Les Lucioles Automnales - Guild Wars 2
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Histoire d'une jeune pousse

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Message par Cynaris Dim 28 Avr 2013 - 14:05

Bien des choses ont été racontées, bien des mythes ont été dits, bien des contes ont été propagés, pourtant nul autre qu’un Sylvari ne comprendra jamais ce qu’est réellement l’Eveil. Sortir du Rêve n’est ni un moment de joie, ni un instant de souffrance. Il est impossible de décrire ce sentiment paradoxal d’arrachement et d’émerveillement. La sensation éprouvée de traverser l’étendue du cosmos plus vite que la lumière et d’atterrir dans une explosion olfactive. Car ce n’est ni la vue, ni l’ouïe qui s’éveillent en premier, mais bien l’odorat. Et le Bosquet regorge des odeurs de mille fleurs, de l’herbe et de la terre humides. C’est ainsi que tout commence.

C’est ainsi qu’un nouvel être s’éveille. Une nouvelle enfant du cycle de l’Aube, qui rejoint les siens alors même que le soleil entame son parcours. Son réveil est maladroit, peut-être même plus que celui des autres. Dès qu’elle se dresse sur ses jambes, elle trébuche. Ses premiers mots sont des balbutiements. Elle s’adapte lentement, presque avec réticence, comme si elle n’avait jamais voulu être éveillée. Autour d’elle, les Sylvaris du Jardin de l’Aube l’accueillent avec bienveillance. Ils se montrent patients, et leur patience génère en la nouvelle-née un sentiment de honte aigüe.
Allons, je suis hors du Rêve à présent. Ici se trouvent les miens. Je dois me rendre aimable d’eux.
Si une force telle que le Destin existe, elle doit avoir des pulsions sadiques. Elle doit vouloir s’acharner sur Cynaris. Car alors qu’elle commence à peine à prendre confiance en elle et en les autres, surgit un Sylvari à la chevelure champignonneuse. « Caithe est de retour au Bosquet, s’exclame-t-il de sa voix chantante – car même lorsqu’ils s’exclament, les Sylvaris parviennent mystérieusement à conserver une voix chantante. Et elle dit vouloir se rendre ici pour rencontrer de nouvelles pousses! »
Cynaris se souvient de Caithe. Dans le Rêve, elle a partagé des souvenirs, et certains contenaient ce nom illustre. Une Première-Née ! Voilà qui explique l’émotion dans la voix de tête-de-champignon. Mais pourquoi une Première-Née se rendrait-elle ici ? Pourquoi voudrait-elle rencontrer des pousses ? Est-ce une nouvelle espèce d’orchidée qui grandit sur cette branche ? Elle n’en a jamais vu de telle dans le Rêve. Cynaris est incapable de conserver sa concentration. Rien ne lui semble plus important que d’observer les grains d’herbe, les battements des ailes de papillons, le faible relief de la mousse sur le sol. Autour d’elle les Sylvaris sont au comble de l’excitation, ce qui se traduit par un vocabulaire excessivement fleuri et des métaphores bucoliques variées. Mais elle, elle refuse de laisser l’arrivée impromptue Caithe lui voler la joie de l’Eveil au monde sensible.


Elle avait pensé que peu importe ce que voudrait Caithe, cela ne la concernerait pas. Puis, pour une raison qu’elle ignore toujours, le choix s’était fixé sur elle. Elle n’avait pas compris ce pour quoi elle était choisie, ni comment la décision était prise – l’argument de base étant que les voix de l’Arbre Clair sont impénétrables. Elle ne veut pas décevoir. Les Sylvaris, elle le comprend peu à peu, n’aiment pas décevoir la communauté. Alors elle est résolue à faire ce qui est attendu d’elle. Mais qu’est-ce qui est attendu d’elle ? Elle rajuste son gilet. Les vêtements ne sont vraiment pas quelque chose qu’elle trouve agréable à porter. Apparemment, il est nécessaire d’en exhiber en présence d’autrui. Elle comprend pourquoi sans le comprendre. C’est comme si cette règle non-explicite faisait intégralement partie d’elle.
Cesse de penser aux vêtements. Essaye de te concentrer sur ce qui est important. Sur ce que tu es supposée faire.

