Les Lucioles Automnales - Guild Wars 2
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Des runes dans la pierre

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Message par Jeradon Ven 12 Juil 2013 - 21:40

DES RUNES DANS LA PIERRE


Six heures du soir, c’est l’affluence à la supérette, rue de la Résistance. A sept heures, les fanas du dessin à la craie et de la guitare crevée se sont barrés avec leurs chiens.  Et à huit heures c’est le début de la nuit.

En tout cas c’était le début de la nuit au Sayonara, et Gérald faisait attention à débarquer avant l’heure  avec le bus numéro 8. Le temps de se ruer à l’intérieur, de se faire chambrer par Elentar, de se changer dans les toilettes…Et il était prêt à accueillir les premiers clients de la soirée. La règle était simple : Elentar gardait, Gérald causait. Et le client entrait  tranquillement pour une soirée tranquille au cabaret club japonais.

Mais ce soir là Elentar faisait la gueule, et ne répondit pas au salut de Gérald.  Mais Gérald n’avait pas le temps de se poser des questions : les clients arriveraient bientôt.  Quelques instants plus tard, coiffé,  moulé dans le costume trois pièces des videurs du Sayonara, Gérald se tenait dans l’entrée à côté d’Elentar.  Ce dernier retourna le regard hautain des mauvais jours à la demi-portion qui lui arrivait à l’épaule. Gérald sourit intérieurement, avant de foncer aux nouvelle « Alors le gros, t’es pas heureux ce soir ? »

A cent trente kilos, Elentar avait à peine vingt kilos de plus que Gérald. Mais le commentaire relatif à la couche de graisse qu’il transportait avec lui l’énervait « Et toi, le tueur de moustiques, tu as fini de t’en prendre  à plus petit que toi ? »
Gérald haussa les épaules. « Au moins je ne râle pas comme une drag-queen forcée d’aller aux  toilettes des mecs. T’as quelque chose sur la patate, et pas moi. Ça m’énerve, allez accouche ! »
Elentar prit l’air excédé avant de répondre « On veut te voir au bureau.
-Ah. »
Monsieur Georges, le patron du Sayonara était réputé pour ses convocations au bureau. Elles étaient longues, pulsaient souvent et tout le monde en entendait parler avant qu’elles n’aient lieu. Gérald avait eu droit à deux convocations les mois précédents, et ça voulait dire souvent qu’on allait lui annoncer quelque chose de désagréable. Il fit la moue. « On verra bien. En attendant les clients arrivent. »

La convoc' au bureau , elle , parvint deux heures plus tard sous les traits de Béré, la serveuse de cocktails. La frange de ses longs cheveux bleus ne pouvait masquer son regard écoeuré alors qu’elle parlait. « Gérald, le patron te demande. Fonce à l’étage. » Et  en un claquement de minijupe, elle partit faire la tournée des tables.

Cinq minutes plus tard, Gérald était au bureau à l’étage. L’endroit se prêtait au calme et à la discussion sérieuse derrière des portes capitonnées. Au mur, tentures noires avec une nature morte, au sol une moquette bleu nuit, et des meubles Neue Bauhaus tout en chromes. Et au fond de la salle, le panorama des écrans de surveillance. Et ce soir-là Monsieur Georges avait de la visite sous la forme d’une flamboyante dame en costume noir trois pièces. A la grimace de Gérald, elle retourna un sourire amusé. Comme d’habitude Monsieur Georges embraya sec : « Ah, Gérald! Bon je suppose que tu connais Irina Stégalkine !
-Plutôt… »
. L’enthousiasme n’était pas au rendez-vous, mais le patron du Sayonara n’en avait rien à faire. Il retourna un regard acerbe avant de reprendre. « Madame Stégalkine nous a contactés pour assurer une tâche propre et de confiance. »
Un soupçon se fit jour dans l’esprit de Gérald. Pourtant il ne dit rien. Après quelques secondes de silence embarrassé, Irina Stégalkine s’avança. Sa volumineuse coiffure rousse cascadait sur ses épaules. Elle commença. « La DRAC nous a demandé de lui prêter un local pour exposer une pierre runique, un calendrier viking je crois, pour leur semaine « Jeu des origines ». Nous désirons simplement assurer une protection de cette œuvre contre les vandales et les bandits en tout genre". Gérald la remercia d’un geste du menton et  se retourna vers Monsieur Georges.
Celui-ci, carré dans son fauteuil, revoyait des éléments d’un dossier. Enfin il se retourna : « Madame Stégalkine, j’ai regardé votre offre, et tout me semble correct. Donc je suis heureux de prendre votre contrat. Notre expert en sécurité, ici présent arrêtera avec vous les détails de la protection de votre œuvre d’art."
Gérald avait observé la mine du patron avec une inquiétude grandissante . Il s’avança «  Monsieur Georges…
-Passe dans la salle d’attente, Gérald. »

Le ton n’admettait aucune réplique. Il fallut s’exécuter.

Quelques instants plus tard Irina Stégalkine sortait, un sourire satisfait sur ses lèvres carmin. Gérald l’alpaga. « Dis donc Irina, tu viens chercher les moyens officiels cette fois ?
-Gérald je ne sais pas de quoi tu parles…
-Moi si. Alors arrête de me balader. Tu veux une protection pour quoi cette fois ? C’est l’assureur fou ? L’intégriste purificateur ? Le concurrent agressif ? »
Irina pinça les lèvres. « Juste un garde pour ma pierre runique. Je t’expliquerai demain. En attendant ton patron veut te voir. »
Quelques instants plus tard Gérald  se tenait devant le bureau métal-verre. Monsieur Georges était modérément satisfait. « Dites donc Gunmarsson c’est quoi cette insubordination ? »
Ça sentait le roussi. Quand le patron revenait au langage de l’ancien métier, il valait mieux s’écraser.
« Patron, Elentar pourrait faire le boulot sans problème. La dissuasion c’est son rayon. En plus je connais bien  Irina….
-Je sais. J’ai pris mes précautions. En attendant son contrat est nickel, le paiement est garanti, et vous êtes en train de rouiller, Gunmarsson. Un extra vous remettra au jus et de plein pied avec le business. Et j’aimerais que vous n’ouvriez pas votre gueule  quand je suis en train de conclure une affaire. C’est compris ?
-C’est clair patron…
-Nickel. Donc vous êtes officiellement en congé pour 15 jours. Procédure habituelle et vous entrez en contact avec la mère Stégalkine demain. Exécution. Ah aussi…En sortant faites savoir à Elentar qu’il va devoir gérer avec un intérimaire pour les deux semaines qui viennent. D’ailleurs le type vient d’arriver. Envoyez le moi en sortant, que je lui explique le topo. »

Et en fait, il y avait dans la salle d’attente un type qui semblait sorti du XV Clermontois. Gérald lui dit deux mots et l’expédia voir le patron. Elentar par contre tira une gueule pas possible à la nouvelle de la sortie de Gérald. « Planqué. Je vais devoir me farcir le gros nul et toi tu vas draguer Stégalkine !
-Si seulement c’était le cas. El’ ça sent les emmerdes ce contrat. Bon faut que j’y aille je vais avoir une journée chargée demain. »


Et le lendemain Gérald referma la porte de l’appart, avec plein de souvenirs amers. Il ne dit pas même bonjour à Bensoussan du 4eeme.  Fallait dire qu’Irina Stégalkine était une connaissance marquante. Diplomée des Beaux-Arts de Moscou, elle avait eu marre du chômage, des contrats bizarres et des gros rustauds en costard noir qui hantaient les galeries d’art de la capitale.  Quelques oreilles complaisantes par ici, quelques services rendus par-là, lui permirent de débarquer à Paris sans un sou par un beau matin de Mai. Et elle débuta ainsi une période aventureuse qui lui permit de gagner une expérience unique, tout en se débarrassant de pas mal d’illusions. Et quand, par miracle, elle fut embauchée à la Galerie Maureau de Villeneuve sur Saône, elle était bien décidée à ne pas se faire éjecter. Gérald avait fini sa saison de kick-boxing, cherchait un boulot…Il lui permit de discuter d’égale à égal, face à deux-trois personnages peu sympathiques. Et quand, grâce à Irina, son casier judiciaire commença à se remplir, Monsieur Georges lui offrit une reconversion sympa.

