre combustion... Maintenant seul son instinct le guide. Il sent la menace que je représente, mon désir de mort. De Sa mort. Et il sait que mon pouvoir peut le détruire.
Je pense alors de toutes mes forces à une attaque venue des airs. J'imagine mon pouvoir consumer le crâne de ce monstre dans les moindres détails. Mais je contrains mon corps à sauter à terre, amortissant le choc avec un coussin d'air et une langue de sable. Puis alors que Zhaïtan jette sa tête crocs en avant vers les cieux en crachant une langue d'acide de plusieurs dizaines de mètres dans les airs, je force le pouvoir à me consumer tout entier.


Une colonne de ténèbres s'élève si haut que mes vieux yeux ne perçoivent pas sa limite. Elle transperce le crâne de la Bête, la faisant s'écrouler et nous secouant comme des puces sur un chien.
Zhaïtan est cette fois à l'agonie. Je le sens à son souffle. Morwintil a ... Réussi.
Le feu sombre et le Dragon ancestral commencent à s'entre-dévorer. Mais tous deux meurent un peu plus à chaque instant qui passe. Je comprends alors que l'élémentaliste ne reviendra pas.
Seulement, nous sommes encore prisonnier du monstre et à la merci des pouvoirs dévastateurs qui livrent leur ultime combat.
Elentar est le premier touché, mais il parvient avec son feu de gardien à canaliser l'énergie démoniaque et s'extrait alors de la chair du Ver ! Ce gros-plein-de-bière est increvable, nom d'un griffon à bec de lièvre !
Le défenseur se précipite alors vers moi pour m'aider, mais il est trop tard. Il parvient à me dégager jusqu'aux genoux, mais le feu est sur nous. Je lui demande de me couper les jambes, il refuse.
Le regardant dans les yeux, je lui ordonne.
Je me souviendrai toujours de ce qu'il m'a dit au moment où l'indicible douleur m'a traversé :

« Ton courage t'honore, tu seras pour l'éternité une légende pour tous les peuples. »

Venant de lui, il n'y avait pas compliment plus grand.
Ensuite, je sais qu'il a réussi à cautériser les plaies avant que le sang n'afflue, mais que Nala n'a pas voulu aider. Elentar lui a reproché que je ne retrouverai jamais mes jambes à cause de sa décision, mais elle l'a ignoré et s'est mise à incanter.
De toute façon, je ne veux pas retrouver mes jambes : mon handicap sera le symbole de mon courage, de mon sacrifice, et de notre victoire. Il sera le symbole du sacrifice bien plus grand auquel a consenti un gladium rejeté de tous, qui a pourtant sauvé tous ceux qui voulaient le voir disparaître.

En attendant, ce chapitre n'est pas tout à fait terminé.


Chroniques mentales de Nala :

Je suis épuisée, vidée. Mais c'est le moment le plus important ! Je dois faire l'effort de repartir dans l'Alchimie éternelle, utiliser tout le pouvoir qui s'échappe du Dragon mourant. Bientôt, il sera mort, et qui sait où s'échappera toute cette magie ?
Il faut que je sacrifie une part de cette incommensurable puissance pour avoir la force de parcourir le Voile jusqu'à la dimension des Dieux, de contrôler par la pensée chaque once d'énergie. Il me faut forcer un passage dans la brèche, ce point d'équilibre de toutes les forces de l'univers, reliant chaque chose et chaque lieu, chaque époque, dans les Brumes originelles. Je me nourris de l'agonie du Ver. Je me sens bien mieux en quelques secondes. Bientôt, je suis capable d'extraire ma conscience de mon corps. Je ne ressens plus la douleur physique ni les besoins primaires. Seulement le désir, le rêve qui guide mes actions.
Je me vois, forme fantomatique sur le dos du Dragon ancestral, flotter dans l'espace qui s'étend jusqu'aux confins de l'univers. Je m'aperçois alors que tout cela représente bien trop de pouvoir pour mon corps et mon esprit mortels. Je ne pourrai pas supporter une telle vague d'énergie... il faut que j'infuse ce pouvoir dans une invocation, l'incarnation d'un esclave invincible qui pourra nous protéger de tout, Thauffee et moi, et réaliser nos désirs.
Je commence à visualiser mon vœu, à le formuler, mais mon esprit est soudain secoué par les derniers soubresauts de Zhaïtan. Mes idées sont brouillées. Elles s'évaporent dans le grand vide et s'échappent sans contrôle... Puis le pouvoir du Ver s'éteint subitement. Je suis brutalement rejetée, et je réintègre mon corps en gémissant.
Ai-je réussi ? Il le faut. Je souffre tellement loin de Thauffee, je suis prête à sacrifier mes principes et mes idéaux pour elle. Ce serait un moindre mal. Il faut juste que mon invocation soit un succès, pour qu'elle voit que je suis capable de tout pour elle ! Je suis attachée à elle, de ton mon cœur, de toute mon âme…


Chroniques mentales de Thauffee :

C'est le bon choix. Le moindre mal. Je l'aime et je souffre, mais c'est infime comparé à ce que je subirais autrement. Je dois résister, à elle autant qu'à moi-même. Nous serons mieux en choisissant des routes séparées. Nous sommes trop différentes pour pouvoir vivre ensemble, je ne sacrifierai pas mes idéaux par amour. Ce sentiment n'est pas tout-puissant.



Nala s'agite soudain, tandis que je sens l'énergie du Dragon se disperser dans la terre. Puis l'attention de la nécromancienne est attirée par une forme devant moi. Suivant son regard, je vois un être étrange apparaître face à nous.
Il est grand comme un norn, mais moins qu'Elentar. Sa peau noire zébrée de blanc est tendue sur ses articulations, laissant deviner ses muscles souples, durs comme l'acier renforçant son haubert de cuir. Ses yeux rouges et son visage anguleux ne rappellent aucune race connue en Tyrie, et ses dents coupantes comme des rasoirs semblent dresser un piège mortel entre ses mâchoires proéminentes. Le rouge de ses prunelles se reflète dans sa chevelure sombre nouée en une tresse épaisse.
À son côté ondoie une autre forme qui se précise rapidement : une louve blanche plus grande que tous les canidés que j'aie eu l'occasion de voir.
D'où viennent ces créatures ?


Chroniques mentales de Feng :

Où suis-je ? C'est étrange… Je ne me sens pas chez moi, pas maître de moi. Je ne me souviens plus de mon passé, à part de Managarm qui est là près de moi, et d'une lutte acharnée pour ma liberté.


Nala s'est relevé, et s'approche en fixant les nouveaux arrivants d'un regard plein de hargne.

« Ce n'est pas ce que j'avais imaginé ! Feront-ils l'affaire ? J'en doute. On dirait seulement deux animaux sauvages ! Raaaaaaah… Ce Ver a donc réussi à dévier ma volonté !
Bon. Lucioles, voici le topo :
Il s'appelle Feng, et est surnommé le Loup Sauvage. Il est demi-humain, demi-orque. Il vient d'un autre monde. »



Le retour à l'Arche s'est déroulé sans encombre, à bord d'un grand zeppelin d'assaut.
Zhaïtan est défait... La nouvelle fait le tour de la Tyrie. Nous ne le réalisons pas encore : nous avions pris l'habitude de vivre en guerre.
Mais cette guerre continue. Du moins avec d'autres : pour moi, c'est terminé. Je prends ma retraite. Les jambes de métal que je me suis confectionnées moi-même me porteront bien jusqu'à une mort paisible, si tout va bien.
Nous ne savons pas encore ce qu'il va advenir de l'énergie du Dragon ancestral, dispersée d'après Nala dans les lignes de Ley - des sortes de flux magiques souterrain -. Nous craignons tous qu'elle ne renforce et réveille ses congénères...

Ce journal, je le laisse à Elentar, qui pourra narrer la suite de l'histoire des Lucioles les plus aventureuses. Car eux ne sauront jamais arrêter de sauver le monde. J'espère que j'aurai la joie de lire de nouveau ce livre un jour, et que tous ses protagonistes seront tous aussi vivants dans ce monde qu'entre les lignes.
Je parle de ce monde, car la prochaine expédition des Lucioles pourrait s'en éloigner. Nombreux sont ceux parmi mes camarades qui sont déjà en route ou se préparent pour rejoindre le tombeau de Barradin. L'esprit qui en est sorti et qui a possédé Morwintil en venait, et certains indices laissent penser qu'il est d'une autre dimension. On ne peut se permettre de laisser ce genre de spectre hanter la Tyrie. Il faut y retourner et briser le lien entre ce genre de créature et nous.

Dans cette aventure, les Lucioles ne seront pas seules : Thauffee et les Fils du Destin sont parmi les premiers à être partis. Apprenant cela, Nala s'est immédiatement préparée, et Elentar sera à ses côtés : le norn ne peut résister à pareille épopée. Feng et Managarm, sa louve blanche, les accompagnent. Il faut dire qu'ils n'ont pas le choix : ils sont comme des esclaves pour la nécromancienne, prisonniers de leur chair. Pourtant, ils ont bien fait sentir leur désaccord, dès lors que Nala leur a appris notre langue en communiquant par esprit avec eux, en tant qu'invocatrice. Ils tiennent plus que tout à leur liberté, mais ne sont même pas libre de pouvoir se battre pour elle.

C'est sur ces lignes que je vous quitte, cher lecteur.
Si vous devez retenir quelque chose de moi, c'est la malédiction qui s'abat sur ceux qui décident de se battre. Pensez à Morwintil, pensez à mes jambes. Mais sachez aussi que cette malédiction vaut le coup d'être supportée quand la cause vous tient vraiment à cœur. Voyez comment nous avons supporté la douleur et les épreuves, jusqu'à parvenir à détruire le Dragon ancestral.
Les Héros n'existent pas que de l'autre côté des livres.
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Message par Elentar Ven 20 Fév 2015 - 15:50

Chroniques Claires-Obscures


Partie II : Éther


Chapitre Premier :
Vers l'Infini et Au-delà



Chroniques mentales d’une Licorne :

Nuages blancs. Ciel bleu. Nuages blancs. Ciel bleu. Nuages blancs. Ciel bleu. Forêt verte.
Ah qu’il est bon d’être une Licorne, de pouvoir traverser la voûte céleste et le coton qui la pare de formes moutonneuses, de laver ma fourrure d’un blanc pur avec la condensation aérienne puis de me sécher au plus profond des bois dans un doux nid de fougères.
Rose de délectation !
Je sens soudain une présence. Peut-être une camarade qui tient à faire la course ou une vierge pure perdue dans les bois.
Rouge de douleur !
Que m’arrive-t-il ? Mon flanc me lance violemment, mon crin d’albâtre se teinte d’écarlate, ma candeur est corrompue par la haine, et ni mes pattes ni la magie ne me portent plus. Je m’effondre, le museau dans les feuilles, m’apercevant qu’elles volettent devant mon museau tandis que ma respiration s’accélère.
Noir de désespoir.



Une nouvelle aventure commence. Prenez garde : le Champion qui terrassera le terrible Jormag, fléau du Nord, est en route !
Moi, Elentar, me dois de faire honneur à Fenrir Mordrelune qui m’a transmis son journal, et au sacrifice de Morwintil. Nous, les Lucioles Automnales, apporteront la lumière à la Tyrie qui nous a vus naître !

En parlant de Culs-Brillants, plusieurs m’ont envoyé des lettres par pigeons voyageurs. Sauf Fálki qui a tenu à faire son intéressant avec un faucon… Je suis perplexe face aux capacités de pistage de ces bestioles, mais je dois avouer que ce système à la mode est plutôt efficace. Un bon ami – je préfère taire son nom car il s’agit d’un malandrin et d’un assassin, mais il a pourtant le cœur sur la main… le sien, hein – m’a même envoyé quelques mets délicieux par ce biais !
Ainsi, j’ai pu avoir des nouvelles de mes compagnons : eux aussi font route vers le tombeau de Barradin !

Il faut dire que tout le monde a intérêt à voir les mystères de ce caveau révélés et ses maléfices anéantis. L’armée charr s’est mise en branle pour une expédition visant à endiguer enfin l’interminable réapparition des spectres ascaloniens. Je ne sais pas pourquoi ils ont attendu aussi longtemps, étant donné que c’est un problème majeur pour la Citadelle Noire… Peut-être à cause de l’effort de guerre contre Zhaïtan, allié aux dissensions politiques. D’après une lettre de Wyrr-Pas-De-Feutre, il suffit pour vaincre la menace de détruire les reliques qui lient les fantômes au monde des vivants en retenant la magie de Magdaer, l’épée du défunt Roi Aldebern. C’était d’ailleurs un sacré voyou cet ancien seigneur humain, un mauvais perdant haineux et égoïste : pour mettre fin à une guerre de territoire, il a sacrifié ses ultimes forces en provoquant un conflit sanglant et inutile sur plusieurs générations… quel crétin ! J’ai étudié l’histoire de la Tyrie au Prieuré de Durmand, mais j’ai arrêté de remonter le temps à force d’être abasourdi par les erreurs du passé.

Du côté des Lucioles, une grande expédition a été organisée par Clearys, un rôdeur sylvari rutilant dans son armure enflammée. Je me demande encore comment il fait pour ne pas tomber en cendres ou se déshydrater là-dedans. Toutes les Lucioles disponibles l’ont suivi. C’est là notre chance d’apporter un coup de main à la résolution d’un conflit, dans une aventure à notre portée !
Apparemment, nous avons été en quelque sorte engagés par les sbires de Rytlock pour jouer les explorateurs. Je doute par contre qu’ils sachent aussi bien que nous ce qui peut se cacher derrière les ténèbres de cette vieille tombe…

Et puis avec un peu de chances, nous découvrirons de beaux trésors et recevrons les honneurs et la gloire des Héros ! Non pas que nous soyons des pilleurs de tombes – quoique certains ne s’y refuseraient pas – mais on ne dit jamais non à un casque neuf ! Et s’il est trop ancien pour servir de protection, il pourra orner la cheminée de ma taverne favorite… Par la sagacité du Corbeau, cette baraque à bière me manque parfois.

Entre tout ce beau monde et nous, il y a encore l’équipée de Ramor le Terrible. Le fameux charr est parti avant nous de la Cité perdue d’Arah, entraînant avec lui les Héritiers du Destin et Thauffee. Il faut dire qu’ils n’ont pas eu à s’occuper de la vermifugation de Zhaïtan en face-à-face… Ils se sont contentés d’un coup de laser dans la Bête et d’assister au feu d’artifice avant de repartir les pattes dans les sacoches. D’un autre côté, je suis bien fier de faire partie de la petite équipe qui a occis le Monstre ancestral.
Bien sûr, Nala Deathstar ne tient plus en place depuis qu’elle a appris que Thauffee était bien vivante et qu’elle se dirigeait vers de nouveaux dangers. Heureusement Feng, Managarm – sa louve blanche – et moi sommes taillés pour parcourir rapidement de grandes distances et nous pouvons suivre son pas pressé sans nous épuiser. Je me demande comment l’asura peut courir aussi vite avec de si petites jambes. Elle qui d’habitude reste silencieuse et passe le temps en nous méprisant du regard n’arrête pas de parler de nouveaux pouvoirs et de retrouver l’amour de sa promise. Cela a l’air d’exaspérer le demi-Orque, mais celui-ci est corps et âme entre les mains de la nécromancienne. Et elle n’a pas l’air prête à le libérer de sitôt.
Observant le grand rôdeur venu d’ailleurs, je me demande quels sont ses buts ses valeurs et ses forces. Sa laideur et sa mine renfrognée ne vont pas me décourager d’apprendre à le connaître.


~ ~ ~


En partant de l’Arche du Lion où nous a déposés le zeppelin du Pacte, nous prévoyons d’arriver rapidement en vue des Plaines d’Ashford grâce au portail asura de la Citadelle Noire. Fait intéressant : je viens de remarquer que ceux-ci n’étaient gardés que d’un seul côté. Et dire que ces asuras se croient intelligents ! N’importe quel malandrin recherché par les autorités peut emprunter les téléporteurs sans se faire remarquer… D’ailleurs, rien que pour montrer la faiblesse du système, je fais mine de contourner l’arcade pour soulager une envie pressante un peu plus loin, puis je fais demi-tour et me dirige ostensiblement vers la porte spatiale. Feng m’observe perplexe, tandis que Nala me fait les gros yeux sans oser me faire de remarque à voix haute.
Soudain, un son strident retentit, et une décharge électrique me parcourt de la tête aux pieds. Insuffisante pour me mettre KO, elle suffit néanmoins à m’immobiliser le temps que la garde du Lion m’entoure, armes au clair.
Lâchant un long soupir, je me tiens tranquille sans toutefois obéir à leurs injonctions : je ne vais pas laisser mes armes à ces ridicules petits humains ! Comme s’ils étaient dignes de poser la main sur ma lame favorite, plus grande qu’eux. Du coup, la bande de moucherons s’excitent au lieu de faire leur travail et d’assurer l’ordre.
Bon, je vais tenter dans ces Chroniques d’être digne de Fenrir et sincère vis-à-vis de vous mais aussi de moi-même. Mon idée comme ma réaction étaient puériles, et je suis de mauvaise foi parce que j’ai tort. Mais je déteste me faire avoir à mon propre jeu, encore plus par un système asura. Pour la énième fois, je me promets de ne plus laisser mon ego me dicter des actes stupides. Mais tout de même ! Ces impudents pourraient montrer un peu plus de respect envers un pourfendeur de dragons !

Après avoir échappé au pire en payant une amende pour éviter le bain de sang, nous avons réussi à passer le portail. Pourquoi parlé-je d’effusion de sang ? Simplement parce que Nala était prête, arme à la main, à massacrer d’innombrables innocents pour retrouver plus vite l’élue de son cœur. Quelques pièces valent bien le coup de sauver des vies. Je m’étonne d’ailleurs de l’attitude de la nécromancienne : au cours de nos aventures, elle devenait de moins en moins farouche, presque jusqu’à en devenir amicale. Presque. Mais depuis que Thauffee occupe de nouveau tout son esprit, tous les autres ne valent plus une cacahuète à ses yeux. Même si l’on s’est sauvé la mise mutuellement.


~ ~ ~


Nous voilà aux Plaines d’Ashford ! Enfin, me direz-vous.
Il faut dire que je pensais être moins prolixe que Fenrir dans la tenue de ce journal, mais c’est finalement une activité fort plaisante. Former de belles phrases pour décrire émotions et événements est un moyen plus efficace que l’alcool ou les batailles pour élever ses pensées. Je conviens que cela pourra étonner ceux qui ne me connaissent que de réputation.
J’aime les livres depuis longtemps, mais passer de lecteur à auteur est une expérience grisante.

Ce ne doit pas être l’avis du Farhar avec lequel nous allons traverser les armées fantomatiques.
Les membres de la meute jouent avec leurs armes et passent leur temps à s’entraîner ou à évoquer leurs exploits guerriers.
D’autres félins tirent des tronches de trois pieds de long, et ont l’air de s’éveiller d’un cauchemar. Si tous sont ainsi, alors j’ai peut-être sous-estimé l’impact de cette guerre…

En tout cas, cela ne nous empêche pas de nous mettre en route. Chaque fois que des volutes bleutées se densifient autour de nous, le sifflement des lames permet de les éparpiller avant qu’elles ne forment des assaillants ne craignant ni la mort ni la douleur. Bientôt, le brouillard se fait trop lourd pour espérer l’éparpiller, même au canon. Je ne crains pas grand-chose sous mon armure, mais d’autres n’ont pas cette chance : à plusieurs reprises, j’entends le sinistre chuintement caractéristique d’une lame qui transperce la chair, puis le bruit sourd qui accompagne la chute d’un corps sans vie.

Je ne m’inquiète pour Nala et nos curieux alliés, qui sauront se débrouiller. Après tout, eux trois viennent un peu de l’Outre-monde, comme les spectres.

Petit à petit, la brume se disperse. Mais le nombre d’ennemis va en augmentant. Plus on approche et plus ils ont tendance à prendre forme. Le fracas des armes résonnent bientôt à mes oreilles, et je me mets à charger en braillant : « Par le poil du Dolyak, je vais adoucir vos mœurs ! ». Mes muscles roulent agréablement sous la peau de mes cuisses, puis je fais un effort supplémentaire pour sauter au loin et atterrir au milieu d’une rixe entre charrs et âmes corrompues. Sauf que les gros chats se mettent à m’attaquer aussi !
Me demandant s’ils sont devenus fous, je remarque alors leur uniforme rouge illustrant leur appartenance à la Légion de la Flamme. Des ennemis ! Mais que font-ils ici ?

Lâchant la bride à ma magie et ma colère, je frappe tout autour de moi, me positionnant là où mes ennemis se gênent et s’entretuent. Tout à coup, plusieurs s’écroulent ou s’étiolent sans que je comprenne pourquoi.

« Nala ? » Lancé-je en pensant que c’était l’œuvre de l’asura.

Puis une dague s’arrête à quelques centimètres de mon torse caparaçonné. Je rirais d’une telle arme si sa lame n’était pas faite de lave en fusion circulant à très haute vitesse. J’avoue volontiers de pas être curieux de savoir si elle peut faire fondre mon armure ou non.

« Alors, le casu’ ? On me vole mes jouets ? » Entends-je dire mon agresseur d’une voix ironique depuis l’autre côté de l’arme éblouissante.

Relevant la tête, je reconnais Azzeria, une tueuse professionnelle humaine qui a déjà accompagné les Lucioles dans certaines aventures. Je sais, dit comme ça, nous ressemblons à des personnes peu recommandables. C’est peut-être le cas, cela dit.