Caithe est debout devant elle, à la contempler silencieusement. Impossible de savoir ce qu’elle pense. Elle a un côté froide guerrière qui émane d’elle comme les pétales émanent de la tête de Cynaris. La Première-Née reprend : « Mon frère passe trop de temps seul, à étudier l’Arbre Clair sait quoi, à expérimenter…je n’aime pas ça et je ne suis pas la seule. Certains Premiers-Nés s’inquiètent. Nous ne pouvons pas perdre un autre des nôtres à la Cour des Cauchemars. Encore moins lui. Trahearne est trop important. » Caithe marque une pause, la regarde. Elle semble soudainement incertaine de son choix : « Comprends-tu, Cynaris ? »
Le regard doré de le nouvelle-née est tout à la fois absent, confus, ébahis et naïf. Elle répond cependant assez vite, et fait preuve d’une vivacité inattendue. « Vous souhaitez que quelqu’un lui tienne compagnie. » Caithe esquisse un sourire. Voilà qui est résumer de manière concise. Il faut que quelqu’un soit aux côtés de Trahearne. Les Sylvaris ont besoin de la présence d’autrui. Surtout lui, lui si secret, lui qui aime tant la présence des morts. L’importance de sa Grand-Chasse a pris le dessus sur le reste, sur sa propre existence. Il faut rassurer les habitants du Bosquet. Il n’y aura pas de second Faolain.
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Message par Cynaris Dim 28 Avr 2013 - 14:06

Aife, en tant que Luminaire du Cycle de l’Aube, a insisté pour l’aider dans ses préparatifs. « Je sais que tout ceci est soudain. Je comprends ta désorientation, mais tu verras, Cynaris, tout se passera au mieux. Trahearne est quelqu’un d’admirable. » Cynaris ne se sent pas vraiment rassurée par ces propos. Elle ne comprend toujours pas pourquoi elle doit jouer la demoiselle de compagnie auprès d’un Premier-Né. C’est bien plus tard dans son existence qu’un ami humain lui soufflera une potentielle réponse : « Manœuvre politique », dira Anguéran. Elle ne comprendra jamais ce que cela veut dire exactement.
« Voilà qui est charmant ! », se réjouit Aife face à un long manteau rouge en lin brodé. Ses pans prennent la forme de pétales et de subtils dessins floraux le couvrent presque entièrement. Cynaris commence à développer un certain goût pour les belles choses. Les parures et les bijoux, en particulier. Elle n’a pas vraiment l’occasion de se préoccuper d’autre chose. Sa place et son rôle ont déjà été déterminés. C’est à peine si on a cherché à savoir si elle possède un quelconque don pour les arts magiques. Elle découvre, presque par accident, qu’elle est capable de faire bouger la terre, alors qu’elle admire une plante quelconque et parvient à l’extraire du sol par la seule force de sa volonté. Elle la replante précipitamment juste après l’avoir déracinée, bien entendu.

« Tu dois être impatiente de rencontrer Trahearne aujourd’hui, lui demande rhétoriquement Aife. Tu verras, il est tout à fait aimable, une fois qu’on a su percer son côté réservé.
- Mais s’il est si aimable, pourquoi les autres Premiers-Nés s’inquiètent-ils ? Pourquoi dois-je l’accompagner ? »

Aife regarde la jeune pousse, consternée. Elle ne comprend pas pourquoi Cynaris pose pareille question. Elle devrait écouter l’Arbre Clair, qui est la voix de leur sagesse. Cependant, après mûre réflexion, cette question n’est pas totalement absurde. Tous les Sylvaris ont le plus grand des respects pour Trahearne, les Premiers-Nés y compris, car il est le plus ancien d’eux. Et son caractère, bien que très secret, est plutôt accommodant. Alors pourquoi se faire du souci pour lui ?