Toutes ces choses-là tournaient dans l’esprit de Gérald  alors qu’il prenait le bus pour la Vieille Ville.
L’arrivée à la galerie Maureau fut un peu plus relax.Irina attendait avec un gros balaise en costume de vigile à côté de la machine à café.
« -Ah bonjour Gérald. Tu veux un expresso ? »Gérald s’empara du gobelet avant de désigner le type du menton. «C’est qui celui-là ? ». Irina soupira. « Voici Raymond, Gérald. C’est notre vigile, mais il aura besoin d’un coup de main pour la sécurité. Ils sont un peu nerveux à la DRAC et j’ai besoin d’un gars sérieux pour la sécurité. Tu garderas le corridor et le secteur où se trouve la pierre, discrètement bien sûr.
-La pierre est en libre accès ?
-Bien entendu.  Elle fait partie d’une exposition du musée municipal. Donc nous aurons deux ou trois visiteurs. Viens je vais te la montrer. »


 En fait la pierre était un truc rond, une roue gravée de runes,  accroché à un mur de tissu crème à la lueur d’un halogène. Gérald toisa l’artefact avant de s’intéresser à l’étiquette « Stavanger…C’est suédois ?
-Norvégien, c’est  une trouvaille inattendue, sur le chantier d’un supermarché. »
Gérald haussa les épaules. Si ça c’était passé comme il le croyait, cette pierre était probablement la seule chose que les gars du chantier  n’avaient pas pu détruire avant l’arrivée des  archéologues. De toute façon ce truc n’avait pas grand-chose à voir avec un œuvre d’art, et franchement,  Gérald  n’arrivait pas à croire que quelqu’un pense payer un seul dollar pour une chose se pareille.
Il bâilla. « Et c’est ce truc là que je vais devoir surveiller pendant une semaine ?
-Oui, et avec une surveillance constante. »
Irina désigna les panneaux d’information et les étalages des alentours. « C’est le clou de la semaine Viking dans la région, il faut garder l’œil. Si quelque chose va mal, la DRAC et le musée de Stavanger  nous tombent dessus. »  Elle tendit une enveloppe en papier marron  « Voilà les détails de ton boulot. Tu peux aller voir au bureau de la sécurité. »

Le bureau de la sécurité était plus un box qu’une vraie pièce, avec une table de métal grillagé, un ordi poussiéreux, quatre écrans de caméras, et une armoire métallique à moitié remplie de dossiers.  Gérald se laissa tomber dans le seul fauteuil de la pièce,  prit un second gobelet de café et entreprit la lecture.  En gros le vestibule de l’expo était sous alarme périmétrique et une porte de sécurité permettait  de sortir le cas échéant.
A part ça il fallait garder l’œil sur la salle, avec ou sans caméra, et avec l’aide d’un ou deux types de confiance. Le temps de passer un coup de fil à deux connaissances et le programme devint plus précis : Gérald passerait une bonne semaine sur le pont, et passée l’expo il aurait une bonne prime plus quelques jours de repos. Ça c’était pour la motivation.

Quelques heures plus tard, c’était chose faite, et Gérald s’emmerdait immensément. Il entrevoyait déjà une relation longue et passionnelle avec la machine à café et les caméras de surveillance. Il était tard dans la nuit quand il quitta la galerie. Deux coups de téléphone, un cordon bleu avec spaghetti carbonara, et  une nuit de sommeil lui suffiraient  pour  préparer le jour suivant.

Le lendemain matin, c’était Samedi et quand Gérald  ferma la porte de l’appart, le couloir était plongé dans le noir, et Gérald était immergé dans la somnolence. Même les cahots du bus numéro 8 ne parvinrent pas à secouer la claque qu’il se tenait.  Et c’est avec soulagement que Gérald prit son premier gobelet de café debout devant les  écrans des caméras de surveillance.
 Après quelques instants le monde redevint intelligible et Gérald partit voir du côté de la réception ce qui se passait. Ce matin c’était Raymond qui se coltinait la caisse, en attendant la petite stagiaire qui prendrait le service dans deux heures. Ça tombait bien, on commençait à voir du monde: il y avait déjà  un type bizarre en falzar et pull-over noirs. Le genre à économiser sur la poudre de lessive.  A la salutation de Gérald, le vigile retourna un regard mauvais: « Tu veux prendre ma place pour changer ? »

Il fallait se rendre à l’évidence : ce type était d’une connerie rare.  En un haussement d’épaules Gérald repartit voir ce qui se passait du côté des caméras de surveillance.
La matinée était calme, et hormis un petit groupe de touristes, il n’y avait pas grand monde dans la galerie. La petite stagiaire finit par arriver et Raymond réintégra le bureau de surveillance : Gérald partit se dégourdir les jambes. Après tout la matinée s’avançait et bientôt ses contacts lui rendraient visite.
Un concert de klaxons le tira de ses rêveries : A l’entrée de la galerie, la camionnette de la poste bloquait la rue.  
Le postier était déjà en train de s’engueuler avec un rougeaud dans une Xantia bordeaux.  A l’approche de Gérald, il se retourna. « Dites donc, il y a un minibus qui bouffe toute la place pour ma camionnette, vous ne pouvez pas trouver le chauffeur ? » Gérald jeta un coup d’œil avant de comprendre : c’était le minibus du groupe de touristes. De chauffeur, point. Il était probablement avec le reste du groupe dans la galerie. Gérald se dépêcha d’aller voir.

A l’intérieur, la petite stagiaire ne savait rien,  Raymond était parti au toilettes : il fallait partir à la recherche des touristes. Et alors qu’il traçait dans les couloirs à la recherche des types en short, Gérald commençait à s’étonner du calme ambiant. Une galerie privée ce n’est pas grand. Et un groupe de  touristes ça s’entend.  
Il avait une petite idée quand un spectacle déplaisant le fit s’arrêter net : Dans la salle B, le sol était moquetté couleur vert dégueulis, les fenêtres étaient fermées et dans un coin le type au pull-over noir contemplait d’un air pénétré «  l’Exutoire de nos Fantaisies » : un urinoir mal récuré posé sur un socle de béton brut.  Le visiteur avait tout l’air d’être en transe. Gérald commençait à se demander si le gars finirait par défaire sa braguette, quand un bruit le fit se retourner.
Derrière lui un colosse blond en short rose avec des fleurs jaunes braquait un automatique plutôt balaise. Le genre Desert Eagle avec canon bronzé.
Dans ce cas les héros balancent un coup de pied fouetté. Gérald écouta simplement. Le type gronda « Race et Honneur ! ». Un chuchotement sinistre s’éleva en réponse. Et la gueulante que poussa le flingue résonna dans l’étage entier.
Dans les discussions sérieuses ce sont les gros calibres qui l’emportent.
*
* *
 



DE LA CARTE AU SMS
Gérald avait des marteaux dans la tête. Quelque part on entendait la crécelle d'une alarme. Il tourna la tête sur le côté: le sol était vachement près de sa tête. « Vous allez vous réveiller tout de même ?!» Il y avait un type chauve en pull-over noir, l'air modérément excédé, agenouillé à côté de lui.  Gérald fronça les sourcils...Le type  au short rose et aux cheveux blonds n’était plus là. Apparemment il était parti, mais son 357magnum était toujours là sur le sol. Il tendit la main vers le soufflant.
«Je ne ferais pas ça si j'étais vous.»
Le type en pull noir avait l'air de se soucier de ce qu’il se passait. «Votre agresseur est parti, et nous devrions faire de même. Dans cinq minutes l'endroit va grouiller de flics.»
Ce type faisait preuve de bon sens. Gérald prit la main qu’il  lui tendait, et a sa grande surprise, se retrouva debout, les genoux flageolants.
« Dépêchons, j'ai cru entendre une sirène!» Gérald scruta les alentours.  Blondin avait du décamper par le couloir, et désormais Raymond devait être en embuscade avec la matraque et le lacrymo. Restaient la sortie de secours et le digicode.
En quelques secondes et deux tentatives ratées, il était dans l'arrière-cour avec le visiteur
en pull-noir. Dans la rue principale c'était un concert de sirènes. Le type en pull noir se retourna vers Gérald  «Bien joué, mais c'est ici que nos routes se séparent . Je vous souhaite un bon week-end. Personnellement je vais tenter d'en sauver ce que je pourrai.»
Gérald ouvrit la bouche. Ce sagouin allait décamper! «Je sais ce que vous ressentez. Voici ma carte.» Avant que Gérald n'ait pu comprendre, il se trouva une carte de visite noire et rouge en main. Hébété, il contempla le bout de carton. Quand il releva les yeux le type avait disparu, et les policiers avaient investi la cour.

Dire que la journée ne fut qu'un ramassis d'emmerdes, était en dessous de la vérité. La pierre runique avait disparu, la petite stagiaire, hystérique, était repartie chez elle, et Raymond était aux urgences avec une foulure au poignet. Quant aux touristes ils s’étaient évanouis.
Des sarcasmes des flics à l'exécution par Irina en passant par la remontée de bretelles par Monsieur Georges, Gérald n'ignora rien de la conformation de ses organes sexuels, ou de l'utilité de la masse graisseuse contenue dans sa boîte crânienne. Et quand on lui permit enfin d'aller se faire pendre ailleurs, il n'avait plus aucune illusion quant au respect qu'on lui portait.
Dans sa tête une rage impuissante le disputait à la confusion  totale.
Il ne sut pas trop comment, il se retrouva à un comptoir, un whisky a la main. Bientôt ses pas devinrent aussi incertains que ses pensées. Finalement  il fallut prendre  le chemin du retour en louvoyant entre murge immonde et rage éthylique.
Sans trop l’avoir voulu, il se retrouva devant la porte de son appart’ avec tous ses habits sans tâche et sans accrocs. En maugréant indistinctement il fouilla dans ses poches à la recherche de ses clés. Il finit enfin par les retrouver . Il y avait une carte de  visite noire et rouge aussi. Il la retourna: «Arnulfo Salamar, nécromant.»  
La lumière du couloir s’éteignit juste à ce moment-là. Gérald resta immobile dans le noir, la carte en main, et tout compte fait, décida qu’appuyer sur le bouton de la lumière était trop compliqué.
C’est pourquoi il ouvrit à tâtons la porte de son appartement, et franchit le seuil en laissant sa lucidité à l'entrée.