« Tu as perdu ta langue ? reprend-elle. Dommage, je te l’aurais bien arrachée moi-même. J’honorais un contrat mis sur la tête de ce général de la Flamme que tu viens d’embrocher. Tu me dois cinquante pièces d’or.

- Tu rigoles ? Tu n’as qu’à prélever une quelconque preuve et t’annoncer comme la tueuse, je n’en veux pas.

- Ne discute pas ! Que fais-tu de ton légendaire sens de l’honneur ? Et puis… C’est pour la bonne cause.

- Le genre de cause qui baignera le monde dans les flammes et le sang, le faisant résonner de ton rire maléfique ?

- Tu peux parler, gros-plein-de-bière rouillé. En attendant, si tu n’es pas prêt à me payer en or, j’ai bien une autre idée…

- Je ne suis pas prêt à … répondis-je en rougissant.

- Ahahah !! Que vas-tu imaginer, vieux pervers ? Je parlais d’informations. Pourquoi cette zone est-elle infestée de casu’ de ton espèce ?

- De quoi ?? … Oh puis laisse tomber. Les Lucioles sont sur un gros coup avec les Héritiers du Destin et la Citadelle Noire, décris-je succinctement.

- Vous ? Sur un gros coup ? Laisse-moi rire. Vous êtes plutôt de la trempe de Logan que de celle de Rytlock, si tu vois ce que je veux dire, réplique-t-elle avec un sourire ambigu, avant de se figer.

- J’attendais mieux de ta part… siffle dans l’ombre Nala sans attendre de réponse.
Il faut dire qu’avec la lame de Feng contre la gorge, la tueuse à gages préfère logiquement garder le silence.

- Je te propose un marché, détrousseuse, reprend la nécromancienne alors qu’Azzeria vibre de rage en entendant l’insulte dégradante. Accompagne-nous sans faire de chichis, et tu pourras ainsi savoir ce qui se trame ici.

- Ai-je le choix ? Marmonne l’humaine en rivant son regard sur Managarm, tenant à elle seule les spectres en respect.

- Bien sûr, ricane la nécromancienne. Tu peux aussi laisser ta bourse et tes armes sur le sol et disparaître comme tu le fais si bien.

- Tu as gagné cette manche, petite peste, répond Azzeria d’une voix venimeuse. Mais je te conseille de ne plus jamais baisser ta garde : les ombres s’allongent quand on s’y attend le moins… »


~ ~ ~


Chroniques mentales d’Azzeria :

Je m’ennuyais dans une mission qui n’était pas à ma hauteur. Enfin il faut bien vivre.
Puis j’ai vu ce casu’ qui faisait le malin. Ma curiosité me perdra, mais le secret du spam 2 fera de moi une Légende. Bientôt, tous les ingrédients seront réunis. Avec une telle arme en ma possession, plus personne ne saura me surprendre.
En attendant, voyons sur quel os sont tombés les minous. Avec ces Lucioles empotées sur le coup, je parviendrai sûrement à tourner la situation à mon avantage. Et avec un peu de chance, je trouverai même quelques composants rares ou une bourse bien remplie…
Je me demande quand même ce qu’on vient faire dans cet immonde caveau. Il me donne la chair de poule, mais jamais je ne l’avouerai. Si je reste invisible et attentive, que je saisis les opportunités, le monde sera mien. Et alors je n’aurai plus de peurs à cacher.



Alors voilà le tombeau de Barradin… Si ce n’était cette atmosphère oppressante qui s’en échappe, il aurait l’air d’un vieux temple souterrain à moitié écroulé. Mais la magie qu’il dégage rappelle davantage que la mort nous attend au bout du chemin, et que le chemin peut très bien s’arrêter ici et maintenant.
Seulement, je ne peux pas me permettre d’hésiter face à si peu : si je veux être le pourfendeur de Jormag, je dois être capable d’affronter n’importe quelle peur, n’importe quel danger.

Fier d’être le premier, je m’engage dans les escaliers. Nala me suit précautionneusement, suivie de Managarm et de Feng. Azzeria est invisible, mais je sens sa présence. Serons-nous suffisamment de cinq ? Les charrs sont soit morts soit perdus dans le brouillard, et je n’ai relevé aucune trace du passage de nos compagnons. Je hausse les épaules : je les sais assez forts pour avoir traversé cette épreuve sans grandes difficultés. Cette victoire contre le Dragon ancestrale m’est montée à la tête, mais je dois cesser de penser que je suis invincible. Je ne suis pas assez puissant pour me le permettre, et Zhaïtan a été vaincu par Morwintil, pas par moi.
Cette réflexion me noue l’estomac, mais soulage mon esprit. Je souffle pour évacuer la tension et me concentrer.

Autour de nous, des pierres de taille de dimensions diverses se chevauchent, plus ou moins scellées. Je crains que cet endroit ne s’effondre bientôt… Les dimensions sont modestes, mais plusieurs salles se succèdent. Hormis d’immenses toiles d’araignées et des restes d’ectoplasmes en suspension, rien ne me paraît suspect. Nos camarades ont dû faire le ménage peu avant notre passage.

Enfin, nous débouchons précautionneusement dans la grande salle au fond de laquelle se situe l’autel, surmonté d’une statue du célèbre Duc depuis longtemps décédé : Barradin.

Entre celui-ci et nous, le sol disparait dans un mouvement perpétuel. Un large vortex s’ouvre dans une gerbe d’éclairs et de couleurs.

En y plongeant mon regard, je vois par effet miroir celui de mes compagnons. Une myriade de reflets tant oniriques que terribles se précipite sur moi ; tous ont l’air si réels que je me demande si je rêve ou si j’ai rêvé toute ma vie durant. Nos expressions changeantes se mélangent avec les images qui nous assaillent, puis d’un coup je n’arrive plus à suivre le rythme des visions, et me perds dans leur intensité.

J’entends un éclair et je vois le tonnerre. Etrangement, je me demande comment j’ai pu faire l’inverse auparavant. Cet orage est fait d’un feu bleu comme celui qui constitue mon pouvoir. Autre faits étranges : il ne pleut pas, et les rayons partent du sol pour frapper le vide qui constitue la voûte céleste. Ils se rassemblent en une forme indistincte qui engloutit tout. Je cherche à m’en saisir quand elle arrive sur moi, en clignant des yeux pour me protéger de l’éblouissement.
Quand je les rouvre, les cieux sont sous moi, la terre au-dessus. Je tombe durant ce qui paraît être un interminable moment. Autour de moi se croisent des objets célestes que je ne connais pas. L’un d’eux ressemble à Jormag tel qu’il est illustré à Hoelbrak. Il m’avale et un nouveau paysage s’ouvre à moi.
La folie m’étreint et m’emporte dans un univers qui n’est pas le mien.


Chroniques mentales de Feng :

Je me rappelle.
C’est d’ici que je viens : du Quatrième Royaume. Mon monde est en ruines, la moitié des créatures qui le peuplaient il y a peu sont retournées à la terre.
Des groupes s’organisent, certains pour se relever et avec eux leurs proches. D’autres pour piller et profiter des plus faibles.
Et puis il y a ceux qui voient au loin, tels des faucons survolant le temps. Des êtres assez forts pour porter le fardeau du pouvoir sur leurs épaules, pour guider les leurs vers un avenir meilleur.
Elle est de ceux-là.
Sa chevelure souple et soyeuse flotte dans l’air. Je veux tendre la main, ressentir la chaleur de sa peau, la sentir vivre contre ma paume. Mais elle se retourne et je me fige.
Ses yeux sont entièrement noirs, sans pupille. Tout mon être y est aspiré.
Je disparais dans un trou noir.


Chroniques mentales de Nala :

Un trou noir … une singularité spatio-temporelle et gravitationnelle. Une théorie farfelue de certains académiciens se retrouve devant mon nez.
Mais que fait-on ici ? Le vortex nous aurait-il transportés ? J’ai beau avoir une vision proche de celle ressentie lorsque j’ai touché l’alchimie éternelle, je ne comprends rien. Le gouffre nous attire à une vitesse bien supérieure à celle de la pensée. Etonnamment, nos corps ne se disloquent pas dans cette dimension. Soit notre matière a été modifiée, soit je perds l’esprit. Davantage que ce que les autres pensent, je veux dire.
Contrairement à ce que mon instinct me soufflait, il y a beaucoup de lumière ici. Des comètes tournoient autour de nous, laissant derrière elles un panache de couleurs qui s’entremêlent.
Celles-ci forment des paysages, des silhouettes, des mouvements. Au sommet d’une colline verdoyante, un éclair frappe un immense pilier qui s’embrase. Autour de lui, des fougères aspirent les flammes comme si elles les dévoraient. Des masses de chair se déplacent en cercle à quelques mètres du feu. Des sortes d’excroissances tentaculaires sortent de leur corps et s’entremêlent entre chaque individu et ses voisins. Puis tous explosent en même temps. Un liquide bleu sombre s’écoule de leurs corps et dévale la pente, laissant derrière lui un film organique duquel sortent d’innombrables insectes rampants.
Les bestioles escaladent la pente les unes sur les autres, puis le feu les sèche et leur permet de déployer deux paires d’ailes translucides.
Prenant leur envol, elles dessinent dans les airs la silhouette de Thauffee.
Puis les comètes se percutent avec une violence cataclysmique, et je sens quelque chose couler sur mon visage.



~ ~ ~


Pourquoi ai-je envie de me gratter de partout ? En bougeant ma carcasse, je m’aperçois que je suis étendu sur un sol mou et chaud. Du sable. Une vague vient lécher ma main droite.

D’un coup, je me relève en pestant :

« Raaaah ! Mais non ! Je vais devoir démonter mon armure pour la nettoyer maintenant…
Au fait, où est-on ? » demandé-je sans obtenir de réponse.

Nala est à moitié ensevelie et des grains de sable lui coulent sur le front. Plus elle bouge, plus elle s’enfonce, ce qui me fait éclater de rire. Bizarrement, elle ne me lance pas son fameux regard noir : elle doit être inconsciente. Il en est de même pour Azzeria qui a l’air de faire bronzette ; quant à Feng et sa louve, ils m’observent sans bouger, assis côte-à-côte. Le demi-Orque ne me répond pas, se contentant de river son regard écarlate sur la nécromancienne qui le contrôle.
Je dégage l’asura et l’allonge à côté de l’humaine, tentant de les réveiller avec quelques mots, en les secouant un peu ou en leur jetant de l’eau salée sur le visage, mais rien n’y fait.

Un sentiment étrange m’envahit progressivement, comme si j’avais oublié quelque chose. Regardant autour de moi, je vois d’un côté l’océan à perte de vue, la plage s’étendant le long des flots ; de l’autre, une forêt prend pied. Marquant l’orée des bois, de grands arbres au moins centenaires se dressent vers la voûte céleste.
Soudain, je comprends mon malaise : partout, je relève des incohérences incompréhensibles.

Il n’y a pas de vent, et pourtant les feuilles dorées des arbres bruissent. Et leurs ombres sont projetées face au Soleil… D’ailleurs il n’y a pas un Soleil mais quatre, les uns derrière les autres ! De tailles variables et de différentes couleurs : un blanc, un rouge, un vert et un bleu sont visibles dans cet ordre, les plus petits éclipsant en partie les plus imposants.
Je remarque également que le mouvement des vagues est aléatoire : elles s’entrechoquent et partent dans un sens ou dans l’autre sans logique apparente. De ces mouvements chaotiques émerge un chant étrangement mélodieux, envoûtant, qui donne envie de prendre le large.
Comment les lois de ce monde peuvent-elles être différentes de celles que nous connaissons ? Cela m’a l’air contre-nature. Je décide de laisser tout cela dans un coin de ma tête pour le moment : il faut faire quelque chose de concret avant de perdre la boule. Et vu l’état de mes compagnons, ça n’est pas gagné.

Je me dirige vers l’ombre des immenses végétaux pour nettoyer mon armure en attendant que tout le monde reprenne ses esprits.
Managarm vient alors vers moi en haletant doucement, la langue pendante. Nos regards se croisent, et je vois en elle une sagesse bien supérieure à celle qui guide n’importe quel loup. Ces yeux sont ceux du Totem.
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Message par Elentar Sam 21 Mar 2015 - 2:25

Chapitre Deuxième :
L’Étreinte de la Folie







« Loup, mon Totem, dis-je en m’agenouillant devant Managarm, prête-moi la force de vaincre l’injustice et les Dragons ! »

- Ça y’est, il se met au service des animaux. Ce monde si étrange te sied bien, Gardien, commente Nala de son ton ironique.

- Te voilà réveillée, pois chiche ? Répondis-je sans me relever.

- Ooooh c’est trop mignon ! Une peluche de Rytlock ! s’écrie Azzeria, elle aussi consciente, en attrapant une sorte de poupée poilue sur le sol et en la serrant contre elle. J’en ronronnerais de plaisir… »

C’est alors que l’humaine semble s’évaporer, la forme de son corps s'étiolant pour se condenser près du sol. Un chat noir aux longs poils et aux yeux d’ambre, les oreilles en pointe, se frotte en ronronnant contre la peluche, qui le repousse sans ménagement.

« Qu’est-ce que… commencé-je à demander tout haut, ahuri.

- La magie de ce monde a entendu son désir et l’a transformée, explique Nala grâce à sa sensibilité magique. Je n’ai jamais senti ce genre de fluctuations auparavant. C'est comme si l’univers entier dirigeait ses forces sur un seul individu… tant de puissance… ».

Les yeux de la nécromancienne brillent de convoitise.
Puis elle secoue la tête et se reprend, avant d’invoquer les forces du Voile d’un geste impérieux. Les yeux révulsés, elle prononce quelques mots incompréhensibles. Je me demande si ceux-ci sont indispensables ou si ça n’est qu’un effet de style. En tout cas, son terrifiant pouvoir fonctionne aussi dans ce monde, et claque silencieusement dans l’air autour de chacun de nous. Je retiens un frisson, même si je sais maintenant que ses sorts peuvent être bénéfiques.

« Nous voilà immunisés contre la magie sauvage de ce monde, précise l’asura. Désormais, nos pensées ne trouvent plus d’écho ici, mais dans le Voile. Nous ne risquons pas d’être transformés sans le vouloir.

- Combien de temps pourras-tu tenir ? lui demandé-je.

- Autant de temps qu’il le faudra, ce n’est pas un sort énergivore, mais je ne pourrai pas l’élargir à davantage de monde en me concentrant sur autre chose en même temps. »


Chroniques mentales de Managarm :

Faim. Boule de poil. Croquette sur pattes. Alpha opine. Manger. Chasse.



Managarm se détourne soudainement, les babines retroussées. Je n’aime pas sa réaction, quelque chose va arriver.
Puis comme si elle était montée sur ressorts, la voilà qui course Azzeria – sous forme de chat – toutes dents dehors. La féline crache et miaule de toutes ses forces en esquivant et en se précipitant vers le couvert des arbres. Elle parvient à échapper d’un cheveu à la mâchoire de Managarm, lui laissant quelques poils en souvenir.
Je suis impressionné par l’agilité de la mercenaire dans ce nouveau corps. A croire qu’il lui sied à merveille.
Je tourne alors la tête vers Feng, qui sourit. Même le visage emprunt de joie, le demi-Orque a vraiment l’air impitoyable. Puis Nala intervient, et sa louve et lui s’écroulent sur le sol en se tordant de douleur, tout en la fixant avec un désir meurtrier non dissimulé.

« Ne croyez pas que vous pouvez vous passer de mon accord, monstres de foire ! »

- Nala ! Interviens-je. Pourquoi te permets-tu cela ?

- Ce sont mes familiers, mes objets. Ils doivent m’obéir.

- Non. Ce sont des êtres vivants comme toi et moi. Pourquoi les priver de leur liberté ?

- Parce qu’ils sont inférieurs. Je les ai invoqués, ils sont miens désormais. Leur intelligence ne leur permet pas de se libérer, c’est donc l’ordre logique des choses.
Ils sont faits pour être mes jouets, mes gardiens.

- Je ne te suis pas, nécromancienne. On n’enferme pas des bêtes sauvages sans subir leur colère. Ce n’est pas ainsi qu’ils t’obéiront, encore moins qu’ils te protégeront.

- Je les contrôle et bientôt j’aurai assez de pouvoir pour faire de leur esprit rebelle une machine pressée de réaliser le moindre de mes désirs.

- T’ai-je déjà fait remarquer que tu es folle à lier et mégalomane ? »

Elle me jette alors un regard noir et s’enfonce dans les bois en claquant des doigts, suivie par Feng et Managarm, avançant à contrecœur.
Je leur emboîte le pas, sur mes gardes. Puis j’écarquille les yeux devant la magnificence du décor. En quelques mètres, nous voici au milieu d’une jungle luxuriante. Un cours d’eau sinue entre les hautes herbes, chantant les aventures de milliers de créatures sans un mot. Une voix l’accompagne, haute et claire comme un éclat de lumière se reflétant dans une onde pure.
Ces sons semblent former des vers d’une indicible beauté, appelant la Nature à se rassembler, se sublimer. La voix raconte la croissance des végétaux, la vie et la mort de chaque être dans l’harmonie du tout.

Tiens ! Je vois quelque chose briller dans le ciel. Peut-être l’éclat chantant ? Puis un cri de guerre plutôt ridicule, entre sauvagerie et piaillement, couvre la musique ambiante et se rapproche.
Devant mon nez, un faucon blanc transperce le couvert des arbres et s’écrase au sol. Planté le bec le premier dans la terre meuble, il bat mollement des ailes en louchant sur un lombric rampant devant lui.
Pendant que je dégage l’oiseau, un rire étrange retentit. Relevant la tête, je vois une biche se bouchonner en tenant une brosse avec ses oreilles. Le cervidé s’admire dans un miroir fait d’une flaque plane flottant à la verticale dans les airs et se déplaçant pour anticiper sa vision narcissique. Je réalise après coup que je dois avoir l’air particulièrement stupide, béa et la bouche ouverte.

« Dites… vous vous rappelez avoir pris de la passiflore en masse avant de venir ?  demandé-je à Nala et Feng, arborant une expression toute aussi sidérée que doit être la mienne.

- JAMAICAAA WEEEEED ! » est la réponse qui résonne dans mes oreille, tandis qu’un énorme tas d’herbe couleur rouille roulée dans un cylindre de papier fin traverse les fougères en se consumant. Les vapeurs qui en émanent forment de larges bouffées odorantes qui me font tourner la tête d’ici.

Derrière l’étrange chose à l’air curieusement familier vient un sylvari élémentaliste des Lucioles, Alfirin Laimà, qui a l’air complètement retourné. Un écureuil lui saute dessus et commence à le grignoter.
Des flammes provenant de l’intérieur de la fougère humanoïde lèchent l’air devant lui, tandis que le mage se met à hurler :

« Sale bêêêêêêête ! J’suis plus étaaancheeeee !

- Nala ! Tu peux les sauver ? lancé-je à l’asura.

- Non… Ils sont déjà complètement emplis par la magie sauvage qui baigne ce monde » me répond-elle.


Chroniques mentales de Feng :

J’hésite entre la panique et l’indifférence face à la folie de tout ce qui m’entoure. Je ne pensais pas que je pouvais tant regretter le Quatrième Royaume. Je veux retourner dans mon monde, et surtout retrouver cette femme. Celle qui hante mes rêves et mes pensées, auréolée d’une lumière qui la rend floue, ses cheveux ondulant dans le vent tandis que je reste entravé par les ténèbres.



« C’est trop daaaangereux de partir seul !

Ces mots retentissent soudain, venant d’un vénérable vieillard en toge. Assis en tailleur dans le vide au-dessus de la rivière, il nous observe en souriant. Sa peau est parcheminée, ses cheveux épars blancs comme la neige et ses traits ridés comme la peau d’une pomme trop mûre.

- Où ça ?! demandé-je.

- Preeeeeeends ça ! me conseille alors l’antiquité vivante d’un air de prestidigitateur en agitant une arme sous ses robes.

- Non merci, refusé-je poliment. Ta lame est trop courte pour moi.

- Complëëëëxitéééé… Perplëëëëxitéééé… CoooCO ! Snik !

Voilà le nouveau bruitage qui interrompit notre discussion : le cri d’un cacatoès norn – à voir les dimensions de l'animal – aux plumes couleur d’ébène. Ce dernier porte un étrange canif entre ses pattes et crie de manière stridente des mots étranges en fracassant une grosse noix ferme et juteuse de son bec aiguë :

- Vous êtes tous si bëëëëte ! Rien ne peut vraiment vous arriver tant que vous possëëdez un nom et un futur ! Quoique le caddie pourrait tous nous lancer dans une descente vers l’enfëëër.
Quelle est la place du créateur ? Quelle la place de la crëëëation ? Quelle est notre place dans l’univëëërs si la sienne est déjà incertaine ?
Vous ne comprenez rien ? C’est que vous n’êtes pas prëëëëts ! Je sais ce que vous pensez, mais c’est vous qui êtes fous ! Un jour vous comprendrez, et vos yeux s’écarquilleront devant les lasagnes imbriquëëëëëes de nos mondes enlacëëëës. Leur destruction implique la nôtre, notre destruction implique la sienne mais pas la leur. Crâ.

- Il est complètement pété ce piaf, c’est un nouveau ici. Faites donc pas gaffe, commente le vieillard.