« Trahearne est devenu…lointain, répond finalement Aife. Nous ne le voyons presque plus au Bosquet. Il passe son temps sur les Côtes Ternies, ou pire, dans les ruines d’Orr, à étudier les morts vivants. Ainsi que les morts tout court. Dis-moi, Cynaris, que sais-tu des arts de la Nécromancie ?
- Seulement ce qu’on m’en a dit : que ce sont les arts de la résurrection des morts.
- Et que savons-nous de la mort ? poursuit Aife.
- Qu’elle nous surprend au milieu de notre vie, et fauche le reste de notre existence, frappant par la maladie, les blessures d’une lame ou la traitrise du poison.
- C’est exact, Cynaris. Mais sais-tu qu’il est une autre cause mortelle pour les autres races ? Les Hommes, les Norns, les Charrs et les Asuras, eux, meurent aussi de vieillesse. Lorsqu’ils ont atteint un certain âge, leur corps s’éteint, tout simplement. Aucun Sylavri n’est jamais mort de vieillesse ; j’ignore si nous pouvons même mourir de grand âge. Et parce que nous l’ignorons, nous le redoutons. La mort n’est pas un sujet dont on parle beaucoup au Bosquet et je crois que c’est pour cela que nombre des nôtres considèrent la Nécromancie avec suspicion. »

Cynaris comprend alors pourquoi tant de Sylvaris sont mal à l’aise lorsqu’ils évoquent Trahearne. Ils sont partagés entre respect, fascination et crainte. Le Premier-Né les rappelle à une réalité incertaine. Elles les a entendu raconter tant d’histoires à son sujet : comment il a failli céder à la tentation, lui aussi, de venger Malomedies, luminaire du Cycle de la Nuit sur lequel les Asuras ont si cruellement mené des expériences. Comment il est rentré dans le droit chemin, afin d’honorer l’Arbre Clair et les enseignements de Ventari. Comment il aurait rencontré le regard de Zhaitan, et aurait survécu. Comment il ne serait plus le même depuis…
Reinalle, une Sylavrie du Cycle de l’Aube et une de celles qui a raconté de telles histoires à Cynaris, une des sœurs les plus proches de cette dernière, arrive soudainement au beau milieu de la préparation des sacoches et diverses choses que Cynaris devra emporter avec elle. « Trahearne est de retour au Bosquer ! » annonce-t-elle, au comble de l’excitation. Aife la remercie, puis se tournant vers Cynaris : « Viens, jeune pousse, allons rencontrer celui que tu dois mourir d’impatience de découvrir. »
Si Cynaris meurt de quelque chose, ce n’est certainement pas d’impatience, mais surtout d’angoisse.



Trahearne se tient debout, entouré de sa sœur Caithe et de Niamh, le chef des Protecteurs. Ils sont en grande conversation, mais leurs trois visages demeurent impénétrables. Le pas de Cynaris ralentit imperceptiblement. Une grande confusion d’émotions l’envahit. Elle voudrait être ailleurs. Elle voudrait être dans le jardin de l’Aube, à observer les fleurs. Elle voudrait être au bord du ruisseau, à contempler la faune aquatique. Elle voudrait être à la lisière de la forêt, à écouter le chant des arbres. Aife, qui l’accompagne, lui lance un regard plein de compassion, qui l’exhorte avec douceur à s’avancer. Cynaris essaye de rester concentrer afin de ne rien dire ou faire de stupide.

« Traheane, l’apostrophe Aife. Quelle joie de te revoir parmi nous, cela faisait si longtemps ! Comment te portes-tu ? »
Il se retourne et Cynaris le découvre pour la première fois. Sa peau est légèrement plus obscure que celle de la plupart des Sylaris et les feuilles blanches qui s’élancent depuis le sommet de sa tête créent avec cette peau un contraste saisissant. Son armure est pareille à l’écorce d’un arbre solide, mais son air est doux et paisible. Serein. « Aife, répond-il d’un air mélodieux. Je suis pareillement heureux de te voir ! Je rentre juste d’Orr et voilà que Caithe m’annonce que je devrais prendre avec moi une jeune pousse lors de ma prochaine… » Il aperçoit Cynaris et se tait, sans doute par respect pour elle. Car il a l’air ennuyé d’apprendre que quelqu’un devra l’accompagner.
Caithe esquisse un sourire sarcastique. « Trahearne, laisse-moi te présenter Cynaris, qui partira avec toi dès que tu nous quitteras à nouveau ». Cynaris est indécise quant à ce qu’elle est sensée faire, aussi décide-t-elle de simplement rester plantée là. Face à son inaction, c’est Traheane qui l’aborde : « Enchanté de faire votre connaissance » et il s’incline respectueusement. Elle essaye de ne penser qu’à ce qu’elle doit dire, mais rien ne vient, aussi se contente-t-elle de se pencher vaguement vers l’avant en retour.