Le lendemain revint au rythme d'un concert de marteaux dans la boîte crânienne de Gérald. Deux dolipranes et un alka-seltzer plus tard Gérald se retrouvait devant une tasse de café noir et la perspective de chercher du boulot bizarre auprès de quelques lascars potentiellement connus des services de police.
Il en était là de ses réflexions quand il se souvint de la carte de visite. Quelques recherches frénétiques plus tard il tenait enfin le bout de carton rouge et noir.

«Arnulfo Salamar nécromant.

Héritages, indemnités, divorces, Efficacité et discrétion garanties.»

Plus bas se trouvait un numéro de portable et un code «SMS THANATOS». Complètement réveillé Gérald reposa la carte. Pas de doute, vu le style il s'agissait bien du lascar qui lui avait faussé compagnie le jour d'avant. Une conversation sympa s’imposait. Mais d’abord il suffisait de retrouver un portable, et de le charger.

A vrai dire, Gérald avait connu Itinéris, SFR, le WAP, avant de conclure que le portable était un jouet sympa pour se faire repérer par triangulation.
Et comme il n’avait pas l’habitude d’envoyer des coucous par SMS, la boîte de plastique restait dans un coin de la cuisine trois jours sur quatre.
Il fallut donc une bonne demi-heure avant que la brique téléphonique puisse marcher.
Entre temps Gérald avait eu le temps de se raser, prendre une douche et même se faire une queue de cheval. Enfin il put entrer le code, s’impatienter quelques instants et passer un training.

Quelques instants plus tard son portable lui bourdonnait un message. «Quais St. Julien face au parc  à 14 heures.» Il était temps de mettre les Nike, un peu de jogging s’imposait.

Les quais Saint Julien  étaient un terre-plein herbeux, en bordure de la ville et isolés de la route par des buissons touffus. Cela, et la proximité des eaux saumâtres du canal en faisait le coin parfait pour les joggeurs, les SDF, et les fanas de la pêche à la ligne. Comme tout le monde s’organisait sur la base des trois huit, l’affluence était réduite.

Et à l'heure dite, Gérald débarqua à petites foulées pour trouver l'homme en pull et falzar noirs assis seul sur un banc.
Rétrospectivement il faisait davantage penser à un curé sans soutane qu'à un fana des robes ornées de crânes polis. En revanche Gérald n’était pas sûr que les curés  lisent des magazines féminins comme « Vous ».
En apercevant la silhouette massive de son client  le type eut un mouvement de recul. Gérald reprit son souffle : «Salut Arnulfo. Vous regrettez de m'avoir filé votre carte on dirait...» L'homme se raidit et retourna un regard froid de derrière ses lunettes cerclées de fer.
«Rien n'était fortuit dans cette rencontre Gérald Gunmarsson. Je ne m'attendais pas à ce que vous répondiez aussi vite voilà tout.»
La conversation de ce lascar devenait intéressante.
«Vous connaissez mon nom ? Dites-moi ce qui vous a amené au musée.
-La pierre d'Holbrak.
-Quoi le truc runique? »
Un mince sourire parcourut la face du type en noir.
« Ce truc runique mon cher, est un calendrier lunaire utilisé dans des cérémonies dès 200 ans avant notre ère.»  Ce délire et le ton docte qui l’accompagnait suffirent pour mettre Gérald de mauvaise humeur: « Dites donc, vous en savez des choses mon vieux ! »
Le nécromancien curé n’avait pas l’air de comprendre le sarcasme. Il haussa les épaules.
« Vous avez vu ma carte. C'est mon métier de connaître ces choses-là.
-Vous savez donc pourquoi la pierre a disparu?
-Entre autres. Mais je n'ai rien à voir avec ça.»

Gérald posa une patte lourdingue sur son épaule. «Et vous êtes sûr que vous ne pouvez pas dire qui a fait le coup?»
Arnulfo Salamar eut une grimace contrite. «Vous voulez vraiment le savoir?
-Ouais. Donc tu craches le nom, ou je refile le tien à certains types de ma connaissance. »

Le bonhomme soupira.
«C'est le groupe SV88 qui a fait le coup.»

De plus en plus intéressant. Des types avec un nom de robot s'intéressaient à des pièces de musée maintenant. Gérald resserra son étreinte sur l’épaule de son interlocuteur.
«C'est qui ceux-là?
-Des suprématistes Vikings. Leur inspirateur est Svanir Jormagsen, un ancien de la division SS Nordland. » Apercevant l’expression incrédule de Gérald, il reprit avec un peu de nervosité :   « Après la seconde guerre mondiale il a fondé un groupe de militants anticommunistes...Mais maintenant ils ont changé de registre. Un des leurs a été arrêté il y a trois mois pour avoir tué cinq gamins dans une école. Officiellement c’était un malade mental inspiré par un jeu vidéo guerrier. On raconte ailleurs que c’était surtout d'une opération commanditée qui avait échoué. »

Gérald était modérément ravi à l'idée de rencontrer des fanas de Team Fortress à moitié cinglés. Il insista :
«Et qu’est-ce qu’ils ont à voir avec une relique archéologique ?
Son interlocuteur haussa les épaules « Ces artefacts représentent pour eux l’essence de la culture Viking. Ils ont dérobé quatre autres pierres. Mais c’est la première fois qu’ils opèrent hors de Scandinavie. A mon avis ils ne resteront pas longtemps en ville. »

Gérald finit par fermer la bouche avant de la rouvrir.
« Comment tu sais tout ça toi !?
-Je vous l’ai dit c’est mon rôle de savoir ces choses-là.
-Tu dois bien avoir une idée de l'endroit où ils sont! »
Le type secoua la tête. «Si je le savais je serais mort à l'heure qu'il est.
-Bordel tu vas les retrouver avec moi ! »
Gérald aurait bien embarqué le type vers le Sayonara, si à ce moment-là son portable n’avait pas sonné. Le temps de s’emparer du truc, de débloquer l’écran avant de déplier l’antenne et le nécromant s’était enfui à toutes jambes.

Au téléphone quelqu’un parlait nonchalamment : « Hé, tu connais Mourad et Rimka ? » Gérald écarquilla les yeux. Ces deux-là étaient censés débarquer hier au musée !!!
« Qui t’es toi ?
-T’occupes gadjé. On a tes copains et ils sont dans une merde noire. Si tu veux les revoir, mets  un bâton en petite coupures dans un sac de sport. On te dira où le déposer. »

Le regard vide, Gérald éteignit le portable et se mit la tête dans les mains. Il lui fallait choisir entre la pierre et ses associés de la Cité des Lilas.


Dernière édition par Jeradon le Dim 8 Déc 2013 - 16:35, édité 1 fois
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Message par Jeradon Mer 7 Aoû 2013 - 19:49

L’EMPRISE DU MAL


A quatre heures de l’après-midi, le  Sayonara était encore fermé. Ca n’empêchait pas Elentar de s’asseoir dans l’entrée à boire sa cinquième canette de bière tout en arborant des tatouages impressionnant sur les pectoraux.  Il leva un regard hilare en voyant Gérald en tenue de jogging. « Alors demi-portion on fait de l’exercice ? »
L’espace d’un instant Gérald sentit une pointe de jalousie. Enfin il répliqua. « Hé le gros tu peux me donner un coup de main s’il te plaît ? »
Elentar avait du descendre les bières un peu trop vite. Il leva un regard magnifiquement atone. « Et t’es qui toi ?
-Gérald Gunmarsson, ton ex-collègue tu te souviens ?
-Ah ouais t’es celui qu’ils ont éjecté parce qu’il n’est qu’un branleur.
Gérald senti l’écœurement le gagner. « Pas vraiment mais en fait là je viens to demander un coup de main, histoire de faire taire ceux qui me cherchent noise.
- Pas de problème ! »