- Crâ ! Tu cherches la bagarre, vieux croûton, poncif délabrëëëëë ?! Crâ crâ crâ crâââ !! lance l’oiseau en tentant d’ouvrir le crâne de l’ancêtre comme il a ouvert sa noix.
Mais le vieil homme esquive l'attaque et claque des doigts, ce qui provoque une détonation envoyant bouler le volatile dans un tas de champignons.

- Moi je l’aimais bien, j’ai eu l’impression de comprendre de quel monde il parlait… réagis-je.

- Elentar… soupire Nala. Tu es vraiment crédule. Enfin, je ne devrais pas nourrir d’espoir pour quelqu’un qui croit que la magie vient des Totems animaux qu’il vénère.

- Parce que tu as mieux, peut-être, la naine ? répondis-je d'un ton acerbe.

- Bien évidemment, gros tas. Ton imagination te fait te figurer une force incompréhensible et vertigineuse, mais tout ceci disparaît avec la science et l’apprentissage de la physique qui nous gouverne. L’alchimie explique très bien les phénomènes magiques par des équations. La magie n’est qu’une force découlant de l’interaction entre deux mondes aux lois incompatibles, un facteur d’équilibre qui disperse l’entropie. Et ce chaos peut être maîtrisé.

- Mais on peut s’émerveiller de dëëëcouvrir et de comprendre. Dans la beautëëëë qui éclaire notre regard lors de ces instants éphémëëëëres résidera toujours une certaine magie, crie l’oiseau philosophe depuis les champignons, un étrange objet violet vif dans le bec.

- Poète ! lance la nécromancienne sur un ton moqueur. Nous ne savons rien créer du néant, pas plus que la nature. Tout se construit sur les fondements du passé et du présent. Chaque idée nouvelle n’en est pas une : ce n’est que la combinaison qui est inédite.

- Et comment expliques-tu les invocations, alors ? rétorqué-je.

- C’est le principe de l’appel d’air, mais alchimiquement. Quand on sait contrôler les éléments par déstabilisation atomique de proche en proche, on peut provoquer une réaction en cascade qui vide une zone du potentiel élémental correspondant à l’entité invoquée. Et celle-ci est irrémédiablement attirée dans ce plan comme un aimant. C’est également cette loi qui limite la distance d’utilisation de la magie. Inculte.

- J’comprends rien, grommelé-je. Mais je sais que les dolyaks et les loups ont de la magie en eux : celle qui leur permet d’être doux et libres.

- Votre monde a l’air intéressant, dites donc. Laissez-moi vous expliquer comment fonctionne ce que vous appelez « magie » ici, nous arrête le vieil enchanteur. Dans nos contrées, c’est l’Éther qui fait la loi. Et il obéit à la Volonté. Chaque souhait, en fonction du pouvoir qu'on lui donne, modèle cette force qui baigne toute chose et à son tour modèle la matière. Mais depuis la Déchirure, tout part en vrille… Un crétin a cru amusant d’ouvrir une brèche sur d’autres mondes il y a bien longtemps, et tout s’est précipité récemment.
Au début c’était plutôt marrant : on recevait régulièrement la visite d’êtres de toutes sortes et de tous horizons, qui apportaient de la nouveauté et de nouveaux souhaits, remodelant la nature et la vie. Il est fort possible que nos mondes soient intimement liés depuis très longtemps, à votre échelle.
Mais la volonté de quelques-uns a ruiné ce qui appartenait à tous.
L’Éther s’est dispersé de manière inégale, provoquant où il était le plus condensé la déchirure du voile qui sépare les mondes. Et aujourd’hui les déséquilibres menacent tous nos univers… Notre « magie » s'éparpille et crée des catastrophes comme des merveilles de toutes parts, mais surtout un déséquilibre qui provoquera à terme une dépression fatale.
Désormais chaque passage par les déchirures du Voile les agrandit. Si d’autres entités venaient à venir ou partir, l’Éther compresserait votre monde et le réduirait en poussières.
J’ai besoin de vous pour demander audience au Conseil, constitué des Seigneurs détenteurs de la Volonté la plus forte et seuls capables de refermer les déchirures, afin de sauver ce monde et le vôtre, mais aussi tant d’autres. J’espère qu’enfin ils entendront la voix de la raison…

- C’est bien beau tout ça, mais avant tout qui es-tu, savant ? demandé-je.

- Eh bien ! Je suis Lhovimydoque.

- Love me doc ?

- Non merci. LHOVIMYDOQUE : l’honorable vieux mystérieux donneur de quêtes, bien évidemment.

- Ah, c’est vrai que c’est plutôt parlant.

- Comme moi ! en profite l’objet oblong coincé dans le bec du cacatoès pour se manifester.

- Je crois que je vais craquer… marmonne Feng qui jusque là avait gardé le silence. Je suis sûr que j’ai déjà tué pour moins que ça.

- Tu as besoin de te détendre, mon loup ? propose l’item phallique, dont la couleur rappelle celle utilisée sur les étals de la Compagnie du Lion Noir pour présenter les armes légendaires.

- Ce qui me détendrait, c’est de tous vous voir au fond d’un trou.

- Oh ouii ! Toi qui traverses les fentes entre les mondes en tous sens, emmène-moi au fond d’un trou, et tous ensemble emplissons-le de flux magique, qui nous transportera jusqu’au septième ciel !
La solution est là, échappe-toi avec moi ! Grâce à mon pouvoir tu pourras avoir à tes pieds d’innombrables créatures qui seront tes esclaves ! »

Le regard du demi-Orque accroche alors quelque chose derrière l’objet prolixe, et se teinte de sang. Feng s’avance vers l’impertinent objet, et plonge la main au milieu des champignons pour en sortir une épée si large qu’elle pourrait servir de pelle à tarte. Cette fois, Nala a l’air de perdre le contrôle : le rôdeur admire l’éclat de l’arme, et son regard se fait lointain. Puis ses pupilles s’agrandissent et ses yeux tout entiers deviennent rouges. En quelques gestes il teste l’équilibre de l’épée, fixant chacun de nous l’un après l’autre en grognant, l’air possédé.
Puis les gestes de Feng se font rageurs et violents. La lame siffle dans l’air, rappelant le son menaçant d’un serpent à sonnette, et ratant d’un pouce le cacatoès. Ce dernier s’envole en hurlant quelques insultes bien senties et en lâchant le jouet causant. Planté dans le sol meuble, celui-ci n’abandonne pas.

« Sauvage !! Ce n’est pas ainsi que l’on doit traiter l’humour. La violence ne mène qu’à la vengeance, la douleur et la mort. Quelques mots valent-ils le sacrifice de ton existence ? Ta vie vaut tellement davantage ! La liberté t'importe-t-elle désormais si peu que tu n'en vois qu'une seule facette ? »

Ne l’écoutant pas, le demi-Orque tente de raccourcir l’objet, mais l'arme maudite se plie dans l’air et s’enroule autour de l’étrange item philosophe. On dirait une étreinte amoureuse entre deux objets. J’essaie de me réveiller de ce rêve imbitable.

« J’aimerais te conseiller d’écouter la conscience qui te souffle de te suicider, lance la chose violette à Feng. Certains penseraient que ton enfance difficile peut tout expliquer, voire tout pardonner. Mais je ne suis pas de ceux-là. Ton stoïcisme ne te mènera nulle part, commence donc plutôt par la zététique avant de montrer trop de zèle envers les instruments de mort. Pour la peine, tu recevras un coup de rasoir d’Ockham et trente coups de règle jaune sur les doigts ! »

Je me sens de plus en plus perdu dans ce monde, mais Lhovimydoque a l’air de bien rigoler.


Chroniques mentales de Nala :

Je suis à la fois anxieuse et excitée. Quand je vois ce dont est capable cet Éther, l’espoir d’un pouvoir sans limite me paraît bien moins fou. Avec une telle force sous mon contrôle, rien ne pourra plus jamais me résister… Reste à trouver le moyen. Le Conseil sera peut-être enclin à me laisser faire si cela sauve leur monde. Je vais me servir d’eux.
Cependant, la route risque d’être périlleuse. Mon instinct me souffle déjà qu’un danger rôde, tout près. Et ce stupide esclave n’en fait qu’à sa tête. Cette épée maudite est même parvenue à le soustraire à mon contrôle… cela ne doit plus se produire. J’ai besoin de lui et du gros-plein-de-bière pour retrouver Thauffee. Après avoir vu toutes ces choses, j’espère ne pas la retrouver dans un état étrange…
En parlant du loup, voilà que Feng essaie de bander sa volonté contre la mienne. Peut-être a-t-il compris que l’Éther peut jouer en sa faveur. Damned, il en veut. Mais il ne m’aura pas aussi facilement.



Raffermissant sa prise sur l’épée, Feng fixe son regard carmin sur l’asura. Il a toujours l’air sous l’emprise berserk de son sang bouillonnant. Nala relève le défi qui brille dans les yeux du demi-Orque, et leurs volontés s’embrasent et se heurtent brusquement. Tous deux grimacent comme s’ils souffraient intensément, et c’est peut-être le cas. L’air est empli d’électricité, si dense que c’en est presque visible.
Puis le tonnerre résonne.

Des insultes retentissent dans l’air au rythme des claquements des lanières d’un chat à neuf queues. Le fouet à multiples lanières est tenu par le personnage principal de mes blagues favorites : Bridgesse.
La norne se tient sur un char gigantesque, peint d’un blason représentant trois lions : un rugissant, deux se faisant dessus. L’engin est tiré par deux reptiles verdâtres arborant une crête osseuse. A l’arrière est allongée une forme sanguinolente, respirant à peine. Alors que le véhicule se rapproche, je reconnais le pelage blanc et l’épieu frontal caractéristiques d’une licorne.
Puis le fracas arrive sur nous, et le char heurte Lhovimydoque, envoyant sa tête voler dans les airs et écrasant son corps avec un bruit peu ragoûtant. Sans que je comprenne comment, l’épée et l’item violacé se mettent à léviter et sont projetés sur Bridgesse, qui les pare habilement.
Du fond des bois, un hennissement retentit.


Le char stoppe sa course dans un dérapage, et la norne saute au bas du véhicule en traînant le corps à demi-mort de la bête féérique. Puis elle la frappe d’un grand coup en criant « Thaurticolis ! Thaucsin ! Thauma ! Que votre pouvoir venge ma folie ! Que les poneys instigateurs de ce complot souffrent comme ils m’ont fait souffrir ! ». L’une des lanières s’enroule autour du cou de la pouliche magique et l’étouffe, tandis qu’une autre entre dans une oreille jusqu’à provoquer un saignement et que la dernière l’électrocute. La pauvre bête parcourue de spasmes doit atrocement souffrir, mais ne peut même pas crier sa douleur.
Soudain je réalise… « Thauma ». Bridgesse serait-elle en train d’utiliser notre compagnon sylvari transformé en fouet ?! Je veux bien croire que certaines Lucioles aient des passe-temps étranges, mais la situation devient franchement glauque.
L’étonnement m’a paralysé un long instant, mais il est temps d’intervenir.

Tandis que l’hémoglobine répandue est aspirée par la terre vorace, je m’approche de la scène en hélant Bridgesse. Au lieu de me répondre, elle lève son chat à neuf queues et mes jambes gèlent sur place, m’empêchant d’avancer. Puis la roche me recouvre comme un manteau, me privant du moindre mouvement. Je ne peux même pas me métamorphoser tellement la pression est forte. Près de moi, je vois que Nala a le regard fixe et aucunement l’intention de bouger, le demi-Orque et sa louve n’agissent pas non plus : la magie de l’asura doit les en empêcher. Quant aux étrangetés de la clairière, elles ont dû filer en douce.
Et il faut croire que la norne n’en a pas fini avec sa proie : elle invoque Thauffee, et une lanière couleur caramel s’étend sur le pelage ivoirin avant de l’arracher subitement. Cela ressemble aux pratiques de la noblesse du Promontoire divin… ces femmes qui passent leur temps à s’encourager en se disant « il faut souffrir pour être belle ».
Nala est devenue blafarde, ce qui est difficile quand on arbore une peau sombre comme la nuit. Ses yeux sont exorbités, et sa lèvre inférieure fendue sous la pression de ses petites dents pointues.

« Je… je me demande s’il faut pleurer dans ce genre de situation… déclare-t-elle d’une voix altérée.

- C’est toi-même qui bride tes émotions, la solution ne peut venir que de toi, répond une voix inconnue, claire et chantante.

- Evangelicorne… va-t-en ! peine à prononcer une seconde voix au timbre proche.

- Non. Si c’est un pêché que de tuer pour sauver ta vie, alors nous nous partagerons ce fardeau. »

Et alors qu’un roulement de tambour emplit l’air, je réalise que ces voix résonnaient à l’intérieur de nos têtes.
Puis une nouvelle licorne apparaît, filant au triple galop entre les arbres, ce qui nécessite assurément d’être une créature magique. Son pelage scintille à la lumière et un arc-en-ciel se forme derrière ses pas. Sa corne fièrement dressée vers la voûte végétale, elle charge en hennissant, avant de freiner des quatre fers et de bondir pour éviter de sombrer dans l’abîme qui vient de s’ouvrir sous ses pattes.
Mais une bourrasque la rejette de l’autre côté de la faille. Où elle se réceptionne de justesse en soufflant par les naseaux.

Le vent apporte une sorte de carte de jeu de la taille d’un homme jusqu’au lieu des festivités. D’un côté, un humanoïde à la beauté androgyne et aux oreilles pointues gonfle ses joues et souffle, provoquant le courant d’air qui l’a amené ici. De l’autre, un démon nous fixe de son regard sombre, insondable. Des membres musculeux et des tentacules gluants émergent de son thorax semblable à une montagne inaccessible.
Puis tous deux braillent dans un bel ensemble mais avec deux tons très différents :

« C’est l’heure du Du-du-du-du-du-du-dueeeeel ! »

Et alors qu’Evangelicorne reprend sa charge, faisant léviter autour d'elle une tempête de feuilles coupantes comme des rasoirs, les deux faces de la carte se mettent à commenter l’affrontement comme deux joueurs d’asuraball sur la touche. Pour les ignorants, il s’agit de ce fameux jeu consistant à envoyer un asura par-dessus la taverne adverse à coups de bottes cloutées. Mais nous ne sommes pas des monstres : la plupart du temps, nous jouons avec des membres de l’Enqueste.

« Eeeeet oui Jean-Bob, sa Majesté Maléfique, est avec nous aujourd’hui pour que cette bataille reste dans les annales, entame la face aux oreilles pointues.

- En effet mon cher ! Mais je ne serais rien sans vous, Seigneur Mégodas.  On peut dire en tout cas que c’est une joute infernale qui va se jouer devant nos yeux ébahis.

- Alors que nous voyons le canasson foncer vers son destin, quels sont vos pronostics, Roi des allumés ?

- Eh… vous me connaissez, hein. J’ai toujours eu un faible pour les pouliches. Faites-moi d’ailleurs penser à racheter des bâtonnets frits ! Ahah !

- Arrêtez vos salades, je suis sûr que vous n’êtes pas insensibles à la somptueuse facture de ce chat à neuf queues !

- Aaah… c’est vrai qu’on en fait plus des comme ça, de nos jours. Tout est fabriqué par les jaunes !

- L’équipe d’asuraball des îles Chocobo ?

- Mais non ! Vous ne savez donc pas qu’ils se sont pris une comète sur la tronche là- bas ? Apparemment à cause d'une histoire d'aliens trop fiers de leur chevelure. Je parlais de ces êtres fourbes dont on ne voit pas le regard, ces immondes leemons…

- Ah, je vous accorde  que leur apparence n’est pas avantageuse, mais c’est tout de même bien pratique : ils absorbent l’Éther qui dépasse les normes à notre place !

- Oui mais revenons-en à nos moutons... euh à nos pouliches ! La fière créature a évité tous les obstacles et encorné un pauvre dinosaure des jungles.

- Et c’est bien triste Jean-Bob, car c’est une espèce en voie de disparition. Dire que dans des millénaires je suis certain qu’on confondra tout entre la comète des îles Chocobo et les massacres perpétrés par les Licornes.

- Je ne vous le fais pas dire ! Elle est furieuse la petite. Regardez comme sa croupe magique se soulève encore et encore… mhm…

- Bref ! Pour l’instant aucun des deux opposants ne prend l’avantage malgré le sang de la norne qui coule de multiples entailles, et les spectateurs ne semblent pas prêts à intervenir…

- Mais regardez-moi ce spectacle ! Comment ces lanières claquent tout autour d’elle tandis qu’elle esquive agileme… OH ! Voilà qu’elle est touchée ! Sa fourrure s’enflamme…

- Et de une… et de deux… OOoooh et il n’y en aura pas trois ! Seuuulement deux lanières l’ont touchée ! J’en perds Mégodas !

- La prochaine fois que vous me faites cette vanne, j’affiche cette fameuse œuvre hent… en taille réelle au musée de l’évolution !

- Vous n’oserez pas, mon cher. Et puis on ne sait même plus ce qui est représenté depuis que vous vous êtes illustré en vomissant dessus.

- Vous connaissez la différence entre une cuisine et des toilettes publiques ?

- Euh… non ?

- C’est pour ça que j’avais vomi. Votre cassoulet aurait pu tuer un Oliphant !

- Revenons-en à nos oignons, Mégodas. Vous vous il-lustrerez une autre fois… ahah.

- Je foule du pied vos boutades ! Après, j’ai le moral dans les chaussettes…

- Ahahah ! Et regardez-les, la licorne divague ! Depuis qu’elle a été touchée, elle tremble de peur. On dirait qu’elle fait un cauchemar !

- Ouuuch ! Ce coup-là doit faire sacrément mal, vu comme elle boite…

- C’est qu’elle n’a pas l’habitude !

- Vous êtes immonde, Jean-Bob.

- Merci ! Oh mais … il va vraiment utiliser cette attaque ? Le fouet de caramel, Thauffee, l’épilateur ?

- C’est vraiment rasoir je trouve.

- Ohohohoh ! Eh mais regardez, on dirait que ça a fait réagir la petite noiraude. »


Et en effet, Nala a enfin décidé d’agir. Sa première action est d’ordonner à Managarm de réduire la carte parlante en charpies. S’ensuit un combat entre les commentateurs et la louve, qui a au moins le mérite de nous éviter de subir pareil humour douteux. Rapidement le vent emporte les deux olibrius loin de la clairière.
D’un second geste, la nécromancienne envoie Feng entraver la licorne, ce qu’il effectue sans grande difficulté vu l’état de la bête. Puis elle égorge les deux êtres féeriques sans frémir.

Elle s’approche ensuite de Bridgesse, qui lui sourit fouet à la main. Elle lui fait signe de se pencher pour lui dire un mot, et enfonce un doigt dans la carotide de la norne. Un doigt recouvert d’une griffe de métal acérée. En quelques secondes, la Luciole s’étiole en s’étouffant dans son propre sang.
Et dire que j’assiste impuissant à tout cela.
La nécromancienne la regarde sans expression, et ramasse le chat à neuf queues dont elle arrache chaque lanière sauf une, qu’elle sert contre son cœur.
Mes entraves se disloquent et me permettent enfin de bouger. Ouf, je commençais à avoir de sérieuses démangeaisons.

« Elentar, m’interpelle-t-elle. J’ai l’intention de sauver Thauffee de ce sort. Es-tu avec moi ?

- Non. Tu parles de sauver Thauffee alors que tu viens de tuer sans hésiter nos compagnons !

- Je n’ai pas besoin d’eux.

- Soit. Alors tu n’as pas besoin de moi.

- Si tu me dis non encore une fois, je laisse l’Éther te transformer en lapin et je te dévore. Cru.

- Tu sais bien que je me gausse de tes menaces, bluffé-je – bien évidemment qu’elle me faisait peur, qui pourrait rester stoïque face à un tel choix ? –.

- Très bien. Alors je te propose un marché, héros. Si tu m’aides, je libérerai Feng et Managarm, puisque tu as l’air de tant y tenir.

- Tu as l’intention de t’emparer de l’Éther, hein ?

- Ne te plains pas, ainsi les multivers seront sauvés. Et l'on chantera des chansons dont nous serons les héros !

- Nous ne le méritons pas ! Pas de cette manière.

- Peu importe les moyens, seuls comptent les résultats. Ta fierté compte-t-elle donc davantage que ta vie, celle de tes compagnons, ainsi que celles de milliers d’univers ?

- Non.

En prononçant ma réponse, je tremble de rage, mais aussi d'espoir. Nala est retournée aux ténèbres, mais elle est aussi l'une des clés qui ouvre les portes d’une échappatoire salvatrice. Je me promets que c'est la première et la dernière fois que mon honneur est ainsi foulé du pied par ce pois chiche. Mais il y a des priorités : tout comme la nécromancienne, ce monde a besoin de la lumière des Lucioles.

- Alors allons-y. Nous devons trouver ce Conseil, sauver Thauffee, et devenir des héros. »


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Message par Elentar Lun 30 Mar 2015 - 21:25

Chapitre Troisième :
À la Croisée des Chemins








Chroniques mentales d’un stagiaire intergalactique :

J’en ai trop marre de cette planète bizarre ! Même Adoprixtoxis était moins craignos. Du coup aujourd’hui, le capitaine Gloumi nous a emmenés voir L'Oracle pour savoir où trouver un vaisseau spatial et repartir chez nous. J'la kiffe trop cette voyante ! Elle a pas vraiment de swag avec ses robes trouées, mais elle est trop forte ! Elle a su que je m'appelais Kevin juste en me regardant, mais après j’ai plus rien compris… Heureusement que Teddy, mon nounours, a su me rassurer. En dix-huit ans il ne m’a jamais lâché, c’est mon héros.
Au milieu des mots compliqués de la vieille, je me rappelle de quelques-uns... le début et la fin, le chaos et l’ordre, la guerre et l’entraide, l’espoir et l’anéantissement. Le capitaine a dit que de toute façon dans l’équipage on était fixés, qu’on n’a aucun espoir de s’entraider ou qu’il y ait une fin au chaos qu’un stagiaire a provoqué dans les chiottes. Bon maintenant, il paraît qu’on doit retrouver un ami de Gloumi, un monsieur qui s’appelle capitaine Flamme. Tiens, ça me donne envie de chantonner !