C’est Aife qui se porte à son secours : « Je crains que tout ceci ne soit trop émotionnel pour notre jeune pousse ! Pourquoi ne continuez pas sans nous ? Trahearne, vous tu n’auras qu’à nous rejoindre plus tard au Jardin de l’Aube, afin que vous puissiez faire connaissance en paix. » La panique de Cynaris décuple alors que Trahearne acquiesce. Elle n’a aucune envie de s’entretenir avec lui en tête à tête. Il est encore plus impressionnant en personne que dans les histoires qu’on raconte sur lui. Allons, Cynaris, courage ! On ne demande pas beaucoup de toi, après tout…

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Message par Cynaris Mar 21 Mai 2013 - 12:23

Un certain temps passe avant que Trahearne ne pointe le bout de ses feuilles au Jardin de l’Aube. Cynaris est assise dans un coin, parfaitement inactive. Son esprit, lui bouillonne. Elle envisage toutes les possibilités, toutes les options, toutes les conversations. Et n’imagine aucune issue réelle. A moins que Trahearne ne soit parvenu à convaincre les autres Premiers-Nés qu’il n’avait pas besoin d’elle. Mais c’est fort peu probable. Elle entend une voix derrière elle qui dit simplement : « Heva ». Elle ne connaît pas d’Heva et lève les yeux, s’apprêtant à en informer celui qui cherche cette personne, lorsqu’elle réalise que c’est Traheane. A bien le regarder, maintenant, il est vrai que se dégage de sa personne quelque chose d’inquiétant. Quelque chose semble en permanence le hanter. Il est présent, sans l’être tout à fait ; il semble avancer sur une ligne étroite entre deux mondes.

Elle se lève soudainement, dépoussiérant maladroitement sa robe couverte de pollen et autres éléments floraux divers qui pullulent au Bosquet. « Vous cherchiez quelqu’un ? » finit-elle par demander, tout en essayant d’éviter un contact visuel direct avec le Premier-Né. Il hoche doucement la tête et sourit : « Je suis venue vous chercher, Heva, pour vous annoncer que nous partirons bientôt, dans deux – peut-être trois – jours, si cela vous convient.
- Mon nom est Cynaris, lui dit-elle d’une voix hésitante. Elle est pourtant persuadée d’avoir entendu Aife l’annoncer par son nom lorsqu’elle a rencontré Trahearne la première fois.
- Je sais. » Sa voix est calme, posée. Presque trop. « Certains d’entre nous hésitaient à vous accorder le titre de Vaillante ; mais vous êtes si jeune, si inexpérimentée, qu’il aurait été déplacé de vous accorder un tel titre si précipitamment. En attendant le jour où vous serez digne de le recevoir, vous serez Heva, celle qui accompagne. »