Le gros se redressa de toute sa stature, envoyant valdinguer la chaise dans la salle. « Je vais chercher ma hache et on va racler du sagouin ! »
Décidément la bière ne réussissait pas à Elentar :il fallut faire quelques mises au point avant de partir plus avant, au commissariat de la ville.
Pour les flics du commissariat, Gérald Gurnmarsson était en termes charitables, un tocard intégral. Toutefois quand il débarqua accompagné d'une armoire a glace du venue du Sayonara les choses changèrent  quelque peu.  D’abord le nouveau venu  demanda a parler à l'inspecteur Legorjas, de la part de Monsieur Georges. Quand on lui annonça que l'inspecteur ne serait de retour qu'au soir le type du nom d'Elentar tempêta et demanda un accès aux archives pour une affaire de la plus grande importance.
Il fallut le calmer et lui permettre de trouver le signalement d'un type bizarre: 1.70m chauve, yeux marron, occultiste ou nécromancien. Il y avait 8 noms listés. Gunmarsson accompagnait Elentar. Il se pencha jeta un coup d'œil sur la liste et sans mot dire sortit, laissant l'assistance médusée. Elentar partit a sa suite et dans la rue rattrapa Gérald en trois enjambées
«Alors demi-portion qu'est ce qui t'arrive?»
Gérald lui retourna un regard décidé: « Je crois que j'ai retrouvé le type qui pourra m'aider à retrouver la pierre runique de la galerie.»
Unlarge sourire illumina le visage d'Elentar. «Alors qu’attendons-nous? Prenons nos armes et partons a l'assaut!!!»
L'enthousiasme d'Elentar était touchant, mais étrange. Il fallait procéder a des éclaircissements. Ça tombait bien on n'était pas trop loin du troquet de la place St. Martin. Quelques instants plus tard assis à une table du Café des Amis  devant une demi-douzaine de bières et sans prêter attention au regard en coulisse des joueurs de dominos qui occupaient le fond du bar, Gérald expliquait la situation a un Elentar incrédule. Il abordait l’attaque du musée quand dans le bar fit irruption un type en boubou coloré, qui commanda un thé à la menthe serré.
Après quelques paroles avec le patron il avisa les deux grands costauds assis à la table du coin « Salaam Aleikum les frères !
-Aleikum Salaam » Gérald avait appris les bonnes manières. Enchanté le type s’assit à leur côté. « Latif Boubakar, marabout et liseur de mains. Qu’est-ce que vous faites dans le quartier les frères ? »
Ignorant le regard perplexe d’Elentar, Gérald haussa les épaules. « Rien ; on commente les affaires de la ville.
-Ah…La ville. »
Le visage du marabout s’assombrit. "Quelque chose ne va pas dans cette ville, a vrai dire…Quelque chose de fatal même ! »
La curiosité d’Elentar était piquée : « Quoi ? Les Dragons menacent la ville ? »
-Non non il n’y a pas de chinois ici, t’es un touriste toi… »
Gérald commençait à en avoir assez de ce type, il interrompit. « Alors c’est quoi ? »
-Le marabout lui retourna un regard navré « Le mektoub mes frères, le mektoub de cette ville ! Je l’ai vu ! ». L’annonce était si dramatique que Gérald eut un sourire sardonique. « Et tu vas me dire que ton mektoub est un type vêtu de noir…
-Tout juste mon frère. Noir, en pull et pantalon noir. Sur son crâne chauve il a gravé les formules maudites !!! »
Il aurait pu continuer encore longtemps quand Gérald l’interrompit : « Allez c’est bon dégage, si tu ne veux pas rencontrer un autre mektoub !
-Tu te moques mon frère, mais tu verras ! Ton mektoub te rattrapera à toi aussi, et alors tu verras ! »
Pour Gérald cela suffisait. Suivi d’Elentar il régla les consommations et sortit. Une fois dans la rue, il dut expliquer la situation. « Merci El, mais à partir de maintenant je peux gérer tout seul. Rentre au Sayonara et ne dis rien à Monsieur Georges.
-Quoi il n’y a pas de combat ? »
Elentar était offensé.
« Ben non…Pas pour l’instant du moins, faut que je parle à quelques types. Bon El, bonne journée et rappelle-toi : tu ne m’as pas vu !

Elentar secoua la tête : quelque chose clochait avec tous les types qu’il rencontrait dans cette ville. Par exemple Gérald était taillé pour la bagarre mais faisait des manières. Il haussa les épaules. Peu importait. Après tout il avait ses courses à faire lui aussi.

A la connaissance de Gérald, la rue Octave Fleury était un trou à rat, et l’impression qu’il en avait fut confirmée par l’entassement de poubelles à moitié cramées, et le cortège de Renault pourries aligné le long de l’unique trottoir. Aucun doute, les riverains auraient mieux fait de rouler en scooter. En attendant, Gérald s’approcha d’une vieille porte, avisa le digicode et poussa le bouton d’appel. Une voix impersonnelle retentit. «Oui ?"
Gérald retint un sourire sardonique et entonna d’une voix sonore « SMS Thanatos ? ». La porte s’ouvrit immédiatement. Sans hésiter Gérald pénétra dans le couloir et s’engagea dans l’escalier vermoulu. A mi-chemin il croisa une bourgeoise qui le toisa d’un œil offensé, mais Gérald n’en avait cure. C’était au troisième. La porte était entrouverte.  Parvenu dans l’antichambre Gérald la ferma avant de passer dans la salle à manger. L’endroit était coquet, et sélect avec deux ou trois copies d’estampes japonaises et une série de posters de FrancoDiableries de La Rupelle. Et aussi, en robe flottante et les poings sur les hanches l’attendait le nécromant. « Gérald Gunmarsson vous allez trop loin !" Gérald fit la moue « C’est ce que dit Arnulfo Salamar. Mais pensez-vous de même Aurélien Marsala ? »
Le nécromant verdit. « Vous êtes fou à lier ! Je n’ai rien à voir avec … »
Gérald sourit largement : « Vous avez tout à voir avec mon affaire. Vous feriez bien d’être coopératif, ça améliorerait votre espérance de vie.
-Vous me menacez ? Savez-vous combien de gens vous attaqueront pour me protéger ? »
A l’annonce de Marsala Gérald eut un sourire sardonique.
« J’ai une petite idée. Et vous savez combien de marabouts, guérisseur et autres se retrouvent avec une concurrence déloyale ?  Dans cette ville, les curés vous laissent tranquille…Mais…Vous connaissez l’emir de la Tour 4 des Lilas ? Je suis sûr qu’il serait content de savoir où vous vivez. Et quand vous aurez en face quelques-uns de ses envoyés qu’est ce qui se passera? »
Cette fois Marsala était devenu tout pâle.
Gérald reprit : « Aurélien, vous avez trouvé une activité sérieuse avec votre négoce de nécromancien, mais c’est une affaire dangereuse. Vous pourriez vous simplifier… »
Mais le nécromancien ne voulait plus rien entendre : « Un négoce ? Pourquoi pas une escroquerie ? Vous n’êtes pas un initié Gunmarsson, vous ne savez pas ce que vous défiez !!! »
Gérald soupira. « Je sais ce que je cherche, Aurélien. Vous m’aidez à retrouver la pierre runique, et je garantis votre tranquillité. Aucun émir ou marabout n’aura vent de votre présence. Le temps des FrancoDiableries est loin. Le black rock n’est plus de mode…Les gens sont moins tolérants. Mais aidez-moi à contrer SV88 et je garantis votre tranquillité. »
Le nécromant retourna à Gérald un regard désemparé. « Mais je ne sais vraiment pas ou ils sont !!! Et dans cette ville…
-Le temps travaille contre nous je sais. Débrouillez-vous, donnez-moi un oracle ! Tirez les cartes! »

Rétrospectivement Gérald aurait du se méfier de la tendance d’Aurélien à suivre des suggestions sans protester. Pendentif de métal rouillé au cou, le nécromant finissait d’arranger les cartes d’un tarot. L’une après l’autre il les retournait, en murmurant leur nom « Le trésor…Le guerrier…La demeure…Le nomade… »
Le nomade ! Gérald se retourna d’un bond. Mais il était trop tard. Dans la pièce une voix moqueuse retentit « Les bras en l’air tout le monde ! On vient chercher le fric. J’espère que vous avez la monnaie ! »


Dernière édition par Jeradon le Dim 8 Déc 2013 - 16:49, édité 2 fois
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Des runes dans la pierre Empty Re: Des runes dans la pierre

Message par Jeradon Ven 20 Sep 2013 - 22:41

La vierge était en noir

La nuit commençait à peine à tomber quand ils les firent sortir, flingue dans les reins et poignets liés. Comme le seul unique lampadaire de la rue était mort, on n’y voyait pas grand-chose, et Gérald n’était pas sûr que d’autres types ne soient pas dans la rue. Derrière lui, Aurélien Marsala essayait de ne pas accrocher ses robes noires. On les fit monter à bord d’une camionnette de livraison, et quelques instants ils roulaient à  travers la ville.