Laissant derrière nous la forêt et ses cadavres, nous avançons dans un paysage pour le moins étrange. Le décrire comme « changeant » serait un euphémisme.
À mesure que nous marchons, la futaie devient de plus en plus épaisse. Au sens propre. L’air est plus lourd, difficile à traverser. Levant la tête, je vois l’océan à la place des cieux, et me protège instinctivement d’un bras. Mais l’étendue d’eau ne s'effondre pas : elle flotte. Je lâche un rire nerveux en pensant à ce jeu de mot presque digne de ma boîte de conserve préférée : Briorkrall.

Les embruns atteignent maintenant la cime des arbres, les métamorphosant. Leur écorce se durcit, devenant grisâtre. Ils fondent et s’entremêlent. Devant nous la nature devient une ville, semblable à celle du monde d’Elendra. D’immenses masures toutes en hauteur et recouvertes de verre s’élèvent vers les nuages comme pour les transpercer. Entre elles, des tubes et des ponts traversent l’espace, et des routes lisses et noires tracent le chemin vers l’inconnu. Soudain un son assourdissant retentit, et une onde de choc nous projette au sol. Les flammes dévorent la moitié de la cité. Depuis les fenêtres, des humains habillés de noir brandissent des fusils à l’aspect fragiles, mais diablement efficaces : des dizaines de balles sont projetées en une fraction de seconde, coupant en morceau d’autres hommes à distance. Heureusement, nous ne sommes pas mêlés à leur combat, comme si nous appartenions à un autre monde. Ce qui en fait est un peu le cas… Étrangement, les détonations s’assemblent en une musique rythmée. Le chant des armes rappelle la violence, la brièveté de la mort, les larmes de sang que pleurent ceux qui perdent leurs proches.
Puis un homme dégaine un sabre de lumière, parant les projectiles et découpant ses ennemis comme s’il s’agissant de chancres mous. D’un geste, un autre soldat envoie des éclairs sur l’escrimeur, le paralysant. Une rafale l’annihile. Puis un détachement lève les bras, et le temps s’arrête et remonte, avant de reprendre son cours. Le sabreur de nouveau vivant esquive la foudre qui l’avait tué et embroche le mage. Puis il disparaît pour réapparaître derrière un autre homme et ne laisser que deux morceaux sans vie.
Je vois une immense boîte de métal pourvue d’un canon effrayant remonter une rue transversale et braquer ses armes sur l’agile tueur. Le sol se fracture sous l’engin massif au moment où il tire, son obus dévié provoquant l’effondrement d’un bâtiment plus loin. La magie et la technologie sont des outils puissants. Utilisés ensemble pour dispenser la mort, ils pourraient provoquer la fin du monde.
L’un des deux camps a décidé de descendre dans la rue. Les autres font de même, engageant le combat au corps-à-corps. Leur soif de sang dépasse l’entendement : ce n’est pas une bataille, c’est une boucherie. Alors qu’ils s’entre-tuent, un vrombissement emplit l’air. Levant les yeux, je vois un monstre de métal volant larguer un objet ovoïde.
Nous courons pour échapper à cet enfer, en direction d’une rue vide.

Puis la bombe heurte le sol.

Autour de nous, l’obscurité gobe tout, subitement. Pourtant, je vois comme en plein jour. Des lucioles vrombissent autour de nous, apportant leur lumière. Celle-ci m’éblouit, m’empêche de voir clair. Je chasse les insectes, qui vont se perdre dans le firmament aquatique et allumer d’innombrables étoiles.

Celles-ci brillent de mille feux que je ne saurais décrire : ces couleurs n’existent pas. Enfin si, mais pas dans notre monde. Puis je me rends compte que je vois les couleurs sans les regarder, ou plutôt que je les entends.

« L’Éther doit modifier nos perceptions, reconfigurer nos branchements cérébraux. J’ai hâte de savoir utiliser un tel pouvoir. »

Voilà ce que me disent les couleurs de Nala. Feng et Managarm rêvent eux de courir dans leur forêt, de sentir le vent fouetter leur corps tandis qu’ils parcourent la nature enchanteresse. Mais la nature qui nous entoure est différente. Ni corrompue ni améliorée, simplement toute autre.

Encore une fois, nous nous heurtons à un changement de l’air, devenant inexorablement lents. A moins que ce ne soit le monde autour de nous qui soit infiniment rapide. Mes sens sont submergés de milliards d’informations incompréhensibles, contradictoires, aléatoires. Une pluie de feu nous entoure. Des mondes entiers sont contenus dans chaque goutte, se percutant, se détruisant et se réinventant à chaque mouvement et à chaque interaction. Les cycles de vie et de mort s’accélèrent, émettant une lumière éblouissante jusqu’à ce qu’enfin il ne reste que la magie et la vie qui en émane.
Une existence inhabituelle, faite d’extrêmes. Au milieu de tout cela, nous courrons sans ressentir autre chose qu’un curieux émerveillement.

Puis la fascination qui nous étreint s’estompe tandis que le temps passe et que tout disparaît. Si seulement le temps passe, car seule la vitesse de nos pensées peut encore nous informer sur son cours. Alors mes pensées elles aussi se mettent à dériver. Bientôt la peur vient m’étreindre, froide et terrible, impitoyable et insatiable. Elle me dévore et grandit, sans que ce dont elle se nourrit ne disparaisse. Elle fait partie de moi, elle me possède, je ne suis qu’effroi à la dérive.
Nous sommes perdus, laissés pour compte dans le Néant créateur.

Au bout d’une éternité – ou deux –, Managarm hurle vers l’infini. Feng se joint à elle comme un loup à sa meute. Leurs cris filent dans le vide, ne se répercutant nulle part. Sauf en moi. Dans mes tripes résonne une musique unique, spéciale, différente. Le rythme et la justesse n’en font pas partie, elle n’est pas faite de notes. Elle est faite d’émotions, de sentiments, de rage et d’espoir, de peur et d’amour.
Elle crée une route dans le néant, une corde qui nous sauve d’une chute infinie.
Enfin, nous débouchons sur un passage qui se scinde en deux.

« Vous voici à la croisée des chemins, aventuriers. »

Tiens, un panneau parlant seul à l’orée du néant… je le plains. Il doit gravement s’ennuyer ici, d’ailleurs cela se ressent dans sa voix.

« Bon, maintenant faudrait peut-être choisir votre destination messieurs dames, au lieu de rester plantés là comme un panneau ! On n’a pas toute la journée… euh… »

Apparemment, l’indicateur vient de se rendre compte de sa situation pour la énième fois.

« Dites-nous. Après toutes ces péripéties, il se trouve que mon gosier est plutôt sec. Quel est le chemin de la taverne la plus proche ‘siouplaît ? demandé-je poliment.

- Non mais ça va PAS ?! explose Nala. Nous passons une épreuve indicible, qui aurait pu nous coûter la raison, et voilà que ce gros-plein-de-bière fait valoir son surnom favori ??

- C’est au Nord ! répond le panneau blasé.

- Il y a un proverbe nain qui dit… commence Feng avant d’être réduit au silence par le pouvoir de la nécromancienne.

- Et pour solliciter le Conseil ? réclame l’asura.

- Vous avez déjà sollicité mon conseil. Maintenant ouste ! Laissez-moi avec ma solitude.

- Mais…

- Et ne vous écartez pas du chemin ! Sinon…

- Sinon ? le relancé-je.

- Oh bah, si je vous en parle ça n’est plus une surprise ! »

Sur ce, le panneau se met à ronfler bruyamment. Nala, de dépit, balance son pied dans le bois dur et lâche un cri de douleur en se tenant les orteils. Je parviens à retenir un éclat de rire, mais un large sourire ironique se dessine sur mon visage. L’asura ne le voit pas, trop occupée à tracer la route la tête fièrement relevée comme si rien ne s’était passé.

Nous suivons donc le conseil du panneau, car même Nala préfère tomber sur une taverne pour trouver de nouvelles informations plutôt que sur d’invincibles dangers.
Autour de nous la lumière se fait, éclairant un large chemin de terre bordé de somptueux vergers. Avec l’éclat du jour viennent également les ombres. Les arbrisseaux tordus projettent des silhouettes biscornues, à la fois inquiétantes et incongrues. Le vent se lève et fait bruisser les végétaux, ajoutant à l’ambiance angoissante. Les ombres, y compris les nôtres, se meuvent selon un rythme différent de celui des boisements, encore une bizarrerie…
Soudain, toutes les flaques de ténèbres et nos propres ombres se rassemblent sous les haies et prennent une forme en trois dimensions : un spectre obscur au corps étiolé, aux mains pourvues de griffes longues comme des dagues et au visage changeant dévoré par d’innombrables yeux d’arachnide. Il lévite doucement, tournant vers nous ses regards perçants, avant de fondre sur Managarm qui gambadait docilement au bord de la route.
D’un bond, la louve blanche esquive très largement l’attaque, avant de se jeter à la gorge de la créature restée en retrait. Elle passe à travers et se retrouve derrière le monstre de ténèbres. Feng dégaine son espadon, une arme de facture étrange faite d’un bloc de métal sombre et à la poignée recouverte de cuir. Nala et moi sortons nos armes et nous plaçons de chaque côté du rôdeur, prêts à le soutenir. En deux enjambées, il a rejoint le Totem et transpercé l’ombre de son arme. La lame ne semble pas effaroucher la créature, mais reste coincée en elle. D’un sifflement, le demi-Orque ordonne à Managarm de reculer sur le chemin, mais elle est coincée par l’ombre, maintenant aussi massive qu’un Giganticus Lupicus. La chose ténébreuse se heurte à un mur invisible, mais attrape la louve entre ses griffes et se lance dans une course effrénée et silencieuse vers l’inconnu.

Mon Totem !! Cette enflure ne s’en tirera pas à si bon compte. Jetant toute prudence aux orties, je me précipite sur les pas de la chose, sans vérifier si mes compagnons me suivent. Rapidement, l’ombre me sème : sa vitesse n’a pas l’air limitée par le terrain.
Maintenant, je suis seul en terre inconnue, et je cherche à pister une chose qui n’émet aucun son, ne dégage pas d’odeur et ne laisse pas de trace. Des ombres rampent de tous côtés, mais elles ne prennent pas forme. Comment retrouver celle qui m’intéresse ?
Il me reste bien une chose à tenter…
J’empoigne mon espadon et invoque la force qui sommeille dans mes entrailles. Des flammes bleues brûlent autour de ma lame, ronflant dans l’air. Me concentrant, j’élargis la sphère de feu à un mètre autour de moi. Les sombres silhouettes touchées par mon pouvoir s’étiolent, et les plus proches s’enfuient, toutes plus ou moins dans la même direction. Ces ombres doivent avoir une tanière. Je me précipite à leur suite, courant bientôt derrière une ligne noire de plusieurs dizaines de mètres. Autour de moi, jusqu’à l’horizon s’étendent des plaines recouvertes d’herbe rase, de vignes et de vergers. Après une demi-heure de course, je vois apparaître un monticule semblable à un tertre. Ces ombres seraient donc les spectres d’êtres décédés ?

La colline cache en effet un souterrain qui s’enfonce sous terre. Pas d’odeur de moisi ou de décomposition… étrange. Je m’enfonce précautionneusement dans les entrailles de ce nouveau monde. Je ne suis pas claustrophobe, mais j’ai tout de même hâte de ressortir à l’air libre. Différents chemins s’ouvrent devant moi, néanmoins il me suffit de suivre les ombres pour retrouver celle qui a enlevé Managarm. Je grince des dents en pensant à l'affront que nous fait ce monstre. L’incarnation du Totem ne s’éteindra pas ici, j’en fais la promesse.
Je débouche alors dans ce qui ressemble à l’intérieur d’un œuf : une sorte de caverne ovoïde si profonde que je n’en vois pas le fond.
Partout, des ombres s’entrelacent, formant une sorte de titanesque toile d’araignée. Sans ma magie flamboyante, je serais à la merci de toutes ces horreurs. Ont-elles aussi volé les ombres de voyageurs pour prendre forme ? Au milieu d’elles, je repère un éclat ivoirin : Managarm !

Je me demande ce qui serait le pire : que ces ombres soient immatérielles et que je m’écrase en contrebas, ou qu’elles soient bel et bien solides et me déchiquettent sans espoir de me défendre ?
J’attrape un caillou que je lance sur elles pour vérifier. J’entends un clapotis sonore au bout de quelques secondes. D’après mes calculs, il doit bien y avoir deux-cents mètres de vide entre moi et ce qui doit être un lac souterrain. En chutant de cette hauteur, l’eau me paraîtra aussi dure que l’acier, sans compter le sol à une profondeur inconnue. Puis j’avise une corniche à quelques mètres sous l’entrée. De proche en proche, je devrais bien arriver à rejoindre Managarm. Je balance mes bras en arrière pour m’étirer, puis utilise mes couteaux de pique-nique comme piolets pour descendre. Je n’ai jamais aimé l’escalade, être au-dessus du vide et ressentir cette force qui nous attire vers la chute, sans rien entre elle et nous. Mais je refrène ma peur en me concentrant sur chaque geste. D’abord un pied, puis une main, puis la deuxième, et enfin le second pied, avant de recommencer. Je souffle pour me calmer, quand quelque chose frôle mon visage, quelque chose de froid et mou. Je pense tout d’abord à une chauve-souris, avant de réaliser qu’une ombre m’a raté d’un doigt en projetant ses griffes vers ma tête. Je réalise alors qu’en me focalisant sur la descente j’ai laissé ma magie s’éteindre. Les ténèbres se mettent alors en mouvement, trop vite pour que je puisse les éviter. Elles m’encerclent et m’enserrent dans une étreinte imparable, qui aspire mes forces et me gèle. Près de moi, j’entends le vague gémissement de Managarm. Mon esprit en dérive parvient encore à réaliser que l’obscurité a le pouvoir de traverser la matière à volonté, puis ma vision se rétrécit. Ma conscience n’est plus qu’une étincelle, une étoile perdue dans un vaste espace glacial.

Je sens mon corps devenir chaud, brûlant, et fondre. Je ne suis plus qu’une boule de feu céruléen, un astre dans l’obscurité. Mon âme illumine la grotte entière, déchirant les ténèbres.
Puis un cri retentit, et je sens quelque chose frapper mon corps violemment, avant que Managarm ne tombe sur moi en couinant. Apparemment, mon corps est redevenu normal et la corniche solide.

« Merci géant des glaces, mais la prochaine fois que tu tentes de sauver ma sœur de Meute, évite de lui roussir les poils, se moque Feng. Et surtout, sache qu’un loup ne chasse pas seul. Nous sommes un clan et notre force est la coopération. »

Les paroles du demi-Orque me touchent profondément. Je ne pensais pas acquérir sa confiance de sitôt, mais il doit vraiment tenir à Managarm.

« Elentar ! T’en as pas marre ?! crie Nala, juchée sur le dos du rôdeur comme si elle le prenait pour son golem. On doit sauver Thauffee, pas les loups errants. Si je n’avais pas besoin de toi, je t’aurais laissé en pâture à l’Éther.

- Alors… tu peux sauver les personnes touchées par cette étrange magie ?

- Peuh ! Bien évidemment, me prends-tu pour un bête quaggan ?

- Alors pourquoi avoir laissé nos compagnons tels qu’ils étaient ?! Pourquoi avoir menti ? As-tu besoin d’une raison pour aider ceux qui en ont besoin, alors qu’ils sont des Lucioles ?!

- Bien sûr qu’il me faut une raison, je réserve ma magie à ceux qui me sont utiles. Et il y a peu d’aventuriers aussi crédules que toi, Elentar. »

Mes poings se crispent de rage. Attachant la louve à une corde tirée par Feng, je remonte ensuite à la force des bras, pour me planter devant la naine.

« Tu ne la mérites pas.

- Quoi ? me demande-t-elle, blême. De quoi parles-tu ?

- Thauffee ne sera jamais tienne. L’équilibre clair-obscur en toi a été brisé : tu n’es qu’une ombre jalouse et fielleuse. Tu pourrais faire de ton pouvoir un instrument de justice et de paix, mais tu as choisi le chemin de la souffrance.

- Tu crois que le monde est blanc et noir, grande gueule ? Que tu peux t’arroger le droit de me juger ? Quelle abjection… Si tu avais ne serait-ce qu’une once d’intelligence, tu te rendrais compte que ton existence n’est qu’une suite sanglante d’absurdités et d’actes manqués. Quant à moi, je suis sur le point de sauver un nombre d’êtres tel que tu ne peux l’imaginer ! Sans ma détermination et mon amour blessé, vous seriez tous perdus. Et tu oses me cracher ton vulgaire venin au visage ?

- Tu n’es dotée d’aucune bonne intention ! Si ce n’est pour Thauffee, tu ne désires que la ruine et la destruction.

- Les intentions… Ce ne sont que des mots. Ce sont les actes qui font l’histoire, gardien.

- Soit, mais les actes découlent des intentions. Comment veux-tu construire une taverne sur un marais instable ??

- Il est impossible de discuter avec toi, Elentar. En parlant de taverne, rafraîchissons-nous, on étouffe ici. Et remuez-vous, le temps presse. »


Ressortant du tertre, nous voyons une chute d’eau digne des légendes tomber du haut de l’éminence herbeuse. Arrivant sous elle en prenant garde à ne pas mouiller ma précieuse armure, je sens soudain un liquide imbiber mes cheveux et ma barbe. Pestant, je vois que Nala a projeté  sur moi le contenu de sa gourde, regardant l’outre comme si elle ne comprenait pas son acte.
Avant que j’ai le temps de tirer cette histoire au clair, je vois que la cascade entraîne jusqu’en bas de la butte un homme en tablier de forgeron, une bête poilue et deux femmes courtement vêtues.
L’une d’elle porte une robe blanche devenue transparente à cause de l’eau, la deuxième exhibe des accessoires grenat mettant en valeur ses attributs physiques.
Quant à l’animal bipède qui les accompagne, il ressemble au croisement entre un troll et un humain, recouvert d’une fourrure assez dense pour rivaliser avec celles des dolyaks. Par contre, on peut sentir d’ici sa pestilence… et dire qu’il vient de prendre une douche. D’ailleurs il s’en plaint :

« Mes mouches ! Mes mouches ! Elles sont mortes, parties, évaporées ! Je vais te tuer, tortue d’eau douce ! »

Je me demande de quoi parle le troll, puis je la vois en dépassant la violente cascade : une sorte de tortue bleue et ocre de la taille de trois hommes, qui arbore deux canons à eau sortant de sous sa carapace.
Derrière elle, un gamin coiffé d’un morceau de toile à visière sautille en criant des encouragements, une grosse souris jaune sur l’épaule. Je crois comprendre qu’il veut dépouiller l’équipe arrosée en les agressant avec son animal mutant. Je ne sais pas qui a éduqué ce gosse, mais pour le coup même Eir a fait mieux avec Braham…
En tout cas, l’affrontement ne dure pas : le troll se jette à l’assaut de la colline en esquivant les jets d’eau pulsés et riposte en urinant sur la bête géante dont la carapace se met à fondre. Les éclats de rire de l’humanoïde poilu ponctuent les cris de douleur de son ennemie. Puis il profite de l’incrédulité générale pour aller arracher du sol un tronc de pommier et composer ce qu’il appellera « brochette tortueuse aux pommes farcies ». Les trolls ont vraiment des goûts culinaires étranges.
Le gosse se met alors à chouiner en serrant contre lui sa souris jaune. Celle-ci couine et l’électrise violemment avec des éclairs sortis de ses joues, l’assommant. L’homme au tablier de forgeron attrape alors le rongeur foudroyant et le pose sur la poitrine de la femme en robe blanche, apparemment inconsciente après s’être noyée. Puis il appuie un peu partout sur la bestiole pour provoquer une décharge. Au bout de quelques secondes, la sourie crie « Pique à chou » et un éclair frappe le sol, grillant les trois humains, encore les pieds dans l’eau.

Devant la scène, le troll a l’air relativement attristé :

« Mince, j’les aimais bien ces trois-là. C’est tellement fragile un humain. On les quitte des yeux une seconde et hop ils baignent dans leur sang. Du coup, on partage ? Moi c’est Hébus.

- Avec plaisir troll Hébus, mais ne vas pas si vite en affaire ou on ne pourra jamais te rattraper ! Au fait, je suis Elentar.

- Ravi de voir qu’un brave gaillard est prêt à entamer un concours de boustifaille ! »

En quelques minutes à peine, le poilu a tout dévoré. Nous avons tout juste eu le temps de sauver quelques provisions. Ce troll pourrait bien bouffer un dragon au petit-déjeuner !

Nous décidons de faire un bout de chemin avec lui, mais il en sait encore moins que nous sur cet univers : eux venaient d’arriver ici.
Une nouvelle forêt nous accueille, ses frondaisons frémissant d’une vie joyeuse. Des créatures sylvestres sveltes et très féminines nous entourent en riant. Leurs mouvements évoquent l’érotisme et leur souplesse des possibilités seulement bridées par l’imagination. La mienne, d’ailleurs, s’emballe. J’imagine des étreintes passionnées au milieu de beautés assez nombreuses pour que chacune corresponde à un fantasme différent. Le désir monte en moi, me donnant chaud et soif, la tête me tourne agréablement et toutes mes pensées s’évaporant devant la perspective d’un plaisir sans bornes.