Un long moment se passe durant lequel aucun d’eux ne parle. Doit-elle exprimer sa gratitude ? Se montrer honorée ? Cela impliquerait qu’elle comprenne exactement ce que ce titre signifie. Or, elle n’a jamais entendu parler d’un tel titre. A sa connaissance, il n’existait pas jusqu’à ce jour. Un titre créé uniquement pour elle. Elle n’a aucune envie de le porter. Elle n’a aucune envie d’être unique, de sortir du lot. Elle n’a aucune envie qu’il l’appelle Heva.
« Où nous rendons-nous ? est la seule piteuse question qui lui vient à l’esprit afin de changer le cours de la conversation.
- Les Côtes Ternies. A l’Ouest, non loin du Bosquet, des morts-vivants ont été reporté par nos éclaireurs. Je dois étudier leur présence ici, je dois découvrir si la pestilence qui s’est répandue sur eux est irréversible. Car telle est la Grand-Chasse qui m’a été confié : délivrer Orr de ses maux et rétablir sa grandeur passée.
- Mais n’est-ce pas considéré comme impossible ? Je veux dire, j’ai entendu des gens le dire et… » Cynaris s’interrompt, confuse. Alors qu’elle lui a posé cette question, a-t-elle rêvé, ou a-t-elle bien perçu une lueur triste dans son regard ?
- C’est ce qui est dit de ma Grand-Chasse, Heva. Et pourtant, que devrais-je faire ? Renoncer ?
- Cependant, je ne comprends pas. Pourquoi l’Arbre Clair vous confierait-il une tâche insurmontable ? Cela ma paraît tellement injuste !
- Injuste ? » Trahearne rit doucement. « J’ignore si le terme est adéquat. Je ne sais qu’une chose, c’est que je ferai tout mon possible pour accomplir cette mission. Quoi qu’il en coûte. Mais assez parlé ! Je dois vous laisser, car d’autres désirent me voir et je ne leur ai pas parlé depuis des mois. »

Elle le regarde partir en silence. Au lieu de l’avoir aidé à se forger une idée de son caractère, leur entretien n’a eu pour effet que de renforcer l’aura mystérieuse qui nimbe Trahearne. A présent, la perspective de leur départ suscite en elle peur et l’impatience. Elle est désormais Heva. Elle essaye de s’approprier ce nom et ce qu’il représente. Mais ce soir, elle est trop épuisée. Elle va se nicher dans le creux d’une branche recouverte de lichen et s’endort presque aussitôt. Pour le moment, elle pense qu’elle peut rester Cynaris une nuit de plus.


Le jour du départ, il vient la réveiller très tôt. Il fait encore nuit et le Bosquet est paisible. Des lucioles et autres vers luminescent brillent çà et là. Lorsqu’elle entend le son de sa voix venu perturber son rêve, Cynaris se lève d’un bon. Elle avait fini par s’endormir, mais d’un sommeil angoissé. En silence, elle enfile le manteau rouge offert par Aife et ses sacs posés à même le sol. Ni elle ni Trahearne ne prononcent le moindre mot tandis qu’ils remontent l’allée en colimaçon menant hors du Bosquet. Ils s’apprêtent à franchir la porte séparant la demeure des Sylvaris de la forêt de Caledon environnante. Cynaris se retourne pour embrasser du regard, une dernière fois, les contours merveilleux de ce lieu qu’elle parvient à peine à appeler sa maison.
En fin de matinée, ils atteignent le village d’Astorea. Ils n’ont quasiment pas parlé. Ayant passé une nuit brève et peu reposante, Cynaris ressent une profonde fatigue malgré leur courte marche. Ses paquets semblent peser une tonne et elle fait de son mieux pour seulement maintenir le rythme de Trahearne, qui, habitué aux longues marches solitaires, avance d’un pas véloce et parfaitement silencieux. Cynaris a la désagréable impression qu’il voyage comme il voyagerait seul et que sa présence se fait totalement oublier. Ils se reposent un temps au village, le temps pour Cynaris de se sustenter et se reposer, et pour Trahearne de collecter quelques informations supplémentaires. Il était visiblement aussi célèbre ici qu’il l’était au Bosquet et – Cynaris l’apprendra plus tard – un peu partout en Tyrie. Lorsqu’ils se remettent en route, elle tente timidement d’amorcer la conversation. Si elle doit voyager avec lui, elle aimerait tout autant le faire en bavardant. Son caractère est encore jeune, sa personnalité émerge à peine, mais déjà elle sait qu’elle a l’amour immodéré du verbe. Mais aimer parler et entamer la conversation avec un individu aussi impressionnant que Trahearne sont deux choses fort différentes. Elle hésite entre l’énumération de banalités et le discours élevé. Réalisant qu’elle sera sans doute incapable de maintenir une conversation d’une grande densité intellectuelle, elle finit par simplement lui demander : « Avez-vous appris des choses intéressantes ? », ce qui lui semble après coup une question parfaitement idiote.