Attaché dans le dos de Gérald, Aurélien commençait à paniquer « Oh bon sang qu’est-ce qu’ils nous veulent tous ? »Gérald tenta de hausser les épaules, mais déjà un type en blouson de cuir pointait un canon scié vers eux « La ferme ! »
Du siège avant un type se retourna« Qu’est-ce qu’il y a Rico ?
-Rien c’est le costaud qui la ramène.
- Dis-lui de se calmer. »


Un coup de pied dans les côtes ponctua l’échange. Gérald étouffa un gémissement. Au dehors les lumières de la circulation illuminaient la cabine. Mais bientôt la lumière devint orangée, et plus diffuse : on venait de sortir de ville. Bientôt la camionnette décéléra avant de s’engager dans ce qui devait être un chemin cahoteux. Au dehors quelques chiens aboyaient. Enfin on s’arrêta. Dans la pénombre on ouvrit la porte et on les fit descendre.
Gérald eut à peine le temps de discerner des formes rectangulaires, la lueur d’une lampe quelque part. Déjà on les poussait en  avant. Bientôt ils s’arrêtèrent. Quelqu’un devant ouvrit une trappe et on les poussa vers une obscurité malodorante. Un instant Gérald pensa lutter, avant de sauter en contrebas.  Dans un cri étouffé le nécromancien atterrit derrière lui. En haut quelqu’un ferma la trappe, et ils se retrouvèrent dans l’obscurité.

Quelque part des voix terrifiées mais reconnaissables retentirent. « Y a quelqu’un ? Vous...Vous êtes prisonniers vous aussi ? » Gérald soupira. Il venait de retrouver ses associés.

« Oui, espèces d’idiots. Et je crois bien que c’est à vous que je dois ce voyage.
-Mais on est où là ? »
Aurélien commençait à paniquer. Une autre voix apeurée retentit. « Où, mais bordel réfléchis mec. T’es au camp !
-Quel camp ?
-Celui des nomades, dans le Marais. »
Coupa Gérald. « Celui qu’on doit fermer depuis cinq ans déjà ». Le silence se fit. « Maintenant j’aimerais qu’on me raconte comment les gitans vous ont mis le grappin dessus ! »
Un silence penaud s’ensuivit, et une voix finit par répondre : « Ben Gégé, tu sais, on avait un souci avec la voiture. Et comme on devait te voir on a demandé à un copain de nous emmener. Mais c’était juste pour l’occasion.
-Parce que sa voiture on l’avait trop utilisée pour nos voyages en Hollande. »
Expliqua un autre, d’une voix geignarde.
« Et donc on était en route vers la ligne de Bus 5 quand cte voiture de flic vient nous chercher…
Et bon là on s’affole, on s’énerve et on tente de les semer. Mais ils s’accrochaient bien. »
Gérald resta silencieux.
"Et finalement » conclut la deuxième voix « on a décidé de couper par l’Avenue du Soleil, vu qu’ici ils ne passent jamais.
-Et pour ça vous vous retrouvez dans la prison du camp ? »

Apparemment les autres sentirent le ton acerbe. « C’est pas ça mais on a pris le tournant du 5 Mai  un peu trop raide.
-Et on a fini dans la caravane pourrie. »
Gérald soupira « Et les flics n’ont rien dit ?
-Ben ils sont arrivés un peu tard.
-Et les gitans nous avaient sorti de la voiture.
-Sauf Djamel, vu que ce gros nul il était un peu amoché. Et c’est pour ça qu’il n’est pas là. Seulement les gitans sont pas contents. Il paraît qu’elle était chère cette caravane. »

- Et donc quand on vous a demandé de payer, vous avez balancé mon nom et mon numéro de portable » Conclut Gérald.
« Mais moi j’ai rien à voir avec cette histoire ! » L’exclamation angoissée d’Aurélien reçut un acceuil sarcastique:
« Il est nul ce mec !
-Si t’es avec nous, tu as quelque chose à voir avec cette histoire.
-Mais je n’ai rien à voir avec  cette histoire de voiture !
- Maintenant tu la connais. »
Conclut Gérald. « En plus tu as vu mon enlèvement. Tu es un témoin gênant.
-Donc tu restes au trou avec nous, gros nul ! »
Un long silence s’ensuivit qui finit par embrayer sur une longue attente qui ne s’arrêta à l’ouverture de la trappe au-dessus.
La lumière du jour illumina une échelle et les uns après les autres, ils sortirent au petit jour.  Un comité d’accueil genre blouson noir et vieux jeans les attendait. Et sans leur laisser le temps on les fit passer dans une caravane immense.
Aurélien s’attendait à découvrir une version plus ou moins luxueuse de la baraque à frites. Mais là c’était un autre monde. Sur un mur quelqu’un avait punaisé une mappa mundi toute en méridiens et rose des vents comme on n’en voyait plus depuis quatre siècles. Devant, trônait un bureau imposant en vieux bois poli. Et dans un coin quelqu’un avait laissé une alcôve avec une statue noircie. Le lino verdâtre du sol était le seul détail sordide. Par contre ça devrait être pratique pour laver le sol en vitesse et faire disparaître les taches.

L’instant d’après une porte à l’autre extrémité de la caravane s’ouvrit pour livrer passage à une silhouette imposante. Dans le petit jour Gérald discerna des traits tirés à la serpe, des bras noueux : ce type était aussi grand qu’Elentar, mais avait l’air d’avoir forcé sur la bouffe. A ses côtés se tenaient deux autres porte-flingues les mains dans le dos. On arrivait à l’entrevue d’affaires, et le type colosse qui s’installait au bureau n’était pas n’importe qui. Ce dernier prit la parole d’une voix rocailleuse.

« Alors les pigeons…On est bien silencieux !!! ». A vrai dire on aurait pu entendre une mouche voler. Même Aurélien ne trouvait rien à dire Le maître de céans reprit « Je suis Ciprien Doblescu…Ça vous dit quelque chose ? » Seul Aurélien secoua la tête.
Le colosse se redressa et considéra l'avorton en robes noires. «Si je dis un mot, toi et tes copains ne sortez pas vivants de ce camp. Mets-toi bien ça dans ta tête chauve !
Le nécromant blêmit et se tut. L’autre reprit « Maintenant, pour commencer j’aimerais discuter avec le champion qui a encastré sa R19 dans la cabane du vieux Matéo. »

Personne ne bougea. Un rictus ironique sur la figure, le patron du camp se retourna vers son escorte « Ils ont tous perdu leurs permis de conduire ? ». Un des séides désigna un des blousons noirs derrière Aurélien. "le type est à l'hosto. Mais celui là était à ses côtés."
Ciprien devint grave. Il se tourna vers le coupable. « C’est quoi ton nom ? » Un des gardes braqua son fusil à pompe vers lui. « Mourad ! »
-Et celui à côté de toi?
- Karim… »
Le colosse ferma les yeux avant de rugir : « VOUS VOUS RENDEZ COMPTE DE CE QUE VOUS AVEZ FAIT ? »
On n’entendait rien de l’autre côté du bureau. Ciprien Doblescu se pencha en avant, arc-bouté contre le bureau.  « Vous avez percuté une caravane après un demi tonneau ! C’est un miracle que personne n’ait été tué. Mais même si le vieux Matéo n’était pas là à ce moment, il n’a plus de logis ! Alors maintenant faut payer. Pour une caravane comme ça c’est dix briques ! »

Gérald serra les dents. Dix briques c’était une somme, et ces deux idiots n’avaient aucune chance de pouvoir la réunir sans hypothéquer leur vie. D’ailleurs leur teint cendreux montrait bien qu’ils avaient compris l’étendue de leurs difficultés.
« Mais…Mais…C’était pas notre faute ! On partait au boulot et les keufs nous ont pris en chasse ! »

La montagne les considéra d’un regard mi-clos « Ah. Et il est où votre patron ? »
Gérald devança l’inéluctable dénonciation. « C’est moi ». A ses côtés Aurélien blêmit. De l’autre côté du bureau, le maître des lieux considéra le type costaud en training
« Alors c’est toi…Tu sais que tu vas devoir raquer ?
-C’est mon affaire. En attendant j’aimerais que tu relâches ces deux-là. »
L’autre s’esclaffa : « Tu veux me donner des ordres ou quoi ?
-Non je te donne la garantie que je paierai si ces deux idiots partent sains et saufs.
-Comment tu t’appelles déjà ?
-Gérald Gurnmarsson. »
 Ciprien hocha la tête et fit un geste au deux gardes derrière Gérald : « Emmenez les deux autres. »
«  Merci Gégé, merci…On t’oubliera pas ! »
: Mourad et son copain avaient  la gratitude effusive. Cyprien Doblescu y mit un terme :
« Ramenez les au trou et vous les relâchez ce soir seulement, pas loin de leur cité. Ne les emmenez pas aux toilettes ils ont tout ce qu’il faut dans en bas. » Dans un silence de mort les deux coupables et leur escorte ressortirent.