« Nymphes, dryades, naïades, je vous aime ! s’émeut Hébus, une étincelle de luxure dans le regard.

- Enchanté, rajouté-je. Je me nomme Elentar, norn gardien des Lucioles Automnales, protecteur de la Harde et défenseur du loup, pourfendeur de Zhaïtan et maître de la boisson et des donjons du... 
 SBAF ! »

Nala vient de me frapper sous le menton d’un violent coup du manche de sa faux, me remettant les idées en place.

« Bande de mâles en rut ! Aucune retenue, aucune détermination. Il suffit d’un morceau de chair à l’air et vous êtes prêts à suivre n’importe quelle dévergondée comme un chien obéissant la queue en l’air de contentement !

- Oui, c’est à peu près ça, acquiesce le troll en attrapant quatre des émoustillantes créatures entre ses longs bras poilus. Bon bah je vous laisse hein, c’est pas que je m’ennuie avec vous mais je me sens comme chez moi ici !

- Espèce de bête pervertie, souffle Nala.

- Oui, c’est à peu près ça, répète Hébus en riant puis en emmenant ses conquêtes plus loin. Bon, maintenant mes mignonnes petites métamorphes, je veux plus de poils et surtout plus de mouches ! Ahah !

- Non… Non ! Pas des mouches ! m’écrie-je. Hébus !! Garde m’en quelques unes sans les mouches pour le chemin du retour.

- Allez ! Zou ! On y va, conclut la nécromancienne en me poussant comme elle peut.

- Oh nooon ! Ne partez pas tout de suite, se lamente une dryade en nous fixant de ses grands yeux larmoyants. Le voile de l’obscurité va recouvrir les bois et il est impossible de les traverser dans le noir : d’autres que nous la possèdent quand les soleils se couchent. Des créatures que vous ne souhaitez pas rencontrer. Si vous voulez arriver au bout de votre périple, il vous faut être en forme ! Vous êtes déjà exténués… laissez-nous vous offrir une nuit … vivifiante, propose-t-elle en m’envoyant un clin d’œil, tandis que je plante mon espadon dans le sol en lorgnant l’asura.

- Bon… soit, accepte-t-elle en poussant un soupir entre exaspération et épuisement.

Je ne sais pas s’il est sensible intérieurement, mais cela a l’air de laisser Feng totalement indifférent.

Cette nuit me revient en mémoire comme une suite floue de fantasmes de débauche et de plaisirs. Certains détails pourtant se sont gravés dans ma mémoire, si précis qu’il me suffit de les évoquer pour ressentir à nouveau la douceur d’une caresse ou la chaleur humide d’un corps à la fois détendu et raidi par la jouissance. Un simple souvenir peut me faire frissonner et trembler : la voix suave et emplie de fierté d'une femme gémissant contre moi, le goût de baisers partagés entre tendresse et passion enflammée, ou le mouvement hypnotique qui accompagne un acte si simple et si profond.


J’ai dû m’endormir sans m’en rendre compte, car il est certain que je suis maintenant dans un rêve. Malgré le fait que je le réalise, je n’arrive pas à m’en échapper. Je suis un lapin blanc, gambadant dans les hautes herbes avec ses petits. Je ne vois pas très loin, mais mon ouïe me permet de repérer chacun des mouvements qui m’entoure, jusqu’au sens du vent.
Remuant mon museau, je peux discerner des dizaines d’odeurs différentes, certaines attirantes d’autres me rappelant des dangers. Les battements de mon cœur accélèrent.
L’une des odeurs se rapproche. Elle vient de la droite, là où le bruissement de la végétation est le plus important. C’est gros, et ça vient par ici.
Un éclair roux apparaît devant moi, et emporte un de mes lapereaux, puis un autre. Je me mets à détaler en guidant le reste de ma progéniture.
En quelques instants, tous ont été dévorés par le goupil. Ma seule chance est le terrier, mais il est encore loin. Mes pattes sont lourdes, ma respiration douloureuse, mon cœur va lâcher. Maintenant je le vois ! Ce trou dans le sol qui me sauvera la vie. L’espoir me revient une seconde, le temps qu’il faut au prédateur pour refermer sa mâchoire sur ma nuque. La vie me quitte dans un craquement.

« AAaaah !! me réveillé-je en sursaut, le corps luisant de sueur et seul dans un grand lit de fougères.

- Ahah ! Ils se font tous avoir par ce vieux truc c’est hallucinant… Coucou mon lapin ! » susurre une dryade d’un ton sadique, assise derrière moi.

Me relevant subitement, je me rends compte que la forêt face à moi ne bruisse plus, et que le vent s’est arrêté. Plus rien ne bouge. Tout est figé dans un silence surnaturel. Une sorte de frontière s’avance vers moi, derrière laquelle tout n’est que pierre morte. La nymphe ricane en me fixant de son langoureux regard hypnotique :

« Vous nous appartenez !

- Nala ! Feng ! Managarm ! Hébus ! Réveillez-vous, vite ! »

Feng est déjà debout, Managarm à ses côtés et Nala juchée sur son dos. Il décapite la dryade avant qu’elle ait le temps de réagir à sa présence puis s’enfonce dans les bois, fuyant le sort de pétrification. Mais pour le troll, c’est trop tard. Je vois sa silhouette figée dans une posture étrange, et des nymphes sortir de tous côtés en criant.
Heureusement que je dors en armure !
Il est temps de prendre ses jambes à son cou. Je n’aime pas ça, mais trop de choses en dépendent.

Encore à demi-assommé par le sommeil, je manque me faire démembrer par le coup d’une dryade, dont le bras est devenu une lame acérée. Déviant le coup en dégainant mon espadon, je lui ouvre le ventre dans le même mouvement. Tout en courant, je suis assailli par cinq adversaires aux formes diverses : une naïade a changé ses membres supérieurs en tentacules pour tenter de m’immobiliser, mais je les tranche d’un moulinet souple dès qu’elle s’approche. Les autres dryades, armées de lances et plus rapides que moi, tentent de m’embrocher en restant hors de portée. Mon armure et ma magie protectrice me gardent en vie, mais pas pour longtemps. Plutôt qu’à l’acier, je fais appel à mon pouvoir. Mon armure semble s'intégrer à mon nouveau corps tandis que celui-ci s’élargit et grandit. Mes mains s’allongent et mes ongles deviennent des griffes acérées. Une fourrure dense me recouvre tandis que mon visage se pare d’une mâchoire intimidante, d’un museau ultra-sensible et d’oreilles en pointes. Me voilà Loup. La seule caractéristique qui me distingue encore d’un véritable lupin géant est le bleu acier de mon regard. Tout le processus n’a duré en tout et pour tout que deux ou trois secondes. Mes ennemies sylvestres essaient bien encore une fois de m’encercler pour m’embrocher, mais je suis maintenant agile et rapide.
D’un bond, je me retrouve derrière l’une d’elle dont je tranche les jarrets. Elle s’écroule dans un cri.
Les quatre autres se métamorphosent à leur tour : un faucon au bec effilé, un ours, et un raptor me poursuivent. Je ne vois plus la quatrième, qui me surprend en surgissant du sol, transformée en une sorte de taupe. Ses griffes se plantent dans ma chair, et mon sang se met à couler à gros bouillons. Le rapace fond alors sur moi pour m’arracher les yeux, mais je m’écarte au dernier moment et le broie entre mes mâchoires. La magie de son sang coule dans ma gorge, me donnant assez d’énergie pour accélérer ma cicatrisation et arrêter mon saignement.

La lisière est proche, mais mes compagnons encore loin. Ils n’ont pas dû être ralentis autant par ces allumeuses sylvestres aux instincts meurtriers. Devant moi les arbres sortent leurs racines du sol pour me faire trébucher, mais je saute habilement entre leurs rhizomes. Une nouvelle fois la rongeuse surgit du sol en tentant de me transpercer le cœur, mais cette fois je m’y attends et l’accueille d’un coup de patte qui l’envoie rouler contre un arbre.
Jetant un coup d’œil en arrière, je vois que le sort de pétrification continue de s’étendre et n’est plus qu’à deux mètres derrière moi.
Grognant de rage, une écume sanglante rafraichissant mes babines, j’accélère encore. Je sens mes muscles se gonfler plus fort sous ma peau, me projetant en avant. Sautant, j’attrape une large branche basse entre mes dents que je relâche brusquement. Derrière moi, le raptor prend le coup en pleine poitrine, l’impact l’envoyant au sol. Je ne pense pas que ces catins des bois soient affectées par le sort, mais cela devrait quand même la calmer suffisamment longtemps pour que je m’échappe de cette forêt maudite.

Il ne reste plus que l’ours à mes trousses. L’animal, plus imposant que ceux des Cimefroides grâce à l’art de la métamorphose, parvient pourtant à charger aussi vite qu’un cheval au galop sans faire craquer une seule branche.
Encore quelques mètres et je ne risquerai plus d’être changé en une masse solidifiée tel un vulgaire rocher. Mais devant moi s’étend une barrière vivante, faite d’horreurs toutes plus répugnantes les unes que les autres.
Ainsi, les nymphes qui ont coursé mes compagnons se sont rabattues sur moi. Refusant d'abandonner, je me prépare à enfoncer leurs défenses en redevenant un norn caparaçonné au moment de l’impact. Mais j’ai toutes les chances d’y passer. Décidé à affronter la mort que j’ai tant de fois bravée, je garde les yeux grands ouverts et hurle mon cri de guerre : « TATA YO-YOOOOO !!! »

Alors je me rends compte que je suis sain et sauf, les arbres figés dans mon dos et Feng face à moi, arc à la main. D’une volée de flèches il a trucidé les dryades assez folles pour lui tourner le dos tandis que je les chargeais à revers. Je laisse échapper un grand éclat de rire en lui donnant une tape sur l’épaule pour le féliciter. Mais le son caractéristique de mon hilarité est largement couvert par le rugissement de l’énorme ours qui a osé sortir de ses bois pour nous affronter. À sa suite viennent ses sbires qui nous encerclent. Le demi-Orque et moi saisissons nos épées longues et nous plaçons en triangle avec Managarm, ne laissant aucun angle mort. D’un puissant souffle magique, j’enflamme l’herbe qui nous entoure. Un brasier bleu dévore la végétation en formant un cercle de plus en plus large. Menacées, les créatures sifflent et crachent comme des chats sauvages, puis décident de passer à l’attaque. Piaillant de douleur en traversant les flammes, elles se jettent sur nous pour nous écraser par le nombre. D’un moulinet croisé, je coupe un adversaire en deux et la jambe d’un second.
Puis l’ours se jette sur moi, ignorant ma lame qui lui transperce le flanc. Bloquée, elle m’est inutile. J’attrape un poignard attaché sous mon gantelet gauche et crève les yeux de la bête. Malgré cela elle continue de m’écraser et tente de me déchirer la gorge à l’aveuglette. Même si je parviens à l’achever, dans ma position les autres créatures n’auront aucune peine à m’occire. Je tente quand même ma chance en enfonçant mon bras dans la gueule de l’ursidé. Ma dague se frayant un chemin entre les crocs crissant contre mon armure, je l’enfonce dans son palais jusqu’à l’encéphale, le tuant sur le coup. En mourant la créature relâche tout son poids sur moi et je lâche un gargouillis peu élégant, en bandant mes muscles pour la repousser. Puis un autre poids achève de me scier les bras : la louve blanche a sauté sur le corps qui me recouvre pour me défendre contre les survivantes qui tentent de m’achever. Tentant de regarder autour de moi en bourrant de coups le cadavre par dépit, je sens d’un coup Managarm grogner et retourner aux côtés de son frère de meute. Et le poids qui m’écrasait s’évapore soudain tandis que des sauterelles émanent du corps pourrissant.

« Nala !!! Tu ne pouvais pas venir à notre secours plus tôt au lieu de corrompre les cadavres affectueux ?

- Estime-toi heureux que je te juge digne d’intérêt, le norn. Et tu devrais me remercier de ne pas te laisser pourrir ici avec les autres. »

En effet, tout autour de moi sont dispersés des morceaux divers ayant appartenu à nos hôtes meurtrières.
Je regarde Feng, ahuri. Le rôdeur est debout les bras le long du corps, respirant lentement de grandes bouffées d’air.

« Il est plutôt doué quand on contraint sa soif de sang à prendre le dessus, hein ? En fait, Elentar, je pense que tu as eu de la jugeote en te cachant sous cet ours.

- Je vais te donner en pâture à des charrs affamés, un de ces jours…

- Ahah ! Si tu veux leur mort et la tienne essaie donc.

- Et toi ? Où étais-tu ?

- Camouflée près d’ici, à profiter du spectacle ! C’est souvent un avantage de ne pas être un géant comme toi, tu sais ? Et surtout de ne pas avoir un réseau neuronal inversement proportionnel à ta taille.

- Économise ta salive l’asticot, tu vas en avoir besoin.

- Tu veux parler de ce désert entre nous et le Nord ? C’est vrai qu’on aurait dû éviter de crever toutes ces gourdes, ricane-t-elle en fixant son regard sur les corps découpés. »


Malgré nos piques d’humour, nous avions raison. Dans ce désert la température ne descend jamais en-dessous de l’insupportable, même la nuit. Ce doit être à cause de ces quatre soleils qui ont focalisé tous leurs rayons sur une mer si asséchée qu’il n’en reste que du sel.
Nous n’en sommes qu’au deuxième jour et pourtant la soif nous tenaille déjà. Nos ressources en eau sont déjà à sec. Nous ne parlons plus et ne pouvons même plus déglutir. Je crois même que je commence à avoir des hallucinations, mais avec l’Ether rien n’est moins sûr. En effet, je vois des méduses flottant un peu partout au-dessus de l’étendue desséchée. Je me demande si on peut boire leur sang. Au bout d’une heure, n’en pouvant plus, j’en découpe une. En tombant au sol, elle fait fondre celui-ci. Je m’écarte précipitamment, puis m’aperçois que sous le sel, à un bras de profondeur se trouve de l’eau. Nous creusons à la main comme des forcenés pour boire, filtrant grossièrement le sel avec une bourse de cuir trouée.

Revigorés, nous parvenons le jour suivant en vue d’une caravane nomade. Nous voyant arriver, un étrange enfant accourt vers nous. Sous le bassin son corps est celui d’une chèvre, et des cornes lui sortent de la tête. Une barbichette lui mange également le menton. Celle-ci dégouline de confiture de mûre qu’il mange sur une tartine de pain dur. Un chat le suit timidement.

« Eh, bonjour ! lance-t-il la bouche pleine en faisant un signe de la main. Je m’appelle Phil’ ! »

Puis le gosse s’approche d’un cnidaire flottant dans les airs et réfractant les rayons solaires, aspergeant le sol des couleurs de l’arc-en-ciel. Attiré, il s’amuse à avancer et retirer sa main des tentacules de la créature, avant de rater son coup.
Pris d’une crise d’épilepsie violente, il tremble sur le sol en vomissant des arcs-en-ciel. Alors ces méduses auraient des propriétés variables ?
C’est alors que le chat court vers l’enfant et glisse dans la tartine qui reste collée sur son dos. Puis il se met à dévorer le sang-mêlé en ronronnant.

Les yeux écarquillés devant l’enchaînement improbable des événements, je reconnais le pelage et les oreilles du félin : Azzeria !
La voleuse métamorphosée se met alors à s’envoler en pétaradant, un arc-en-ciel se dessinant derrière elle. Elle nous salue d’une suite de « Nyan ! » qui me restent en tête.

« Ahahahah ! se gausse Nala.

- Comment peux-tu en rire ? la réprimandé-je.

- Je crois qu’on a … perdu le Phil’ de cette histoire ! » plaisante-elle les larmes aux yeux.

Réprimant un rire nerveux, je fais mine de l’ignorer, mais malgré l’horreur de la situation cela fait du bien de voir cette insensible montrer quelques sentiments.


Dans la caravane, nous croisons deux hommes en plein débat, refusant de nous écouter à propos de l’enfant :

« … Ma femme veut qu’on participe au Ragnarök en tenant Aurore à bout de bras, notre pauvre fille, chevauchant un aigle géant en compagnie de Lynn Hilary qui joue du banjo, se désole l’un d’eux, coiffé d’un large chapeau de paille.

-  Ah ouais dur ! Surtout qu’en ce moment les balades en rapaces sont chères parce qu’ils sont poursuivis par un caddie rouillé volant. Essaie de lui proposer la chevauchée de Pégase au soleil couchant sur une musique d'harmonicaAAH ! » commence à lui répondre un collègue avant de prendre peur devant un objet insolite descendant du ciel.


C’est alors que je vois un chariot de métal fait de fines tiges croisées débarouler depuis les cieux, rempli à ras bord d’explosifs, ses roues couinant dans l’air tandis qu’il fonce droit sur nous.

« Laissez-moi passer ! Je maîtrise la télékinésie, je vais le désarmer à distance ! lance soudain un homme sorti de sous une tente alors que tout le monde fuit.
Rappelle-toi Régis, reprend-il en murmurant pour lui-même, la magie, c’est un peu d’art, beaucoup de science, mais avant tout le chaos. Tu peux parfaitement désamorcer une bombe sans savoir reconnaître le fil rouge du fil vert après tout ! »

L’instant suivant, une immense explosion projette des morceaux de caddie de toutes parts, embrasant la caravane et tuant Régis sur le coup.

« Vite ! Suivez le mouton-nuage qui pète des éclairs ! Tous à l’abri au château ! Hurle une femme en prenant ses jambes à son cou. »

Et en effet, un nuage d'orage menaçant ressemblant vaguement à un mouton raté se rapproche, trop vite pour être simplement poussé par le vent.
Toute la caravane s'ébranle en laissant derrière elle ses biens partis en fumée.
Nous décidons de les accompagner pour parvenir à cette fameuse citadelle, qui avec un peu de chance abritera les entités que nous recherchons. Peut-être même pourrons-nous profiter de la vie de château… d'autant plus que ce périple n'est pas de tout repos !

Au bout de quelques heures de marche, je me rends compte que la dénivellation est de plus en plus importante.Nous montons une pente, qui nous sortira sûrement de ce brasier infernal.
Arrivés en haut, nous voyons un chemin pavé au loin, serpentant entre de petits villages vers un palais titanesque. Nous laissons là les nomades pour rallier notre objectif à notre rythme, mais une petite fille têtue répondant au nom d'Angélique nous suit, apparemment orpheline et rêvant de devenir aventurière. Durant tout le trajet elle n'a cessé de nous apporter de l'eau et des vivres en veillant à notre confort alors que personne dans la caravane ne lui prêtait attention, et sa gentillesse l'honore. Nous pouvons donc bien veiller sur elle jusqu'aux premières auberges si cela lui sied.

Arrivant devant un établissement nommé « L'Ours à la Bière », nous entrons pour laisser la petite entre les mains de quelqu'un un tantinet responsable. Je ne me rendrai compte que plus tard de l'absurdité de cette démarche. Dans l'auberge sont attablées plusieurs compagnies hétéroclites, dont une parlant en vers et une autre possédant une grosse créature verte et un nabot en armure rutilante. Je me demande comment ils parviennent à ingurgiter pareille nourriture... Je ne reconnais pas tout, mais des insectes grillés… beurk ! Nous ne laisserons certainement pas Angélique entre les pattes de tels olibrius !
Mais la petite n'a apparemment besoin de personne : à peine arrivée, elle se dirige vers le bar et vide les verres entamés des clients qui regardent ailleurs, l'air déjà ivres. En quelques secondes à peine, elle parvient à s'enivrer et se retrouve entre plusieurs clients prêts à échanger leur verre contre un défouloir. Habillés très différemment, les buveurs ont l'air de former un groupe patibulaire prêt à tout pour se cuiter sans avoir à allonger la monnaie. L'un d'eux lance à la gamine des quolibets dignes d'un concours :

« Eh, demi-portion de coprolithe séché ! Comment as-tu osé souiller ma pinte de tes lèvres de coureuse de rempart ?! Je vais t'ouvrir en deux et t'étrangler avec tes tripes ! »

Avant même que nous intervenions, les compagnies bravaches se ruent à l'attaque, armées de tabourets. Les bonimenteurs prennent difficilement le dessus sur les alcooliques à la gifle facile, qui utilisent les moyens les plus fourbes : renversement du décor, coups bas, déconcentration à coups de mensonges éhontés et prise en otage de boucliers vivants.

Mais l'altercation n'est pas restée inaperçue : c'est désormais tous les clients – soit une trentaine de personnes – qui se jettent à l'assaut de leurs voisins en hurlant.
Au milieu de ce chaos, un marchand essaie de sauver un tapis de sol représentant un Séraphin en armure chatoyante, mais celui-ci se déchire et retombe dans la poussière. Au fond, une strip-teaseuse bien en chair se trémousse, imperturbable, sa tresse rousse et sa voix chaude devant lui valoir nombre de regards admiratifs entre deux bastons. Puis devant nous passe en courant une jeune femme rasta qui tient une étrange lampe entre ses mains, chantant « c'est l'hyyymne de nos campagnes, de nos rivières, de nos montagnes, c'est la vie man ! » avant de s'étaler sur le sol en glissant sur une lingette nettoyante.
Derrière elle, un chauve baraqué au sourire vendeur ramasse la lampe, l'essuyant avec une lingette pour la faire briller, avant de déclamer :

« Petit génie de la lampe, réalise donc mes souhaits ! Je veux que tout ici brille, soit plus étincelant que l'or, le diamant même ! Que propreté soit faite ! »

Haussant les épaules, nous montons à l'étage en assommant les imprudents sur notre chemin, dont une jeune blonde à forte poitrine et aux oreilles pointues qui se noie dans une bière.