Il n’a pas appris grand-chose qu’il ne sait déjà. Ils doivent traverser les étendues d’Ogham à l’ouest, puis, au matin, ils prendront la route du sud afin de traverser les montagnes les séparant de la Côte Ternie. Lorsqu’elle apprend qu’il leur faudra traverser une montagne, Cynaris tente vainement de cacher un air paniqué. « Il y a de nombreuses chaînes montagneuses à travers la Tyrie, Heva, lui dit Trahearne d’un air compatissant. Mais vous le découvrirez un jour. Il vous reste tant à découvrir… ». Elle découvre très vite que franchir un col montagneux est éprouvant. Et si ce n’était que la montée ! La descente est presque pire. Elle trébuche, glisse, tombe même quelques fois. Aussi est-ce avec grand soulagement qu’elle se voit atteindre le plat. Devant elle s’étend une bande de terre presque sans relief et au-delà une mer azure.


Dernière édition par Cynaris le Mar 21 Mai 2013 - 12:24, édité 1 fois
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Message par Cynaris Mar 21 Mai 2013 - 12:24

D’anciennes ruines s’éparpillent le long de la côté. Une atmosphère lourde de mystère et de nostalgie pèse sur les vastes étendues verdoyantes. Ils marchent jusqu’à atteindre un avant-poste Asura, où ils s’établissent pour la nuit. C’est la première fois que Cynaris rencontre des représentants de cette race illustre. Au premier abord, elle est évidemment attendrie par leur taille et leurs grands yeux. Mais très vite, elle découvre aussi cette pointe d’arrogance, ce sentiment de supériorité si caractéristique de cette ethnie si savante. Trahearne lui a expliqué que le sort de la Tyrie toute entière repose sur les frêles épaules des Asuras. Les portails dont ils sont les inventeurs permettent à tous les peuples de collaborer et de réagir avec promptitude à toute menace. Cynaris a été émerveillée et intriguée au Bosquet par cette arche au cœur comme un tourbillon mauve. Maintenant qu’elle sait à quoi elle sert, elle regrette presque ne pas y avoir pénétré. Voir l’Arche du Lion, voilà qui doit être extraordinaire ! Elle en a entendu parler comme d’un haut lieu de rassemblement de marchands et d’aventuriers. Tout ce qui semble important en ce monde a sa source à l’Arche du Lion.

Elle est perdue dans ces pensées lorsqu’elle heurte un objet métallique imposant. Elle s’apprête s’excuser lorsqu’elle se fige, la bouche ouverte, face à l’être de fer. Retenant un cri de surprise et de peur, elle fait quelques pas en arrière, cherchant frénétiquement Trahearne du regard. Il est parti à la rencontre du chef de la côterie établie dans cet avant-poste. Le géant d’acier fait un pas vers la Sylvarie, qui recule de plus belle. Son talon bute sur une pierre et c’est la chute. La voici à la merci du monstre, alors que son périple commence à peine. Elle refuse de décevoir le Premier-Né de la sorte. De la force de ce refus émerge une flamme – une simple traînée enflammée, vraiment, et non pas une de ces impressionnantes boules de feu que tant d’élémentalistes font jaillir d’un claquement de doigts – qui s’écrase sur le torse du golem.