Au bout d’un moment Cyprien reprit. « Bon t’as accepté de solder leur ardoise. J’espère que tu vas pouvoir payer. »
Fataliste, Gérald haussa les épaules.
« Permettez !» La voix mal assurée d’Aurélien attira les regards furieux ou amusés de l’assistance. Cela importait peu. « Celui qui accepte les péchés n’est pas celui qui a commis le crime. Au nom de celle qui veille dans la pénombre, celle qui protège Sara et qui nous réunira tous, j’implore miséricorde ! ».

L’ambiance devint un poil plus tendue. Derrière Aurélien une porte s’ouvrit et se ferma. Enfin Cyprien Doblescu reprit la parole. « Tu parles bien, l’avorton, mais tu as le culot de parler de miséricorde quand nous avons souffert les avanies de ces deux gadgés ? Ce que je crois c’est que toi et ton copain vous allez payer ! »

Sous le regard atterré de Gérald, Aurélien se mit à genoux dans la supplication la plus abjecte « Pitié ! Je ne peux pas! C’est trop cher ! Je ne pourrai jamais ! »
La face imprégnée par le mépris Cyprien ordonna au porte flingue de s’emparer de la loque en robe noire.
« C’est à moi de payer !
Les regards de l’assistance se portèrent sur Gérald. Il s’avança de quelques pas. « Et j’ai tout ce qu’il faut. »
Un autre garde canon scié en main, s’approcha du gadgé costaud qui se tenait les bras en l’air. C’est ce qu’il fallait à Gérald. En un balayage il faucha le type et roula sur le côté. Quelque part une décharge de plombs éclata contre le bois du bureau. Gérald fit une autre roulade, s’empara de quelque chose, et l’instant d’après l’autre porte flingue prenait une lampe en pleine figure. Cyprien Doblescu bondit en avant : ses bras manquèrent Gérald de peu. Tous deux se lancèrent dans une course poursuite autour du bureau…
« Arrêtez çà !!! »
La voix stridente retentit à travers la caravane. Interdit Gérald jeta un regard de côté, et fut happé par la poigne de son adversaire
« Cyprien Doblescu, je t’ordonne d’arrêter !!! »
L’ordre fit se retourner Cyprien. Il considéra en ricanant la femme en robe noire qui venait d’entrer: « Retourne à ta caravane Louana ! Ta place n’est pas ici ! »
De derrière la femme, un garde, flingue en main s’avança. « Désolé patron mais Louana à le droit de venir. Quelqu’un a imploré la Dame des Ténèbres. Elle a des questions à poser !'"

A contrecœur le colosse reposa Gérald et le laissa se redresser et tousser comme un crevard : « Quand Louana en aura fini avec toi… » Un mauvais rictus parcourut sa trogne.
Louana s’avança, et toisa la scène d’un regard courroucé avant de se retourner vers Gérald : « Toi et ton copain de quel droit invoquez vous la Dame des ténèbres !!! »
Sous le regard de ces yeux noirs surmontés de sourcils charbonneux Gérald était dans ses petits souliers. Il repassa de l’autre côté du bureau, et considéra le visage rond de cette râleuse : elle ressemblait de plus en plus à sa tante, vingt ans auparavant.
« Je t’écoute. »
Gérald parvint à marmonner « C’est à cause de l’autre affaire de l’autre jour. »
-C’est-à-dire ?
-Ben au musée on devait protéger une pierre runique…
-Et elle a été dérobée par les séides du SV88 »
interrompit Aurélien.

La femme abattit une main sur le bureau, et retourna un regard soupçonneux à Aurélien «Pourquoi parles-tu de ça gadgé ?
Vous êtes la révérende du camp… »
Marmonna Aurélien. « Vous savez ce qu’est le SV88 ». Il montra du doigt la statuette noirâtre : «La maîtresse des ténèbres a assez souffert des agissements du SV88 »

La bouche ouverte, éberlué, Gérald contemplait Aurélien. La femme le contemplait également avec beaucoup moins de sympathie. Elle reprit « D’accord, je suis la Révérende du camp, et on m’appelle Louana.  Je suis aussi la gardienne de la tradition et l’enseignante de la Dame des Ténèbres. Maintenant pourquoi parles-tu du SV88 ?
-Ils sont en ville. Et ils ont dérobé un artefact Viking. »
La femme ferma les yeux et se signa. « Alors ils faut les arrêter au plus vite. »
Gérald considéra tour à tour le chauve en robe noire, et la virago religieuse. Il avait loupé un épisode du film c’était sûr !
« Hé pourquoi on doit les arrêter ? »

Aurélien soupira. « Les partisans de Svanir Jormagsen…
-Sont responsables du massacre de frères et sœurs de Bulgarie, Hongrie, Union Soviétique et de Pologne »
Coupa la femme. « Voilà ce qu’est SV88 pour nous."
Aurélien reprit. « Révérende Louana nous ne pouvons pas rester ici alors que nos ennemis errent dans les parages. Surtout avec ce qu’ils ont pris !"
-Louana lui décocha un air soupçonneux « C’est-à-dire ?
La pierre Viking est un accessoire essentiel pour des cérémonies occultes. Si nous ne les arrêtons pas rapidement des innocents ici ou ailleurs seront sacrifiés par le SV88. »

Louana secoua la tête. « Tu délires complètement gadgé. Personne n’a  dit que le SV88 était dans les parages.
-Libérez nous, et vérifiez. »
Louana eut un sourire moqueur « Non je crois qu’on va vérifier d’abord et après on viendra vous voir. » Elle se retourna vers les trois autres gardes.  « Attachez les l’un à l’autre.  On va voir dehors de quoi il retourne. »
Gérald attendit d’être seul et attaché à Aurélien pour poser ses questions.
«Marsala, dites…Vous avez l’air d’en savoir long sur les trucs occultes…Pourtant je ne comprends pas. En 97 et 98 vous vous êtes fait arrêter pour escroquerie…"
Aurélien soupira. « Vous avez vraiment besoin de savoir les détails ? »
En fait Gérald avait besoin de savoir les détails et beaucoup plus. Et s’il le fallait, la meuf au crucifix pourrait en apprendre beaucoup plus sur les antécédents d’Aurélien. A contrecœur Aurélien commença : "C’était aux  FrancoDiableries de La Rupelle…On était tous arrivés pour le concert des DarkSabbath, et un type est venu nous dire qu’on recrutait des figurants pour une animation de rue. On s’est dépêché d’aller voir. Quand je suis arrivé, ils m’ont refilé le rôle de nécromancien. C’est d’ailleurs le seul qui restait… »

Gérald écoutait sans y croire… « Attendez c’était un job d’étudiant ?
-C’était bien payé vous savez. Et en plus après m’avoir rasé le crâne et peint les runes, j’avais un vrai succès avec les gens. Surtout les gamins.
« Après ça l’imprésario m’a recommandé pour le Printemps de Vierzon, et même pour le Festival de Nîmes… J’arrivais à financer mon Deugue. Et puis j’ai commencé à avoir des CDD. »


Gérald n’arrivait pas à retenir un sourire sarcastique. « En gros vous étiez nécromancien intérimaire. Vous aviez assez de fric pour vous payer la panoplie ? »
Aurélien serra les dents. « Les habits, les bouquins et la connaissance…Mais dans un job comme ça l’argent ne suffit pas. On finit par se détacher des autres.  Les copains qui rigolent avant de disparaitre. La copine qui se barre mais faut qu’on reste copains. » Aurélien soupira misérablement « Et bien sûr les parents m’avaient coupé les vivres dès qu’ils avaient su le boulot que j’avais … »

Un pli amer apparut au coin de la bouche de Gérald. « C’est pas drôle dans ce cas…Chuis désolé mon vieux…
-Bah il y a toujours du fric, même si on sait qu’un jour ça s’arrêtera…Et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré mes pairs…
-Comment ça ? Vous avez trouvé un club ? »
Ce fut le tour d’Aurélien de hausser les épaules. « En un an j’ai appris plus que pendant toute ma vie d’étudiant. Depuis…Je suis ma voie. »
Ce type était non seulement bizarre mais en plus il se prenait au sérieux. Aurélien sourit. « Comment avez-vous survécu à un tir de pistolet au musée ?
-Il m’a raté c’est tout.
-A bout portant ? Non…Avant qu’il ne tire j’ai incanté. La balle s’est logée dans le mur derrière vous. Le type a compris et s’est barré ».

Ou le Svanir 88 avait tiré une balle à blanc. Pour ce qu’en savait Gérald c’était probablement ce qui s’était passé, et Aurélien avait cru à son trip.
La porte s’ouvrit d’un coup sec. Louana entra suivie des gardes, et d’un geste ordonna aux porte flingues de libérer les prisonniers.