« Profitons maintenant d'un repos bien mérité ! Lancé-je en guise de péroraison. Demain nous dînerons au Paradis, ou en Enfer ! »


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Message par Elentar Dim 19 Avr 2015 - 23:32

Chapitre Quatrième :
Le Dilemme des Exilés





Chroniques mentales de Nala :

Je rêve de maîtriser un pouvoir sans limites, un pouvoir tel qu’il m’assurerait que Thauffee m'appartienne, si puissant qu’elle n’aurait  d'autre choix, d'autre envie que de se jeter dans mes bras.
Je suis consciente que mon humeur est en dents de scie, qu'un jour ma détermination me mène vers ma douce et qu'un autre la douleur m'emporte loin de toute quiétude. Mais je ne peux me passer d'elle. Quand elle sera mienne de nouveau, le bonheur tel un phénix renaîtra en moi de ses cendres.

Une fois l’Éther entre mes mains, je nous ramènerai en Tyrie. Là-bas, il me restera quelques actions à mener avant de me reposer aux côtés de ma gardienne.
Je brûle déjà de punir l'Enqueste qui a fait de moi pareil monstre et m'a volé mon enfance et mon innocence. Mais gardons le meilleur pour la fin... je savourerai ma vengeance une fois que le monde m'appartiendra, en écrasant de toutes mes forces cette maudite coterie.

Je soumettrai tout d'abord les fantômes d'Ascalon. Grâce à ma magie et à la puissance de l’Éther je ne devrais avoir aucun mal à les contrôler. Ils seront mon armée invincible, et prendront pour moi le contrôle de la Tonnelle du Crépuscule. Ces sylvaris aux désirs obscurs seront parfaits pour étudier ce sixième dragon dont le nom  ne m'a pas échappé lors de mon séjour dans les geôles de l'Enqueste : Mordremoth. Le pouvoir d'un Dragon ancestral est loin d'être négligeable, les cinq restants pourraient même être capables de se dresser contre moi. Peut-être pourrai-je m'allier avec Jormag afin de prendre le dessus sur les forces nornes et kodanes. Ces peuples sont trop fiers pour me rejoindre d'eux-mêmes une fois mes projets révélés. Reste à voir s'il est possible de dompter un Dragon.
Parmi les humains, il me suffira de contrôler les corrompus pour prendre le pouvoir. Le Ministre Caudecus me paraît tout indiqué : assez vieux pour justifier quelques marques cadavériques semblables à des tâches de vin, et assez puissant politiquement pour mériter de traverser les âges en tant que marionnette de chair.
Il me faudra aussi de la main d’œuvre pour construire mes cités, mes palais et l'équipement de mes armées. Les draguerres sont répugnants, mais ils feront l'affaire : ils sont déjà habitués à servir dans les pires conditions pour leurs maîtres ; que ceux-ci soient remplacés ne devrait pas les déranger. Enfin, il me faut un atout, un arcane qui pourra me sauver en dernier recours ou bien faire de la Tyrie un enfer qui marquera les mémoires de mon sceau durant des siècles. Je dois prendre le contrôle de la Légion de la Flamme et percer ses secrets. Les Titans dispensent une magie destructrice qui me sied bien.

Bientôt, l'univers sera mien. Après la Tyrie, je partirai à la conquête d'autres mondes, et de l'immortalité pour Thauffee et moi.



« Nala, je t'entends d'ici fomenter des plans sur la comète pour gouverner le monde, lancé-je à l'asura tandis que nous nous dirigeons vers le palais où siège le Conseil.

- Je ne veux pas gouverner, mais contrôler, gros-plein-de-bière, me répond-elle.

- Peu importe, nous arrivons », la coupé-je, n'ayant pas envie de débattre avec elle.


Le palais est gigantesque, majestueux, magistral. Fait de quartz aux reflets changeants et zébré d'ivoire et d'or, il resplendit de mille feux. Il est constitué d'un ensemble de tours s'élevant comme pour percer les cieux, communiquant par des ponts suspendus faits de pierres précieuses. Malgré ses proportions, tout est fin, ciselé, comme pour montrer que le grade du Conseil ne l'empêche pas de s'attarder sur les plus menus détails.
À notre arrivée, d'étranges gardes nous accueillent d'un air bourru. Il s'agit de neuf hommes grands, forts et massifs, au regard fier et inflexible. D'impressionnantes cicatrices zèbrent leurs corps, dont deux dans le dos communes à tous, comme si l'on avait voulu sortir des ailes de leur omoplates. Un duo de chasseresses au regard clairvoyant et portant sur elles la perfection divine chantent derrière les guerriers, s'accompagnant à la harpe. L'un des neuf s'avance pour nous aborder. De lui émanent des ondes d'autorité, de celles que seul un empereur, un général ou un tueur de légendes peut arborer.

« Les berserkers vous saluent. Je suis Siegfried, membre du conseil élargi », se présente-t-il, avant de grogner à l'attention de Managarm.

La louve – à notre grand étonnement – lui répond en baissant la tête comme pour lui faire une révérence. Cet homme dégage une aura sauvage, animale, meurtrière. Comme un loup indomptable.

« Que venez-vous quémander ? reprend-il.

- C'est un honneur, Siegfried, le salué-je. Nous sommes ici sur conseil de Lhovimydoque, afin de vous demander de refermer les failles qui menacent nos univers.

- Encore ? réagit-il avec une grimace blasée. Comme si c’était si facile. Ce vieux croûton nous aura envoyé des centaines de demandeurs dans votre genre... j'ai hâte qu'il se perde dans un autre monde.

- Il est mort.

- Ahah ! Mort ? Lui ? s'écrie l'un des guerriers, je ne pense pas non, il est bien trop brise- noix pour s'étioler aussi facilement. Sa volonté l'aura sauvé.

- Alors on peut survivre aussi facilement grâce à l’Éther ? Questionne Nala, intéressée.

- Ce n'est pas le sujet, peut-on entrer pour proposer notre solution ? Abrégé-je.

- Après vous, aventuriers », déclare Siegfried tandis que les huit guerriers s'écartent comme un seul homme devant la porte incrustée de gemmes.


À l'intérieur, le faste du palais est plus impressionnant encore : la lumière extérieure traverse les murs et se diffracte pour former des sortes de peintures aux formes et aux couleurs changeantes. Des scènes entières se déroulent sous nos yeux sur les murs, le plafond et le sol. Des scènes de bataille, de mariages ou de couronnements. Nos pas résonnent comme si des dizaines de chevaux avançaient cérémonieusement.
L'immense couloir que nous traversons conduit directement à l'hémicycle où sont regroupés de nombreux membres du Conseil, par une arche que Siegfried nous désigne comme la « Voûte d'envoûtement » et sur laquelle est gravée « Nosce Te Ipsum : Connais-toi toi-même ».
Alors que nous sommes bouche bée devant la richesse de la salle et l'éclat et le réalisme saisissant des scènes de lumière sur les murs incurvés, les plus éminentes entités de ce monde débattent du droit des moules à avoir un encéphale.
Devant elles, la lumière diffractée par la magie du quartz forme des caractères, dessine des noms. Ainsi chacun peut savoir qui sont les membres du Conseil.
Je reconnais quelques créatures, notamment les dieux humains : Balthazar, Dwayna, Grenth, Lyssa, Melandru et Kormir. Près d'eux sont installés Zeus, Odin, Manwé, Mufasa, Gandalf, Dumbledore, le Capitaine Haddock, Raptor Jésus et Bugs Bunny. Je suis surpris de retrouver des animaux, mais après tout pourquoi pas : les lois de notre monde ne s'appliquent pas ici.
Un léger brouhaha résonne dans la salle, parfois entrecoupé de cris quand une entité présente ses idées dans un accès de colère. Devant nous plusieurs créatures attendent leur tour pour se présenter au Conseil, nous avançons à leur suite.

Jetant un regard circulaire, je reconnais au fond de l'amphithéâtre une boîte de conserve barbue à la voix grave : Briorkrall ! Je m'approche pour le saluer en attendant de pouvoir m’exprimer, mais il est pour l'heure occupé à ouvrir des robinets reliés à des tonnelets de bière, étanchant sa soif.

« Brior', t'es vraiment le dieu des vannes ! lui lance un homme chevelu portant d'amples vêtements rouges et blancs et de lourdes tablettes en pierre sous le bras, avant de siffloter comme un enfant facétieux en séparant en deux le breuvage houblonné, qui se met à couler dans la barbe du norn.

- Et toi t'es vraiment dans la Moïse, rétorque la Luciole, faisant rire aux éclats son interlocuteur, avant d’interpeller un forgeron boiteux pour sa prochaine blague :
Eh Héphaïstos ! À vous deux vous devriez trouver la différence entre un ferrailleur et un curé... Tenez, le Msiou là va vous montrer, c'est une blague personnifiée. »

Et tandis que les deux questionnés se creusent les méninges, Msiou se métamorphose. La Luciole se change en ferrailleur. Revêtu d'un tablier solide, un marteau en main, des monceaux de fer s'accumulent derrière lui.

« Le ferrailleur, lui, a du fer à n’pas savoir quoi en foutre, commence le blagueur avant de laisser passer quelques secondes. Quand au curé... c'est l'inverse. »

Changé en homme d’église, on peut lire l'horreur dans les mirettes de Msiou, qui demande en se tenant l'entrejambe :

« Brior'... pitié, change de vanne ! »

Le barbu se rince alors le gosier avec un autre tonnelet, tout en articulant entre deux lampées :

« C'est l'histoire d'un schtroumf qui court, court, court dans la forêt... puis il se prend une racine, tombe et se fait un bleu.

- Aieuh ! Ça fait schtroumfement mal ! s'écrie Msiou au milieu des éclats de rire en tâtant son genou. J'en ai marre, tu n'es pas obligé de m'entraîner dans ta chute...

- Soit, alors en voici une autre qui va te rendre ta fierté : qu'est-ce qu'une luciole en érection ? »

Et Msiou se transforme en néon.

« Raah mince, laisse-leur le temps de réfléchir, ce n’sont pas des lumières, eux ! En guise de revanche : quelle est la différence entre un pigeon ? relance le norn caparaçonné.

- Eh, t'as oublié une partie, non ? lui lance le dieu forgeron.

- Ah oui en effet, il en reste ! remarque Brior’ en renversant la tête pour finir d'un trait son tonnelet, avant de lâcher un rot sonore et de montrer le pigeon qu'est devenu Msiou. Regarde, il a les deux pattes de la même longueur... surtout la gauche. »

Je ne peux m'empêcher de rire de l'absurdité de cette blague, pendant qu'un charr à la fourrure blanche ramène sa fraise, l'air d'avoir la banane – je crois que la proximité de Brior' est mauvaise pour la santé mentale –.

« Aaaah tu tombes bien Shater Thom, j'ai croisé Hamtaro tout à l'heure, il te cherchait. Pour une histoire d'explosion je crois.

- Ahah ! Je n'sais pas qui est ce Hamtaré, mais ça va barder et bombarder !

- Je sens arriver un jour sang lendemain... déclame le barbu.

- Ce sera la ruine de cet univers ! Ajoute Sha'.

- J'aurais aussi pu faire remarquer que ce sera un jour sans glands demain.

- Oui, ma clé à molette sera teintée de rouge !

- T'as un cran de retard l'amie, ricane le barbu.

- Non mais tu veux que je sois à cran ou …

- Il SUFFIT ! crie sèchement un homme en tenue kaki qui déambule entre les rangs, interrompant les discussions. Je n'ai jamais vu un tas de merdes aussi imposant ! Bande de raclures de bidet ! Revenons-en à nos oignons, nous avons une mission à accomplir !

- Fort bien général, mais que proposez-vous ? Nous savons tous pourquoi ces aventuriers sont ici, mais nous sommes en pourparlers depuis maintenant des centaines d'années, lance une panthère rose.

- Faisons revenir toute la magie ici, pour combler les brèches, de nombreux mondes s'effondreront, mais ce sont des dégâts collatéraux. Nous avons besoin de tout le pouvoir disponible !

- Foutaises, rejette une petite brune que les caractères de lumière présentent comme Anita Blake, un fusil scié dans une main. Vous ne connaissez rien à la magie, bougre d'imbécile. Vous tueriez tout l'imaginearum sans sourciller par complexe d'autorité. Je suis d'avis d'ouvrir des brèches pour que chacun puisse rejoindre son monde d'origine, et de laisser cet univers-lien s'étioler.

- Erreur ma chère, lui lance Dracula en souriant, dévoilant de longues canines acérées. Prenons l’exemple de nos nouveaux arrivants : ils sont ici à cause d'un vortex qui s’est ouvert entre nos mondes suite à l’invocation d’une magie destructrice par Adelbern, un ancien roi peu avisé. Ce portail a attiré le résidu de l'esprit d'un Titan qui a pris possession d'un être de l'autre côté, un certain Morwintil. Le passage de cet être dans leur monde puis sa mort au même moment que celle d'un Dragon ancestral a ébranlé les flux magiques. Et il ne s'agit que des problématiques liées à un seul univers parmi des milliers. Il nous faut agir maintenant, ou les prochains passages provoqueront la fin de tout ce que nous connaissons. »

Ce discours me laisse béat de stupéfaction. Voilà qu'enfin je comprends un peu mieux ce qui est arrivé à Morwintil, mais que tout à la fois je m'aperçois que le monde que je pensais connaître n'est vraiment qu'une parcelle infime de l'univers. Moi, le géant, me sens ridicule, faible et minuscule.

« Comment pouvez-vous connaître tout cela, vampire alcoolique ? S'exclame un certain Sherlock Holmes que j'écoute d'une oreille.

- C'est élémentaire, mon cher, il s'agit de s'adresser aux bonnes sources, répond le vampire en sirotant un verre de liquide rouge vif.

- Et bien je pense que l'on devrait laisser les tyriens comme les autres mourir, nous n'avons pas besoin d'eux, et ce sont eux qui ont aggravé les fissures ! Lance un petit garçon nommé Cartman, qui me fait me demander à partir de quel âge on peut être infiniment bête et méchant.

- Ouais ! Qu'ils … disparaissent ! le soutient le Joker en partant dans un éclat de rire totalement dénué de raison tout en jonglant avec des crayons.

- Mhm non m'voyez, se lance un sophiste à demi-chauve, à travers l'honni prisme de l'onirisme, on peut voir que la réalité tout comme l'imagination n'est qu'une autre illusion, et que la mort est sûrement la seule à pouvoir nous libérer de celle-ci. Les rêves et les cauchemars n'ont pas de signification dans un monde où tout est possible. Ils deviennent eux-mêmes la signification... »

Rapidement, je n'écoute plus les mots interminables du discours soporifique du pseudo-philosophe. Mon regard se perd dans les jeux de lumière sur les murs du palais. Ceux-ci reflètent une scène attirante, heureuse, érotique. Je vois une femme perdre pied dans le plaisir, ses lèvres entrouvertes sur un cri muet. Des vibrations se transmettent à son corps entier, et une douce chaleur emplit mes veines. Puis l'extase disparaît de son visage, remplacée par la douleur. La chaleur fuit immédiatement ma chair, remplacée par un froid paralysant, tandis que des formes humaines se noient dans des rivières de sang. Au-dessus d'eux, d'autres courent en tous sens, défigurés par l'horreur. Certains sont transformés en bêtes informes et immondes qui se jettent sur les fuyards sans défense, les transperçant de leurs crocs, de leurs dards ou les lacérant à mort. Certains même sont emportés dans les cieux avant d'être relâchés dans le vide et de s'écraser en contrebas.
Puis soudainement tout est effacé dans une explosion de lumière, et une paisible prairie herbeuse ondoie devant mes yeux, recouverte d'une brise qui la borde de quelques feuilles et papillons multicolores. Cette scène simple me rend le sourire. Je délaisse les images pour penser aux instants de félicité qui ont marqué ma vie, me sentant vivant à travers ces moments ancrés dans mon histoire. La réalité est au final plus puissante que le rêve. Ces images me font penser que le bonheur prend racine dans la douleur, pour devenir plus éclatant encore ; que la mort est l'autre face de la pièce du passeur, permettant à la vie d'exister et d'être si intense.
Un frisson me parcourt, et je tourne la tête pour voir Feng perdu dans l'admiration des images lumineuses.
Je me rends compte alors que des ronflements secouent l'assemblée tout autour de nous, tandis qu'un écureuil habillé d'une cape et portant une sacoche passe d'un membre du Conseil à un autre, proposant calmement du thé. L'homme à demi-chauve n'a toujours pas fini son discours, mais il est interrompu par une sublime damoiselle à l’aura divine :

« Qui l'a laissé parler ?! s'insurge la déesse nommée Selene. Qu'on le brûle !

- Ouais !! L'encouragent plusieurs voix.

- Bon, qui a un briquet ? …
Si vous m'dites que vous n'avez pas de briquet, c'est décidé, j'me barre... menace la meneuse.

- Vous l'aurez voulu ! Reprend-elle après un bref silence. Je vais le sauver et le premier qui voudra sa peau devra me passer sur le corps !

- Oh oui alors... répond Trichelieu, un prêtre en bure violette.

- Par prévention, je vais devoir tuer tout le monde, je vais TOUS VOUS TUER, hurle-t-elle, hystérique.

- Tu risques de t'ennuyer toute seule, jeune fille, lui fait remarquer un oryctérope, qui doit sûrement sa présence ici à une volonté de vivre impressionnante.

- Oui... bon bah je vous ressusciterai alors ! décide-t-elle tout aussi soudainement.

- Va te faire refaire ! lui lance un détracteur.

- Non et toi ? Répond-elle avec un sourire charmeur.

- Garage à bourses ! enchaîne le malotru, entraînant la débandade.

- Prostipathétipute ! Sac à bébé périmé ! Barakie ! Glaire séché d’huître bouillie ! » entends-je hurler à ma droite.

Et l’autre côté de l’amphithéâtre de répondre :

« Violeur de quiches ! Bachi-bouzouk ! Résidu coprolithique de Khazad Dûm ! »

De tous côtés chacun se lâche :

« Si j’avais un cul comme ta gueule j’irais me faire opérer !

- Est-ce que tes parents ont eu des enfants viables ? T’es si tocard que tu passerais pour un chef d’œuvre d’art moderne !

- Si j'avais accès à ton urètre, je ne m'en servirais même pas comme porte crayon : il est trop usé à mon goût.

- Fils de poulpe !

- Fils de rien !

- Gougnafier !

Après ce dernier mot un silence gêné s'installe, suivi d'une flopée d'autres insultes aussi inoffensives que la petite fée qui les éructe dans un bruit de clochettes :

« Diable, quels outrecuidants malappris, vous devriez avoir honte ! Malotrus ! Garnements ! Brigands ! Fripouilles ! Gredins ! Pécores !

- La faim est proche... » commente Briorkrall tandis que son ventre gargouille, en voyant tout une bande s'avancer vers elle, avant de lancer pour détendre l'atmosphère : « Faites l'amour, pas la guerre !

- Soit », répond un enfant déguisé en lutin et que la lumière dénomme Peter Pan.

S'interposant avant de tendre sa main vers la féerique créature ailée, il lui déclare alors sa flamme :

« Tout commence dans ta voix douce et quelques mots
S'ensuit l'ivresse qui nous envole si haut
Qu'en un langoureux baiser nous voilà liés
Dans l'amour et le bonheur, dans l'éternité

Chacun de ces instants magiques partagés
Relie passé, futur et rêves éveillés
Au présent qui nous comble de félicité.
Dépassant les chimères, un nouveau monde est né.

De cet arbre féerique aux étoiles d'or
De ton regard d'azur ma Muse mon Trésor,
Nous remplirons l'éther d'une indicible extase
Transcendant l'irréel à travers cette phrase :

Je t’aime.

- Eh bien moi je préfère la guerre ! beugle un pirate à l'hirsute barbe noire.

- C'est une honte de voir ce Conseil se déliter et se laisser aller à de si bas instincts ! » rugit dans le vide Mufasa.

Mais le mal est déjà fait : la tension est arrivée à son comble.
Une bataille commence.