Quand debout devant le bureau, Gérald et Aurélien eurent fini de se frotter les poignets, elle reprit : « Félicitations les tocards, les SV88 sont bien en ville. Et ils viennent de perdre leur pierre runique. Pas de chance pour eux. Mais bon on vient de leur faire savoir qu’elle se trouverait dans un entrepôt de la gare centrale…On va les attendre, et vous venez avec nous. »
Ca Gérald ne l’avait pas prévu, mais bon… « Je suppose que vous n’avez pas d’armes…
-Si. Nous on vient avec le matériel de base. Ton copain et toi venez avec la pelle et la pieuvre de nettoyage. »

Et finalement on leur permit d’aller aux toilettes.

                       
 Des runes dans la pierre Vierge10
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Message par Jeradon Ven 13 Déc 2013 - 15:54

Le hennissement du cheval qui crève




                                     Des runes dans la pierre Akm10
                         


On les laissa bien attendre pendant quatre heures. D’accord on leur avait permis d’aller pisser, puis de rester assis, pieds déliés.  Par contre chaque porte était désormais gardée par deux portes flingues pourvus d’automatiques. Vu de cette façon l’hospitalité du camp était un peu intimidante. Aurélien n’avait pas l’air de se formaliser davantage. A midi, pendant qu’il avalait ses jambon-beurre son visage pâle n’exprimait plus qu’une gratitude soulagée. Gérald en revanche remâchait sa rancoeur.

Enfin, tard dans l’après midi,  on les fit sortir, Gérald en training et Nike, Aurélien avec sa robe noire et ses breloques.  Avant de les faire monter dans un vieux Trafic blanc fade,  un type s’avança et défit leur menottes. Ils n’eurent pas trop le temps de se frotter les poignets, l’instant d’après Louana s’approcha.  En jeans moulant et veste en cuir la révérende faisait furieusement penser à la fille du fond de la classe, en première, celle qui était sortie avec tous les mecs de la rangée du fond. Gérald n’arrivait pas a y croire.  
Il dut laisser transparaître son trouble, vu qu’elle le repoussa vers l’arrière de la camionnette « Allez, bouge toi, on démarre de suite. » L’instant d’après il était au fond du Trafic en compagnie d’Aurélien et de deux costauds sans armes.  Louana était devant à la place du passager.

« On va où ? »
Elle se retourna, un sourire moqueur aux lèvres : « A l’entrepôt de la gare. Nos copains fascistes sont parfois très crédules. On leur a fait croire que leur pierre se trouve là dans une caisse à destination de Tourcoing. Il ont gobé l’histoire, et ils devraient débarquer en force sous peu. Ce sera le moment rêvé pour leur tomber dessus. » Sa voix se fit plus dure « Et leur faire bouffer leur extrait de naissance. »


Gérald  fronça les sourcils . « Louana, attends. Ces types sont armés, et vous allez vous lancer dans une bataille rangée contre eux ?
-On a ce qu’il faut pour ces types là.  Nous ne leurs laisseront pas une chance
". Elle reprit « Le sonderkommando Jormagsen a éliminé des milliers des nôtres.Le sang appelle le sang Gunmarsson. Aucun de ces types ne sortira de l’entrepôt. »
Gérald se mit à réfléchir à toute vitesse. Il reprit « Et nous on fait quoi dans cette bataille. On compte les points ? On sert d’appât ? »
Louana lui retourna un regard sarcastique « Presque.Vous êtes là parce que vous avez vu un de ces types, et ils vous connaissent. S’ils vous voient dans les parages ils se dirigeront vers vous. » Elle fit un geste vers l’arrière du van. « Et en plus ton copain a l’air d’en connaître un rayon sur ces types. Il nous aidera à questionner un prisonnier. »
Derrière une voix geignarde retentit : « Mes convictions m’interdisent la torture à des fins crapuleuses !
-A mon avis ces types là sont beaucoup moins regardants. Tu devrais y réfléchir, non ? »


Aurélien resta silencieux pendant les quelques minutes qui restèrent. Enfin le van finit par s’arrêter à côté des voies, derrière l’entrepôt de la gare de Villeneuve sur Saône . On les fit descendre  rapidement, mais Gérald eut le temps de remarquer une vieille Béhème gris métallisé  arrêtée sur le bas côté de la route. Cinq types en sortaient des vieilles kalachnikov.  Chacun des  accompagnateurs de Gérald reçurent une arme, et tout le monde passa dans  l’entrepôt. On y avait disposé des dizaines de caisses, à la manière d’un labyrinthe. Dans un coin restait une camion de livraison de la SERNAM.

Louana s’arrêta : « Bien, écoutez tout le monde. On aura besoin de quatre types pour couvrir l’entrepôt, derrière la barrière de caisses  , trois types non loin de l’entrée, et un dernier type pour garder la sortie et les camionnettes. » Evidemment Aurélien et Gérald faisaient de la figuration.  Mais ça, c’était le plan des gitans.

Alors qu’on les poussait à l’intérieur du hangar, Gérald réfléchissait à toute vitesse. D’abord la gare était au bout de la ville, a côté de l’avenue Camille Desmoulins, pas trop loin du quartier des Enclos. Au-delà c’était la route nationale.  L’entrepôt donnait directement sur l’esplanade de la gare, à main droite du bâtiment principal. Cela suffirait.

Il regarda aux alentours : les types de Louana prenaient leurs positions en silence. Un des gardes le poussa  à l’épaule. Docilement il suivit Aurélien qui se dirigeait derrière une caisse non loin du van. Et puis Gérald trébucha.

Son gardien s’était à peine penché qu’un coup de poing ajusté l’envoya voler contre une caisse. Le fusil d’assaut tomba dans un claquement métallique. Derrière l’autre garde levait son arme , mais déjà Gérald était passé derrière une des caisses. A toute vitesse il atteignit la sortie de secours, enfonça la porte et se retrouva au dehors à cinquante mètres de la gare. Bien entendu à cette heure-ci il n’y avait pas un rat. Devant le hall il y avait un Express, un deux roues, et une cabine téléphonique. Il se rua vers la cabine.  Miracle : c’était encore une machine à pièce. Au fond de la poche du pantalon traînaient deux pièces de cinq francs. Il s’empara du combiné et se retourna : personne n’était parti à sa poursuite. Une sueur froide parcourut Gérald. Frénétiquement il composa le numéro du Sayonara. « Bon sang, qu’est ce qu’ils font à la réception… »

D’un coup une voix tonna dans l’écouteur « OUAAAIS ? ». Gérald écarta vivement l’écouteur avant de retrouver la parole : « Elentar ? Bon sang gros, c’est toi qu’ils ont mis au téléphone ? » Il eut la présence d’esprit d’écarter le combiné assez loin cette fois.

 OUAAIS. IL Y A EU UNE HISTOIRE HIER , ET DEPUIS ON M’A COLLE AU TELEFAUNE . »
Gérald n’arrivait pas à y croire. « C’est quoi cette histoire ? 
C’EST A CAUSE DE LA LIVRAISON DE CROCODILES POUR LE SPECTACLE EXOTIQUE DE L’AUTRE SOIR. PARAIT QUE J’AVAIS PRIS LE MAUVAIS TYPE DE CROCO ! 
»
Il y avait un mystère de plus, à élucider mais là Gérald n’avait pas le temps. D’ailleurs deux berlines noires venaient de s’arrêter pile devant l’entrepôt, et des silhouettes encagoulées se ruaient à l’intérieur, fusil en main.

« Elentar tu dis au patron que ça chauffe à la gare, non pas la guerre, la GARE ! Et que la pierre y est. FONCE bon sang !!! » Il n’attendit pas la réponse et se rua vers le hangar à son tour. Aurélien et la famille Doblescu allaient se faire trouer la peau.

                                     Des runes dans la pierre Reming10

A l’intérieur Aurélien les vit venir : une demi-douzaine de silhouettes vêtues de noir : les serviteurs de la secte paienne du SV88 venaient d’entrer et se déployaient rapidement parmi les caisses. Il n’y avait aucun doute, ils cherchaient leur trésor maudit et ne partiraient pas les mains vides. Pourtant personne parmi les tsiganes ne parlait ou ne bougeait.  Entre les caisses, les intrus chuchotaient des ordres.  Tout à coup une exclamation retentit. Nul doute : les SV88 avaient  retrouvé leur bien. Mais que faisaient les autres ? N’y tenant plus Aurélien se dressa, et pointa un doigt vengeur vers les mécréants. « Maudits sicaires ! Contemplez votre fin ! ».

Un bref silence retentit. Et tout à coup le staccato des Kalachnikov résonna dans tout le hangar. Quelque part, quelqu’un poussa un cri de guerre :« Krasny Yar ! »

C’en était assez pour Aurélien : N’écoutant que la voix de ses maîtres obscurs il se cacha  entre deux caisses et s'enfuit en rampant vers la sortie.  Désormais des crépitements répondaient aux Kalachnikov . D’un coup une explosion suivie d’un hurlement résonna sèchement dans le hangar : apparemment les compagnons de Louana avaient été surpris. Aurélien allait reprendre sa reptation quand tout à coup une silhouette patibulaire bondit devant lui. Immobile, il vit la gueule mafflue d’un fusil à pompe s’ abaisser dans sa direction.