Dernière édition par Elentar le Mer 29 Avr 2015 - 21:57, édité 4 fois
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Message par Elentar Mar 21 Avr 2015 - 19:02

Chapitre Cinquième :
Le Crépuscule des Dieux






Chroniques mentales de Feng :

Une nouvelle bataille débute, une nouvelle guerre fait de moi son pantin. La raison est toujours absurde et obscure, tout comme les scènes de meurtres désinhibés. Mon sang brûle de l’ardeur de combattre et de tuer, mais je me maîtrise en respirant profondément et en me contentant pour le moment d’esquiver les objets et les coups qui volent dans ma direction. Managarm protège mes arrières en claquant des mâchoires et moi les siens en décrivant de larges moulinets de ma lame, faisant siffler l’air.
Le chuintement est d’ailleurs beaucoup plus fort que ce qu’il devrait. Je me rends compte qu’il provient d’un vortex gigantesque situé au-dessus d’un mage en train d’incanter, les bras levés. Puis d’immenses tentacules verts-gris émergent soudainement du portail magique, fauchant de nombreux membres du Conseil tandis que d’autres parviennent à esquiver ou à les découper en surimi.
Quelques secondes plus tard, une créature infernale semblable à un poulpe au corps de dragon surgit au milieu de l’hémicycle, faisant craquer les murs du palais de sa masse. Alors que tout explose dans un vacarme assourdissant mais cristallin, des centaines de créatures venues de la capitale assaillent l’innommable monstre en criant : « Cthuluuuuuuuuuuuuuuuuuu !! »

Le monstre dégage une aura terrifiante, mais aussi des ondes exacerbant la soif de sang.
Je tente de rester à l’écart pour ne pas être pris dans le flot du combat, mais voilà que de la vase corrosive s’abat sur moi, faisant fumer et fondre mon armure et ma peau. Serrant les dents, je me défais de mes protections de cuir en me contorsionnant. Ne prenant plus garde à ce qui m’entoure, je gesticule et tranche en deux quelque chose ou quelqu’un. Parvenant à entrouvrir les yeux, je vois qu’il s’agit d’un étrange soldat en armure blanche intégrale. Son doigt est coincé sur la gâchette de son fusil, qui tire des lasers en tous sens en crachant un bruit semblable à  un chant d’oiseau malade : « pewpewpewpewpew ». Prenant cela pour un acte de bravoure et de victoire, des orques venus d’autres mondes se regroupent autour de moi en hurlant leur rage de vaincre et de tuer. Puis le corps-à-corps sanglant reprend, tandis que je tente de garder le contrôle de mon corps.


La scène n’est qu’un vaste carnage : au milieu des débris du palais brisé, des centaines d’entités plus ou moins surpuissantes se battent, répandant la mort. Je me demande comment autant de créatures ont pu se retrouver là en un instant. Peut-être étaient-elles enfermées dans le palais ou dans la dimension du poulpe-dragon ? Très peu en tout cas tentent d’échapper aux combats ou de les stopper : tous ont l’air enivrés par le fracas des armes et l’odeur métallique du sang. Ce doit être le résultat d’un quelconque sortilège dont ma magie gardienne m’aura protégé. Essayant de rassembler les Lucioles, je vois de loin Abudefduf, sujet à la panique. Le charr étant tanathophobe, les innombrables cadavres qui gisent sous ses yeux doivent le rendre fou. Avant que je ne le rejoigne, sa peur a contaminé Eotengram, l’asura atteint de phobophobie. Leur effroi se transmet autour d’eux aussi vite que si le sang sur le sol en était le vecteur. En quelques secondes, une vague de fuyards me heurte, m’emportant vers d’autres scènes de massacres.

Dans la mêlée, je me défends tant bien que mal face aux attaques qui me visent, ne pouvant plus me permettre de me concentrer sur mes compagnons. J’ai cependant l’occasion de voir de nombreux combattants de tous poils s’affronter. Ou essayer de me tuer.
Le premier à tenter de m’immoler est un minotaure arborant une corne brisée. Meuglant, il me charge pour m’empaler. Mais c’est sans compter sur mon entraînement avec Zaf’, mon dolyak préféré – nommé ainsi en hommage à une aventurière aussi obstinée que lui – qui a l’habitude de me foncer dessus tête baissée pour jouer. D’une habile roulade, j’esquive son attaque et projette ma lame vers le haut dans un arc de métal teinté de sang. La bête à demi-humaine s’écroule après quelques pas, l’artère fémorale tranchée.
Avisant la situation alentour, je ne peux rater l’interminable lutte entre le poulpe-dragon Cthulu et un énorme humanoïde vert à la musculature surdéveloppée et portant des braies déchirées en guise de caleçon. L’un écrase l’autre à coups de tentacules, mais cela a seulement l’air de l’enrager davantage sans lui faire de dégâts et de l’encourager à frapper avec toujours plus de rage. En résumé, les deux créatures ne parviennent pas à s’entretuer, mais sont suffisamment puissantes pour attirer l’attention l’une de l’autre et créer un cercle de vide parsemé de morceaux de corps autour d’elles.

D’autres géants s’affrontent plus loin, détruisant des bâtiments et des vies : un cyclope de plusieurs dizaines de mètres de haut attrape un lézard aquatique géant cracheur de feu, et utilise le dragon sans ailes comme lance-flamme pour se défendre face à un titan. L’entité vénérée par la Légion de la Flamme me fait penser à ces monstres qu’ils créent, faits de fils de fer chauffés à blanc au point de dégager des flammes et animés par magie. Mais en beaucoup plus impressionnant : non seulement par sa taille mais surtout par le pouvoir ahurissant qu’il dégage. Puis un détail attire mon attention : l’écureuil qui servait du thé dans l’amphithéâtre se tient sur l’épaule du titan, lui proposant apparemment une infusion. Comment peut-il être assez fou pour se tenir sur pareil monstre et tenter de lui parler de boisson chaude – comme s’il ne l’était pas suffisamment – en pleine bataille ?!
À chaque collision des mastodontes, l’écureuil n’a pas l’air importuné et se contente d’un saut aussi leste qu’ils sont lourds. Pourtant, la terre tremble à chaque secousse et un vent de tempête charrie jusqu’à nous des livrées de cendres à en obscurcir l’horizon, m’aveuglant. Cela explique sûrement en partie que je ne vois pas à temps un coup violent arriver dans ma direction. Le choc me coupe le souffle et de me projette à la renverse une dizaine de mètres plus loin, contre un troll. Celui-ci m’attrape dans sa large main pour me broyer ou m’avaler, mais d’un coup d’épée enflammée je lui fais lâcher prise ; puis je prend appui sur sa paume pour sauter sur sa nuque. Plantant ma lame sous son crâne, je profite de la vue avant qu’il ne s’écroule.
La scène est encore bien pire que ce que j’imaginais : le champ de bataille s’étend jusqu’à l’horizon, et pourtant très peu de créatures ont l’air de mourir. À moins de mettre une entité en pièces, la volonté de celle-ci suffira à la relever pour assouvir sa vengeance. Ce déferlement de violence n’est pas prêt de s’éteindre.

Suivant les bruits les plus intenses pour retrouver Nala, Feng et Managarm, je tombe face à un combat dans lequel cinq humains en combinaisons moulantes de différentes couleurs tentent d’abattre un grand androïde noir portant une cape et un casque de la même couleur à travers lequel il respire difficilement. Pourtant, les techniques d’arts martiaux des cinq guerriers aux couleurs vives et ridicules ne parviennent pas à le toucher. D’un geste de la main, il en envoie un s’empaler contre un débris de rubis gros comme une charrette, puis en coupe un autre en deux avec une sorte de sabre fait de lumière rouge. Les restes des humains crient quelque chose d’une voix pré-pubère, et un robot haut comme la Grand-Loge d’Hoelbrak se dresse face à l’escrimeur sombre. Celui-ci tend le bras, et un couinement métallique annonce la chute du jouet géant, écrasant une troupe de gnolls cherchant quelqu’un à dévorer. Puis l’androïde à la lame de lumière se tourne vers moi.
Avant que j’aie eu le temps d’invoquer mon égide, un murmure retentit dans le vent d’Est :

« La plume qui s’envole dans la nuit est plus silencieuse que le roseau endormi. »

Et dans un chuintement mon ennemi s’effondre, les bras et les jambes séparés du corps. Derrière lui, une silhouette familière apparaît le temps d’un clin d’œil, semblable à une feuille automnale : vive et discrète à la fois.

Non loin de là, un étrange cri animal retentit. C’est un humanoïde au visage canin et plus poilu qu’un ours qui pousse un mugissement en montrant de la patte le corps démembré. Puis il l’ajuste de son arbalète et tire des billes de lumière verte, trouant le cadavre. C’est alors qu’un défi retentit :

« Laisse-moi te montrer, caniche, comment on tire à l’arbalète. »

Et l’instant d’après un carreau explosif envoie la tête de l’animal voler dans les airs, tandis que derrière lui se tient une femme aux vêtements moulant ses formes avantageuses, les cheveux noués en une queue de cheval et les yeux cachés derrière des lunettes teintées. Puis celle-ci sort un mince tube de papier contenant de l’herbe qu’elle pince entre ses lèvres, et lance à la cantonade :

« Quelqu’un aurait du feu ?

- Voilà pour toi, grognasse ! » lui répond une voix féminine provenant d’un scaphandre orange.

De ses bras terminés par des creux sortent des rayons qui viennent réduire en cendres l’arbalétrière.
Puis un nouveau venu se tient face à la femme en armure. D’une allure semblable, il tient entre ses mains un énorme fusil à répétition. Appuyant sur la gâchette, il balaye une dizaine de gnomes courant en tous sens entre eux.

«  Ça fait combien, Cortana ? demande-t-il.

- 47 tués, 65 assist’ et 0 mort, Masterchief. Un score honorable pour le moment, lui répond une voix venant aussi de son armure.

- Voyons si l’on peut battre le highscore. »

Puis un duel entre les deux psychopathes en exo-armure commence, durant lequel chacun tire sur l’autre en tentant de détruire son armure.
Je ne sais pas d’où sortent ces cinglés aux outils futuristes, mais je ne tiens pas à me retrouver dans leur ligne de mire. Je profite de l’attaque d’un ogre, esquivant pour me retrouver derrière lui et l’utiliser comme bouclier contre les balles perdues. Puis je cours et découpe quelques gobelins en chemin pour arriver face à une scène d’un tout autre genre, qui me laisse pantois.

Un livre fin aux pages colorées est disputé par trois femmes en furie et aux cheveux défaits :

« Peach ! Laisse-nous le magazine Spring de la semaine, tu n’as qu’à demander à Mario de t’en ramener un ! Il ferait tout pour toi, lui, argumente une demoiselle en tenue légère et aux cheveux courts.

- Tu parles, Linoa et toi, vous avez droit à de beaux aventuriers et moi je me tape un plombier. C’est MON Spring. En plus il parle de strings, et je suis la seule à en porter.

- C’est pas vrai ! intervient la prénommée Linoa. La dernière fois que j’en ai mis un, Squall est même venu me chercher dans l’espace. Mais c’est vrai que Dagga n’aime pas ça, elle dit ça la gratte, annonce-t-elle avec un sourire moqueur.

- Je n’ai juste pas besoin de ça pour mettre en valeur mon postérieur. Il faut dire que je suis la seule ici à être princesse ET aventureuse.

- Ah parce que tu crois que ce n’est pas aventureux de faire des enfants à Bowser ? lui lance Peach.

- QUOI ?! réagit une sorte de tortue géante bipède à la carapace recouverte de piquants.

- Enfin, mon beau roi des goombas, tu sais bien que tu es mon préféré », tente de le réfréner la blonde porteuse de strings, mais sans succès : la créature se met à cracher des flammes droit sur la femme.

C’était sans compter sur l’intervention d’un grand lutin vert qui d’une glissade s’interpose et lève son bouclier pour dévier les flammes.

« Qui es-tu, chevalier gnome ? lui demande Bowser.

- Yaaah ! Ah, ah yaaaah ! lui répond le guerrier en brandissant une lame aiguisée à poignée bâtarde.

- Crénom d’un chomp enragé, en voilà encore un qui s’est trépané avec son épée. »

Et tous deux se jettent l’un sur l’autre tandis que les trois femmes s’arrachent toujours le livre d’images. Il y a certains mondes que je n’ai pas hâte de visiter.
D’une roulade, le chevalier vert esquive une griffe aussi longue que son avant-bras et porte un coup de taille qui rebondit contre l’armure naturelle de la tortue. Puis il saute en arrière et se saisit de l’arc qui pend à son épaule. Sa flèche fond sur la créature qui se protège en se réfugiant dans sa carapace.
Le lutin prend alors une bombe dans son sac à dos, l’allume et la jette devant Bowser, qui prend l’explosion de plein fouet en ressortant à l’air libre. Le guerrier aux braies moulantes tente alors de l’achever en sautant sur lui épée en avant, mais un torrent de flammes le reçoit. Tous deux brûlés et amochés, ils tentent une derrière attaque et s’embrochent mutuellement.

« Tu vois, sorceleur, ça c’était un monstre, moi je n’en suis pas un. Comment le pourrais-je en me nommant Bibi ? Alors laisse-moi tranquille ou je vais devoir invoquer les flammes et le givre ! s’exclame une petite créature aux yeux ronds et jaunes sous un chapeau de mage.

- C’est mon métier que de détruire le mal et ses engeances, telles que toi ! répond un homme aux cheveux blancs et au visage marqué d’une cicatrice.

- Tout ça parce que je maîtrise la magie ? J’ai enfin fini par comprendre que la vie avait le sens qu’on voulait bien lui donner, alors désormais tu ne me l’enlèveras pas aussi facilement ! »

Et un nouveau duel commence.
Des stalactites s’écrasent sur l’homme aux cheveux blancs, mais celui-ci est déjà derrière le petit mage. J’aperçois l’éclat d’un stylet qu’il projette à une vitesse surhumaine vers son ennemi, mais il le lâche avant de porter son coup quand le métal chauffe et atteint une température insoutenable.
Puis des éclairs fusent dans sa direction, qu’il esquive d’une agile pirouette avant de sortir une lame étrange de son dos. Tournant autour du sorcier, il feinte à droite et s’engouffre sur la gauche en frappant. Quand sa lame finit sa course, les vêtements du mage sont éparpillés au sol, en lambeaux. Mais il n’y a pas de traces de chair ou de sang, seulement du bois, du métal et de la brume.

« Damned, je ne sais si ce mage était fait de ces matières ou s’il est prêt à réapparaître comme un phénix renaît de ses cendres… Je devrais pourtant le sentir, dit le sorceleur en empoignant le médaillon qui pend à son cou.

- Qui a parlé de phénix et d’odorat ? QUI ?! réagit soudain une voix reptilienne.

- Voldemort ! C’est moi qui ai ton nez, regarde, le hèle une souris bipède de la taille d’un enfant.

- Avada… Kedavra ! » incante le vieil homme défiguré en brandissant une baguette de bois.

Un rai d’énergie vert fuse vers la souris à la voix éraillée, mais celle-ci brandit devant elle une mallette qui absorbe le choc tandis qu’en sortent des billets verts carbonisés.

« Eh oui ! Tu ne peux rien contre le pouvoir de l’argent, Tom, le nargue la souris. Bientôt, ta licence aussi sera rachetée… mouahahahahaha !

- Tu ne peux pas, l’histoire est terminée. Et tu ne devrais pas tenter un rire maléfique avec un mickey qui ressort du nez.

- Jaloux ! Tu crois que ça va m’arrêter ? Alors que je travaille sur une troisième trilogie Star Wars ?

- Alors les légendes de la tablette de Skalos étaient fondées… il ne reste qu’une seule solution ! Nagini, bouffe-moi cette satanée souris ! »

Et soudain sort de terre un immense serpent qui claque des mâchoires et gobe l’étrange mascotte.
Puis le sorcier disparaît, laissant dans les cieux une fumerolle en forme de tête de mort.

« Brrrr, je déteste les serpents, ça me rappelle ce fana d’hentaï d’Orochimaru ! » frissonne un garçon affublé d’une tenue orange, les cheveux blonds en bataille derrière un bandeau métallique ajusté sur son front.

Brusquement, il se retourne en dégainant un kunaï. De là où je suis posté, tentant toujours de retrouver mes compagnons sans me perdre dans les combats, j’entends un moteur rugir. Quelque chose s’approche en soulevant un nuage de poussière. Vais-je encore devoir assister à un stupide duel avant de continuer mon chemin ? Stoppant sa course dans un crissement, un autre blond à la coiffure rebelle descend d’un monstre de métal à deux roues. Derrière son épaule couverte de cuir ressort la poignée cylindrique d’une large lame à simple tranchant.
Ils se tiennent maintenant à dix mètres l’un de l’autre, se jaugeant du regard – l’un bleu l’autre vert – avant de céder à l’appel du sang et de se jeter en avant. D’un moulinet étrangement souple étant donné la taille de son arme, le nouvel arrivant tranche en deux son adversaire dont la portée était bien moindre. Mais le corps disparaît en dégageant de la fumée, remplacé par une bûche. Le garçon réapparaît derrière l’assaillant, prêt à porter un coup fatal. Mais une explosion de flamme le frappe et l’envoie rouler au sol. Se relevant, il s’écrie :

« Je n’abandonnerai pas ! Je me relèverai tant que je ne serai pas Hokage, le plus grand ninja de mon village !

- Que racontes-tu, gamin ? Tu veux encore goûter à mes matérias ? » réagit l’épéiste.

Le ninja forme alors une croix avec ses doigts en criant et une centaine de clones de lui-même apparaissent autour de lui. Tous ensembles, ils projettent des shurikens sur leur ennemi, qui les pare en se mettant à couvert derrière son épée, avant d’annihiler plusieurs dizaines d’ennemis en provoquant un séisme localisé. Un féroce corps-à-corps s’engage, durant lequel chaque clone qui est touché disparaît dans un nuage de fumée. Celle-ci s'ajoute à la vapeur dégagée par les boules de feu qu'a invoqué l’escrimeur. Puis le ninja prépare une attaque étrange et fond sur son ennemi, une boule d’énergie bleue tourbillonnant au-dessus de sa paume. Malgré une parade réflexe, le choc envoie le guerrier rouler sur le sol, du sang coulant de sa bouche. Mais en levant son bras une lumière l’entoure, le laissant comme neuf. Quant au ninja, il ne s’en est pas sorti indemne : une énorme stalactite de glace lui transperce les entrailles de part en part.
Mais la stalactite se met à fondre alors que des flammes rouges entourent le blessé. Ses pupilles sont devenues verticales et ses yeux couleur sang. Puis sa peau et les contours de son corps s’étiolent, tandis qu’il se courbe jusqu’à se retrouver à quatre pattes. Des queues de renard apparaissent, flottant derrière lui, portées par l’énergie qui se dégage de son corps. La chaleur assèche l’air tout autour de la chose, provoquant des circonvolutions qui voilent à demi la transformation.
D’un rugissement, il projette une onde de choc dans l’air. Puis autour de lui un immense squelette se forme, avant d’être recouvert de chair. Au milieu de l’air surchauffé se tient désormais un renard à neuf queues aussi grand qu’un dragon. Alors que le guerrier blond charge sans crainte, l’épée au côté, un globe d’énergie violette se forme entre les crocs du monstrueux animal et est propulsé comme une balle. La puissance du projectile creuse le sol sous lui, jusqu’à ce qu’il frappe l’épéiste et provoque une explosion qui rendrait Fenrir vert de jalousie.
Je m’attends à ne voir qu’un cratère vide, mais à la place se tient l’homme aux yeux vert et devant lui un dragon à l’air féroce. Ce dernier a intercepté le projectile sans avoir l’air d’en souffrir. Rugissant en crachant des flammes noires, il s’apprête à rendre la pareil au démon à neuf queues : de sa gueule rayonne un laser qui transperce le renard et continue sa course en causant des ravages. La bête se régénère en grognant et se jette sur l’invocation volante. En quelques secondes, tous deux roulent l’un sur l’autre au milieu du champ de bataille, courant ou volant entre deux coups titanesques. Pris dans leur affrontement, des centaines d’êtres sont rayés de la carte.

Mais trêve de repos, le chemin est libre. Enfin, presque : un étrange loup bipède aux caractéristiques humaines se jette sur moi pour me dévorer, embusqué derrière une dénivellation du terrain.

« Je ne suis pas une boîte de conserve comestible, saleté ! lui lancé-je, en même temps qu’un coup d’espadon qui le tranche en deux.

- Eh ! Qu’as-tu osé faire, manant ? m’invective un prince en armure d’apparat sur son destrier pur sang. Cette bête a mangé ma Guenièvre, c’était à moi de l’occire ! Pour cet affront, tu vas périr.

- Pour Arthur !! Pour le Roi !! clament derrière lui plusieurs chevaliers.

- Quel Roi ? s’invite tranquillement un homme portant une lame plus longue que lui au côté. Je suis Aragorn, fils d’Arathorn, et véritable Roi du Gondor !

- C’est moi Simba, c’est moi le Roi, du royaume animaaaal ! » poursuit en chantant un lionceau imprudent.

Et voilà que tout s’accélère de nouveau : les chevaliers me chargent, et j’invoque une barrière qui arrête leurs chevaux et les envoie mordre la poussière. Une fois au sol, ils se font dévorer par toute une fratrie de félins à crinière affamés. Restent Arthur et Aragorn, en train de croiser le fer. De moi ils n’ont cure : je ne me prétends pas Roi.
L’un invoque la Dame du Lac, l’autre une armée fantôme, mais rien ne se passe. Il faut croire qu’ils sont désormais seuls avec leur prétention et leur couronne. Alors ils s’écharpent dans un duel à l’épée, enchaînant passes et feintes, coups de taille et d’estoc, estafilades et soupirs de douleurs. Jusqu’à ce que l’un soit embroché par un phacochère et l’autre saigné à mort par les griffes d’un suricate hystérique.

Je m’empresse de quitter ce nouveau désastre quand les animaux entonnent un chant à base de « Hakuna Matata ».


Alerte, l’espadon à la main, je m’attends à tout et surtout à me défendre face à des menaces inconcevables. Mais je ne pouvais pas concevoir que des hommes armés de fusils à répétition atterriraient en parachute autour de moi. Je m’empresse de brandir mon égide faite de magie protectrice devant moi, mais elle ne suffira pas à couvrir tous les angles. Je tente donc quelque chose : métamorphoser mes yeux en ceux –perçants – du corbeau, avant de disperser mon bouclier. Puis j’arrête la plupart des projectiles en les voyant venir et en déplaçant mon égide par la pensée ; les autres frappent mon armure avec un bruit sourd. Quelques balles traversent ma chair, et je sens un liquide chaud et familier couler sur ma peau. Mais j’ai déjà enduré bien pire. D’une charge, je tranche en deux un ennemi puis fais volte-face pour ouvrir le ventre d’un second. Me voilà maintenant face à mes assaillants, je peux concentrer mon égide devant moi. J’en profite pour frapper ma barrière magique d’amples mouvements de taille et d’estoc, ce qui envoie des lames de flammes danser dans l’air jusqu’aux soldats. Trois d’entre eux mordent la poussière.

Soufflant un coup, je vois soudain les derniers tireurs être transpercés de part en part par d'étranges lames. L’une d’elle est courbe et acérée comme un sabre, mais aussi longue que deux hommes et fine comme deux doigts. Un humain habillé de noir, au visage fin exprimant une haine insoutenable et aux longs cheveux d’argent se tient au bout de la poignée à deux mains, retirant la lame du cadavre d’un geste expert.
Le second fer n’est pas aussi grand, mais sa largeur cache un canon relié à une gâchette sur la garde ; son possesseur est un jeune homme brun aux traits sévères, marqué par une fine cicatrice courant de son front à sa joue.
Un autre cadavre s’effondre, déchiré par deux épées bâtardes identiques, à l’acier renforcé et incrustées d’or et de pierres précieuses. L’homme derrière lui est un colosse sans armure, à la peau tannée et couverte de cicatrices, sûrement un nomade des steppes. Ses yeux scintillent comme des braises sous sa chevelure sombre et sauvage, et les muscles d’acier qui roulent sous sa peau ne l’empêchent pas de se déplacer aussi agilement qu’une panthère.
Le dernier corps est séparé en quatre, sans bavure. Un pirate borgne portant un bandana sur le front l’enjambe. Il brandit un katana dans chaque main et en tient un troisième entre ses dents.

Nous sommes donc cinq épéistes. Formant un cercle, nous nous tournons autour, cherchant une ouverture. Aucun de nous n’a l’air d’envisager la fuite, ce qui en plus d’être lâche serait idiot : on ne survit pas longtemps en tournant le dos à un maître d’arme, ou plusieurs. J’aimerais connaître leurs noms, mais ce n’est pas le moment.
Voulant prendre l’avantage, j’attaque le premier. Je bondis sur le barbare ambidextre, sûr de faire la différence grâce à mon armure. Mais il esquive le coup en se glissant sous ma lame comme un serpent et me frappe à la tête pour me sonner. Mon égide magique absorbe le coup, mais l’ennemi envoie sa seconde épée vers mes jarrets. Mon instinct me hurle qu’un danger arrive derrière moi, et je roule sur le côté, tandis que le sabre à la longueur démesurée me frôle. Le sauvage et moi frappons en même temps l’arme affûtée, arrêtant le coup qui allait nous trancher en deux. Puis nous répliquons en nous acharnant sur l’homme à la longue chevelure d’argent. Avec une arme aussi grande, il ne peut pas être aussi efficace que nous en combat rapproché. Et pourtant il parvient à parer nos coups. Puis des colonnes de flammes s’élèvent du sol autour de lui et nous obligent à reculer avant de parvenir à le toucher. Apparemment, il a l’intention de nous séparer et de profiter du spectacle.

Le sauvage crache sur le sol en bougonnant des insultes envers les sorciers, pendant que les deux autres s’affrontent. Le pirate tourbillonne en frappant de toutes parts, mais le brun à cicatrice le contre en utilisant le fusil incorporé dans sa lame pour accélérer ses mouvements. Puis il rompt le combat et d’un geste fait apparaître un démon cornu, semblable à un lion bipède dont la fourrure serait faite de flammes. Celui-ci s’élève dans les airs en lévitant tandis qu’une boule de magma se forme entre ses mains, et la frappe pour l’envoyer frapper le sol. Le pirate tranche les flammes et saute à travers pour envoyer un coup qui fend l’air jusqu’à l’invocateur. Celui-ci voit l’un de ses bras tomber au sol et son sang gicler à gros bouillons. Mais il trace un symbole sur le sol, et en s’écroulant dessus son corps disparaît dans la terre pour réapparaître debout et entier. Un phénix s’élève dans les airs derrière lui, son chant à la fois magnifique et terrible faisant vibrer l’air.
Bravant les tornades de feu, le barbare s’élance alors sur le ressuscité pour le renvoyer parmi les morts, mais le pirate s’interpose en articulant entre chaque choc de l’acier contre l’acier :

« Pas touche à ma proie.

- Ne sous-estime pas un sauvage, n’ignore pas l’imprévisible », lui répond le chevelu en bloquant les trois lames et en frappant de la tête, faisant gicler le sang.

Ignorant totalement sa blessure et l'hémoglobine qui coule dans sa bouche, le combattant borgne ricane et se jette à l’assaut avec plus de vigueur encore. Quant à moi je cherche une ouverture pour attaquer, mais c’est finalement l’inverse qui se produit : l’épéiste aux cheveux d’argent profite de la distance entre nous pour employer toute son allonge et entamer mon armure. Remis de son retour parmi les vivants, le cinquième me prend en tenaille. Malgré mon expérience et ma maîtrise, je ne peux résister à leurs attaques combinées avec ma carapace qui me ralentit. Les esquives ne les trompent pas et ils s’acharnent sur moi, cherchant à briser mon armure. Ils y parviennent en invoquant un séisme qui me projette au sol et en abattant leurs lames sur mes mains recouvertes de maille puis sur mon haubert ouvragé. Roulant pour éviter un coup fatal, j’envoie un gantelet détruit au visage de mon adversaire à la cicatrice. Celui-ci est à demi-assommé, ce qui fait hésiter son allié temporaire. Hésitant à l'achever, il baisse un instant sa longue lame. J’en profite pour l’embrocher en me relevant, délaissant mon armure et usant de la vélocité de la panthère des neiges.
Je m’aperçois que je saigne désormais de multiples blessures, comme mes adversaires. Le sang me monte à la tête, un voile rouge tombe devant mon regard, obscurcissant mon jugement.

« Je vais tous vous tuer », dis-je dans un murmure rauque, avant que ma conscience ne bascule dans l’obscurité de la rage.


Dernière édition par Elentar le Mer 22 Avr 2015 - 1:22, édité 1 fois
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Chroniques Claires-Obscures Empty Re: Chroniques Claires-Obscures

Message par Elentar Mar 21 Avr 2015 - 19:15

Chapitre Sixième :
Nouvelle Ère





Un choc, un son assourdissant, et la douleur. Voilà ce qui me ramène à moi. Ma vision est floue, des formes et des couleurs dansent devant mes yeux, et chacun de mes muscles me fait souffrir.
Autour de moi, je reconnais des corps déchiquetés par des marques d’épées, mais aussi de griffes et de crocs de loup. Ma tête est remplie d'une brume épaisse qui m'empêche de réfléchir.
Managarm me pousse de son museau, et Feng me crie quelque chose que je ne comprends pas.
Je me relève tant bien que mal, et d'un coup une étincelle traverse mon esprit : tout me revient en bloc.

Puis je sursaute en entendant des cris gutturaux. De petits gnomes semblables aux asuras, leurs longues oreilles déchiquetées tombant de chaque côté de leur visage aux dents pointues, crachent en direction de deux êtres en train de s’alpaguer. L’un est petit, large comme un tonneau et barbu. Il tient une hache à double tranchant et porte une cotte de maille brillante. L’autre est grand et élancé, ses oreilles anguleuses à demi-cachées par quelques mèches dorées, et tient un arc dans son dos. Les gnomes réclament à manger en menaçant les deux compères. Pour se faire comprendre, ils montrent leur atout du doigt : un sylvari à la tête de champignon, recouvert d’explosifs et prêt à être immolé dans un feu d’artifice meurtrier. Mais le gracieux humanoïde élancé qui leur fait face tire une flèche de son carquois. Alors que les gnomes s'excitent et poussent le kamikaze désigné, l'archer enflamme sa flèche dans le brasier qui dévore un corps devant lui.
D’un geste plus rapide que le regard, il encoche et décoche le projectile droit sur le dangereux suicidaire involontaire. La pointe embrasée traverse un bloc explosif, entraînant une déflagration qui souffle les gnomes sans laisser de traces du malheureux.

« Ça n’compte quand même que pour un !! » grogne son compère, tandis qu’il charge dans la mêlée plus loin, suivi par l’archer.

Venant dans l’autre sens, j’aperçois Nala qui nous rejoint, un sourire carnassier sur le visage. Elle est couverte de sang.

« Ce n’est pas le mien, me rassure-t-elle en se postant près de Feng et moi.

- Comment avez-vous résisté à cette sauvagerie collective ? leur demandé-je.

- Notre propre soif de sang est bien plus forte », répond Feng en regardant Nala, l’air lassé.

Mais trêve de bavardage : autour de nous, c’est l’apocalypse. L’air lui-même se distend, tandis que dans les airs une forme si obscure qu’elle aspire la lumière s’élève en ricanant. Devant l’ombre se tient en lévitation un homme musclé au-delà des limites humaines. Ses cheveux deviennent soudainement blonds en poussant de cinquante centimètres, tandis qu’un cri suraigu sort de sa bouche à demi-cachée par une immonde moustache. Autour de lui, une vive lumière dorée brille, éblouissante. Il fonce comme une comète sur les ténèbres qui le raillent, et le choc les ébranle tous deux. La noirceur de l’entité sombre se dissipe, laissant apparaître un homme à la beauté saisissante et magnétique. Son corps est habillé de volutes d’obscurité, et son visage en partie caché par un fin masque noir qui le recouvre du front jusqu’au nez et lui donne un air mutin.

« Je baignerai ce monde ténèbres éternelles ! lance-t-il avant d’emplir l’air de son rire sardonique.

- La pénombre, c’est mieux pour deviner les formes de nos compagnes, mon cher, répond-il à lui-même, d'une voix différente.

- Tais-toi, masque maudit ! Si seulement je pouvais te retirer, jamais je n’aurais dû me laisser entraîner dans cette aventure à huit.

- Tu ne disais pas ça, tout à l’heure…

- Il suffit ! Je vais maintenant devoir éliminer les témoins. Ma réputation ne peut souffrir de pareilles calomnies. »

Sur ce, il disparaît dans un éclair sombre pour réapparaître derrière l’homme aux longs cheveux blonds. Ce dernier se retourne instantanément et bloque le coup de dague qui devait lui transpercer le cœur. Puis il enchaîne des dizaines de coups de poings et de pieds selon une chorégraphie extrêmement rapide mais répétitive. Un mur d’ombre se dresse devant lui et absorbe les chocs, avant de l’entourer et de resserrer.
On entend sa voix étouffée dire : « kamehamehaaa » à un rythme excessivement lent, avant d’admirer une explosion qui détruit le globe noir. Puis les deux adversaires se bombardent de lasers qui les transpercent mutuellement et ruinent ce qui restait de paysage.
Comme pour protester, la terre se met à trembler violemment.

« L’Éther se délite ! Cette bataille a rompu l’équilibre. C’est la fin de ce monde… Fuyez pour vos XP ! hurle Lhovimydoque, mystérieusement revenu avec sa tête.

- C’est le Crépuscule des Dieux, le sacrifice des idées, commente Odin en se pendant à un arbre rabougri. Faisons offrande de nos essences au destin. »


Chroniques mentales de Feng :

Entendant cela, j'envisage ce que je m'étais jusqu'alors refusé de faire : quitter ce monde par la mort. C'est en effet la plus efficace des solutions, et d'autres occasions ne se présenteront sûrement pas. Passant une dernière fois la main dans la fourrure de Managarm, j'attrape ma lame et la dirige vers mon cœur, décidé à retrouver la paix coûte que coûte. Ma sœur de Meute hurle à la mort. Mais j'espère qu'elle saura être heureuse ici, peut-être parmi les géants du Nord, et que ma disparition annulera le contrôle de la nécromancienne. Elentar accourt pour m’interrompre, mais c'est Nala qui m’empêche d’enfoncer l’acier dans mon corps en opposant sa volonté à la mienne.


Chroniques mentales d’un dragonnier :

Saphira… En ton honneur, je sauverai ceux qui peuvent l’être. Je veux me racheter pour ne pas avoir su te sauver des griffes de ces étranges lézards géants. Finalement, ce gros poulpe-dragon n’est pas si différent de toi : têtu et puissant, il obéit malgré tout à mon pouvoir. Il lui manque ta beauté et ton humour, par contre.
Tiens, voilà trois étranges créatures qui ont l’air en difficulté, occupons-nous d’eux.


Alors que j’arrive sur Feng, une ombre nous survole et un tentacule nous enserre. Après un long vol plané assuré, nous atterrissons sur le dos de l’immense créature apocalyptique aux airs de mollusque. Le tentacule continue d'entraver le demi-orque pour l'empêcher de se tuer. Nala s’échoue près de nous en jurant, tandis que l’écureuil qui proposait du thé au titan nous salue de la main.
D’en haut, on peut voir l’horizon se déliter, les choses perdre leur substance, la matière s’évaporer. Au loin, d’immenses trous de ver obscurs fissurent l’espace et aspirent les restes de ce monde vers d’autres. Cet univers se meurt.
La bataille est terminée, il n’y a pas de vainqueurs, seulement de la souffrance et de la honte. La plupart essaie d’emprunter un chemin pour fuir, de trouver un chemin vers sa terre d’origine ou même une autre. D’autres s’obstinent et luttent pour sauver leur existence en ce monde.
Notre hôte volant prend beaucoup de monde sur son dos, et les effets de l’Éther se dissipent progressivement. Je reconnais de plus en plus de Lucioles, et vois même Azzeria ronronner contre la jambe de Bridgesse. La norne lui propose de rejoindre la guilde en obtenant en réponse des miaulements de contentement, jusqu'à ce que le chat redevienne la farouche voleuse et lui plaque une lame sur la gorge en susurrant :

« Si tu en parles, je te tue. Je me demande d'ailleurs s'il ne faudrait pas t'arracher la langue... ».

Un peu plus loin, Nala a retrouvé Thauffee. Toutes deux sont assises silencieusement côte-à-côte, le regard perdu dans le vage. Leurs mains sont proches mais encore séparées par quelques centimètres, quelques ressentiments.

Détournant le regard et secouant la tête, je me dirige vers celui qui a l’air de diriger notre vaisseau vivant :

« Merci de ton aide.

- Il faut bien que quelqu’un s’occupe des survivants, me répond-il avec un sourire triste.

- Peut-on sauver ceux qui arborent ce symbole ? lui demandé-je en montrant l’écusson des Lucioles, une goutte de sève dorée sur fond d’ambre.

- Bien sûr, seuls ceux qui désirent rester ici pour combattre l’inexorable resteront.
Que ton épée reste acérée, guerrier.

- Et que les étoiles veillent sur toi. »

Pendant notre échange, les tentacules du monstre salvateur arrachent des dizaines d’existences à la destruction. Certains refusent, attaquant les membres souples qui les soulèvent de terre. Ceux-là sont laissés au sol. Il n’y aura pas assez de places et de temps pour tout le monde.
C’est alors que les derniers vestiges de l’Éther se rassemblent, formant une horde fantôme. Celle-ci pourchasse, traque et attaque des dizaines d’entités. À chaque fois que l’une d’elle est rattrapée, son essence est siphonnée, reconstituant visiblement la magie de l’univers-lien.
Il n’y a plus rien à faire pour les sauver de la volonté de ce monde. Petit à petit, celui-ci se stabilise, mais personne ne tient à vérifier plus avant en restant en arrière.
Nous nous préparons à emprunter l’un des trous de ver qui nous mènera vers l’inconnu.

Notre arche salvatrice tremble maintenant de tous bords, aspirée par le vortex. Plusieurs manquent de tomber dans le vide, vers l’anéantissement. Bientôt la horde se jettera à nos trousses, nous devons être loin avant qu’elle ne nous rattrape.
Plus nous approchons du trou sombre, et plus notre vitesse augmente. Personne n’a l’air de contrôler quoi que ce soit, et nous nous accrochons les uns aux autres en prenant appui sur les excroissances de notre monture.
Puis d’un coup nous flottons paisiblement.

D’après Nala, nous assistons à un spectacle unique : devant nous se dévoile une part de l’alchimie éternelle.
Nous traversons l’infini à travers une sorte de courant bleuté, tout autour de nous l’obscurité et le silence règnent, sauf en quelques points où des astres nous illuminent de leur grandeur et de leur majesté. Je ne sais pas quelle magie nous maintient en vie dans de telles conditions, mais j’espère qu’elle tiendra jusqu’à notre destination.
En tout cas, nous ne sommes pas seuls dans ce grand espace : une étoile – ou plutôt une étoile filante – s’approche de nous à toute vitesse. Descendant du firmament, l’entité céleste se précise : ce n’est pas un astre. C’est une fée souriante, au corps de femme pourvu d’ailes de six mètres d’envergure, rougeoyantes comme un brasier. D’une beauté surnaturelle, elle est entourée d’une aura invisible mais perceptible, comme un parfum entêtant, un magnétisme attirant les êtres comme des papillons vers une flamme, une chaleur contre laquelle on rêve de se pelotonner.
Tentant sans succès de cesser de sourire béatement, je m’approche d’elle, admiratif. Elle me jette un regard en clignant de l’œil, une main sur son sein et ses lèvres semblant m’appeler ; mon cœur bondit dans ma poitrine. Puis elle se tourne vers Nala qui l’interpelle :

« Qui es-tu, céleste créature ?

- L’étincelle dans vos âmes, qui ne demande qu’à se changer en un véritable soleil.
Je viens vous donner les préceptes que souffle votre cœur.
Réfléchissez à mes mots : tout monde, toute chose est éphémère. Ce qui compte au final, ce n’est pas le contrôle, la possession, ou de laisser sa marque sur le monde durant des siècles ; c’est que le bonheur illumine votre existence. Remémorez-vous votre voyage, et ses enseignements. Acceptez l’aide de vos compagnons, et apportez-leur la vôtre. On ne devient pas heureux en détruisant, mais en partageant.
C’est à vous de faire vos choix, de devenir celui ou celle que vous voulez être, d’apporter votre pierre à l’édifice de votre existence. »

Sur ces mots, la fée disparaît dans une pluie de poussières d’étoiles, nous laissant ébahis encore quelques instants.
Son intervention aura au moins laissé Feng pensif, lui ôtant ses idées de suicide de la tête.


Reprenant mes esprits, je retourne vers notre conducteur :

« Eh l’ami, au fait, je me posais une question : tu sais où l’on va ?

- Je cherche un endroit accueillant où l’on pourra atterrir.

- Ça me paraît être une bonne idée, d’ailleurs comment contrôles-tu ce poulpe volant ? Serais-tu dresseur de bêtes ?

- Je suis dragonnier.

- DRAGO… c’est-à-dire ? le pressé-je, la main prête à empoigner mon épée.

- J’étais liée à une dragonne, elle était mon essence. Mes souvenirs et cette marque dans ma paume sont tout ce qui reste de notre lien. »

Mon visage doit être marqué d’incrédulité. Les bêtes ailées de son monde sont-elles aussi terribles que Zhaïtan ? Comment un être capable de sauver tant de personnes peut-il être à la botte d’un dragon ? Ou alors… peut-être compte-t-il faire de nous des sacrifices ?
Je ne dois pas hésiter. Cet ennemi pourrait tous nous tuer.
Sans musarder, je me baisse et charge de trois pas en avant sans qu’il s’y attende, lui enfonçant l’épaule dans le sternum et lui coupant le souffle. Puis j’en profite pour l’attraper par les jambes pendant sa chute et j’exécute un tour sur moi-même avant de le lâcher dans un lancer magistral. Dommage que ce ne soit pas la finale de l’asuraball, j’aurais fait un malheur. En tout cas, son corps sort du courant magique et disparaît, écrasé par la force de l’alchimie éternelle.

Plusieurs Lucioles et autres entités viennent vers moi, l’air curieux ou en colère.

« Il m’a avoué être un allié des Dragons ! leur expliqué-je, les paumes tournées vers eux pour montrer que je n’ai pas d’intentions belliqueuses.

- Ce fils de loutre ! s’exclame Enfant de Juron.

- C’est bien beau tout ça, mais du coup… qui dirige notre cher ami à tentacules volant ? » se demande Clearys.

Et c’est à cet instant que la bête en question décide de s’écarter de son chemin pour tenter l’aventure dans le grand vide. Sauf qu’elle y perd une aile et de nombreux morceaux.
D’un coup, nous virons d’un bord à l’autre, et plusieurs entités perdent l’équilibre et basculent dans l’espace.

Face à nous, un globe bleuté flotte, recouvert de courants aériens et de nuages.


Tandis que nous tombons de plus en plus vite, attirés par l'astre qui nous fait face et cache désormais tout l'horizon de son gigantisme, je repense à la fée et à son discours.
Nala utilise sa détermination pour repousser les limites du possible. Feng et Managarm sont prêts à tout sacrifier pour leur liberté. Quant à moi-même j'ai pu sauver de nombreuses vie grâce à ma bravoure. Nous sommes une force triple montrant l'importance du courage.
À travers l'existence et la personnalité de chacun, nous avons su traverser de dangereux univers et en sortir grandis. Nous ne vivons pas sur une ligne, mais dans des boucles : ces mondes sont liés par des cycles qui nous dépassent.
L'un d'eux se termine, tandis que nous plongeons dans un autre.

Quel univers est-ce là ?
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