Et dans un claquement sonore une pelle de cantonnier s’abattit sur le tireur. Le guerrier nordique s’effondra comme un pantin. Derrière le type, Gérald laissa tomber sa pelle et bondit vers Aurélien : « Là bas ! »

Aurélien se retourna pour voir une camionnette de livraison se ruer hors du hangar en vrombissant . « Va voir la boss des gitans, je vais essayer de les suivre ! » Aurélien n’eut pas le temps d’en placer une : Gérald venait de partir.

Dans le hangar, un silence étrange régnait. Confus comme pas deux, Aurélien ramassa le flingue du Svanir, et fit une repli tactique vers la barrière des tsiganes. Deux corps gisaient au bas des caisses. Les larmes aux yeux, automatique au côté, Louana tenait la main d’un des types. Ce dernier avait une méchante tâche rosée au cou. A l’approche d’Aurélien elle se retourna, un sourire amer sur le visage : « Ces salauds étaient bien entraînés. Ils ont pu s’approcher suffisamment pour lancer… » Avec rage elle reprit « Ils ont eu Rico, ils ont repris leur pierre. Et toi… » Furieuse elle reprit: « Tu fais quoi là  gadgé ! Rattrape les et fais les payer ! »

Eberlué Aurélien courut vers la sortie. En robe noire et avec un fusil à pompe qu’aurait fait Arnulfo Salamar ? Il n’avait pas trop le temps d’y penser d’ailleurs. Dehors , deux berlines noires restaient sur l’asphalte et il n’y avait pas âme qui vive. Affolé Aurélien jetait des regards de tous côtés. C’est à peine s’il entendit le vrombissement sur sa gauche.
L’instant d’après une poigne ferme le happait et le mettait à l’arrière d’une sorte de Harley. Et l'engin démarra en trombe. Au guidon, Gérald gueulait sa rage. « Bande d’enfoirés ! Marsala, on va les rattraper et les faire sortir de la route. Accroche toi et ne perds pas ton flingue ! »

les arbres de l’avenue commencèrent à défiler à toute allure. Bientôt on arriva au rond-point de l’avenue Desmoulins et de la Nationale . D’un balancement Gérald évita le terre plein, et fonça droit dans la zone artisanale des  Gaudes, avant de penser à utiliser les freins.

Ils étaient aux abords du Carrefour et à cette heure  là le parking commençait à se vider. Le temps d’un balancement Gérald évita une bagnole et se rendit compte qu’on ralentissait à peine. En fait les freins ne servaient à rien : la moto adopta une trajectoire ondulante. Le temps de redescendre en seconde ils étaient arrivés au BricoSport, et Gérald avait compris comment éviter les chariots éparpillés un peu partout.

Alors qu’ils allaient retrouver la route,  il entendit une lamentation misérable. En fait Aurélien n’avait qu’une envie : descendre avant qu’on ne finisse encastrés dans le décor. « On pourrait pas ralentir un peu ? » Curieusement Gérald n’avait pas l’air d'accord.  Ils avaient retrouvé la route et c'était pas le moment de faire chier.

Aurélien n’eut pas besoin de comprendre qu’ils ne feraient pas demi-tour, et s’accrocha davantage alors que la moto grondait sa rage aux abords de la Cité des Lilas. Bientôt ils croisèrent en trombe la patrouille  de police.  Un peu tard , Aurélien commença à se demander comment planquer son fusil à pompe.
Déjà une sirène retentissait dans leur dos. Gérald remit les gaz. Aurélien finit par hurler « On n’a pas besoin d’aller à fond pour les semer ? »

La réponse parvint l’instant d’après. « Chuis seulement en troisième ! ».  Aurélien maintint désespérément sa prise sur le dos  de Gérald. Alors qu’ils dépassaient la tour numéro trois. une deuxième sirène se joignit à la première.  Et tout à coup depuis les tours retentirent des acclamations enthousiastes. Aurélien eut un sourire misérable: le  nécromant Arnulfo Salamar allait  finir dans une apocalypse mécanique devant une foule en délire.

Il en aurait bien levé le fusil en triomphe mais ils avaient déjà laissé derrière eux les ovations délirantes pour se retrouver, tout compte fait, sur la contournante Est.

Gérald  se mit à essorer la poignée, et le grondement du moteur prit une tonalité agressive.  Il hurla: « Marsala…Les fachos sont devant ! Dès qu’on arrive à leur hauteur, vous explosez les pneus avec le flingue. »

Dans l’autre sens les voitures déferlaient, devant  il y avait un camion de livraison plein de malades armés jusqu’aux dents…Aurélien abandonna sa peur, et la terreur des ténèbres s’empara de lui. Il leva le fusil en l’air. La manche claquant au vent il commença : « Ash nag Krakatuluk… » Il y avait bien un van qui grossissait à vue d’œil « Ash nag gimbatul… » La porte arrière du van s’ouvrit brutalement. Une silhouette brandissait un fusil d’assaut « Ash nag zagatuluk ! »  La rafale claqua contre l’asphalte. Mais à ce moment là Gérald était à la hauteur des Svanir.

Après ,tout alla très vite.  Sous le bras d’Aurélien le fusil à pompe aboya : le pneu du van explosa.  Gérald évita de justesse le véhicule en perdition, pour aller  vers le klaxon frénétique d’une bagnole en face.  Il donna une impulsion vers la droite pour se rabattre droit sur un semi-remorque. Les yeux écarquillés il ne put que lire « Transport de chevaux ».   Et  dans un vacarme infernal, le hayon de la remorque s’abattit sur la route.  Désespérément Gérald donna un coup de poignet, la moto bondit  et s’engouffra  pour s’exploser au fond de la remorque.

                           Des runes dans la pierre Vmax10

Plus tard, le constat de la patrouille de gendarmerie signala une camionnette de livraison qui avait fait un tonneau sur le bas côté.  On y trouva deux corps en tenues de camouflage paramilitaire. A l’arrière il y avait une caisse avec une stèle endommagée. On signala aussi un semi remorque couché en épi en travers de la route. Questionné, le conducteur indemne mais très choqué, expliqua qu’avant de perdre contrôle de son véhicule, il avait entendu un hurlement atroce. L’inspection trouva au fond de la remorque cinq chevaux morts dont une carcasse défoncée.  Au milieu des chairs sanguinolentes  ne restait que l’épave d’une Yamaha  VMax. Et il n’y avait pas de restes humains. Le rapport ne contenait pas d'autre élément.

                                                               
Epilogue


« Allez Marsala, vous pouvez sortir, il n’y a plus personne! »

Même couvert de sang, au milieu d’un champ de colza, Gérald ne se dégonflait pas.  Tremblant de tous ses membres Aurélien se redressa, écarta un bout de tripaille bleue de son visage et contempla, hébété le champ de fleurs jaunes. De très loin il s’entendit parler : « On a survécu…
-Ouais et les Svanir sont partis s’emplafonner sur le bas côté. Avec un peu de chance, la pierre runique a été retrouvée. Bien fait pour leur gueule. Dommage qu’on ait crevé ces chevaux.
-Il a fallu sacrifier des victimes aux puissances occultes… »
Marmonna Aurélien
.
« Ah ? » Gérald retourna un regard étrange au nécromant. « Enfin bon, on a réglé l’affaire, et si ça se trouve les gitans croient qu’on a crevé aussi dans le crash. On aura la paix… ». Quoique...Gérald réfléchit avec malaise. Le type qu'il avait débarassé de sa moto n'allait pas être très heureux...Il faudrait peut-être changer d'air.

Aurélien ne répondit pas. Là-bas sur le chemin qui bordait le champ, un vieux Trafic se traînait en brinquebalant.  Gérald se retourna pour voir Louana ouvrir la portière et courir vers eux à travers les plantes en hurlant de joie :

« Alors gadgés ! Vous avez triomphé contre ces monstres ! » . Elle  se ressaisit en voyant la mine embarassée de Gérald. « Vous nous avez vengés, et vous avez survécu à cette poursuite ! Vous êtes des héros vous savez ? Allez, venez donc ! »
Louana avait l’enthousiasme autoritaire.  Ils n’eurent pas d’autre choix que la suivre. Déjà, deux autres types arborant un large sourire sortaient du van. «Venez on va faire la fête ce soir ».  Louana intervint: « Et bien sûr vous avez mérité la faveur de la Dame des Ténèbres ! Ce soir vous serez initiés devant elle. »

Gérald n’avait pas vraiment envie d’un truc religieux au fond d’un camp illégal, mais Aurélien ne lui laissa pas le temps d’en placer une : « Ce sera un grand honneur, Révérende…Nous prêterons serment devant la Dame. »
Gérald soupira lentement.  Un autre délire s’annonçait. Enfin…Cette fois personne ne lui demandait de payer.  Et c’est avec résignation qu’il remonta dans le van.

FIN
Jeradon
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