« Hé, Ho ! Vous vous croyez où ? » s’écrit une voix sortant de derrière la machine. Une Asura émerge alors, toute de violet vêtue. L’extrémité d’une de ses couettes rousses est carbonisée. Ses yeux oranges fusillent Cynaris, tandis qu’elle s’avance vers elle. « Je peux savoir pourquoi vous attaquez Glex sans raison, Sylvarie ? ». Cynaris se relève, ébauchant une réponse confuse : « Je…heu…qui est Glex ?
- Glex est mon golem, imbécile ! Et vous étiez en train d’essayer de le faire fondre. Bien entendu, il ne risquait pas grand-chose. En toute sincérité, j’ai rarement vu une élémentaliste projeter une flamme aussi maigrelette ! Moi qui croyais que votre peuple avait un don naturel pour ces choses-là.
- Votre…golem ? poursuite Cynaris, à peine consciente du nombre d’insultes proférées par l’Asura. Vous avez fabriqué cette chose ?
- Pour sûr que je l’ai fabriqué ! C’est un prérequis de ma côterie que de fabriquer un golem. Attendez une minute…c’est la première fois que vous en voyez un, pas vrai ? » Face au regard terrorisé de Cynaris qui perd complètement ses moyens, elle s’esclaffe fortement : « Hahaha ! Vous devez être une de ces ‘jeunes bulbes’ alors ! Je croyais que les bébés Sylvaris ne quittaient pas le Bosquet avant d’avoir atteint la puberté…Qu’à cela ne tienne, je suis fière que le premier golem à croiser votre chemin soit mon Glex ! Venez, venez un peu tâter la bête…comment vous appelle-t-on ?
- Cynaris…heu, Heva est mon nom, dit-elle en s’approchant sans grande conviction.
- Eh bien, Cynaris Heva, vous voici en train de triturer le torse bombé d’acier de Glex, golem d’Igglixia. Qu’en dites-vous ? Pas mal, n’est-ce pas ? »

Cynaris s’apprête à répondre, mais elle est immédiatement interrompue par un éclat de voix : « Tu oses appeler ce machin un golem ? Ton Glex n’est qu’un tas de ferrailles, ma pauvre Igglixia, et seule toi ne le vois pas ! ». Un Asura surgit de derrière Cynaris, suivi de près par son propre golem, qui est nettement plus grand que Glex. Les yeux immense du nouveau venu son emplis d’un air de défis, auquel Igglixia ne résiste pas longtemps : « Si c’est un duel que tu veux, tu vas l’avoir ! » s’écrie-t-elle en se ruant, suivie de près par son propre golem, vers son rival. Face au fracas métallique qui s’ensuit, Cynaris hésite à intervenir, puis elle estime simplement que cette culture, qui lui est encore parfaitement étrangère, doit comporter des rituels qu’elle ne peut sans doute pas comprendre.

« Heva », l’appelle la voix de Trahearne, sortit de son entretien avec le chef de la coterie. Elle le rejoint et est informée qu’ils pourront passer la nuit ici, avant de poursuivre le peu de route qu’il leur reste jusqu’à la plage qu’il désire étudier. C’est après une nuit empli de rêves de géants d’acier qu’il éveille Cynaris. Alors qu’elle s’apprête à partir elle découvre, sur le pas de la porte, un petit paquet accompagné d’une lettre. Elle commence par examiner la lettre, couverte d’une écriture immense et presque enfantine : Cynaris Heva,
J’ai vaincu cet imbécile et son imbécile de golem. Vous avez manqué un grand moment de gloire et de la toute-puissance de Glex, quel dommage ! Comme prix de ma victoire, il n’avait cependant rien d’autre à me donner que ceci, et je n’en ai aucune utilité. Aussi ai-je pensé qu’il pourrait vous être utile. Je préfère savoir cet objet entre vos mains qu’entre celles d’un de ces demeurés.
Revenez me voir un de ces jours, Glex aura grand plaisir à vous faire une démonstration !
Igglixia


Dans le paquet, elle découvre une petite dague de fer. Elle se demande en quoi une telle arme serait plus utile à elle qu’à l’Asura, car après tout, elle ne sait que vaguement manier le bâton, et encore… Elle mesure à peine ce que signifie le fait de recevoir un présent de la part d’un autre individu, en particulier de la part d’un représentant d’une autre race. Depuis qu’elle est sortie du Rêve, tout ce qu’elle possède lui a été donné par les siens. Cependant, comme elle possède peu, elle chérit cette dague comme tout le reste de ses biens. Elle l’accroche à la boucle de sa ceinture et rejoint Trahearne qui l’attend plus loin.

Ils marchent de longues heures avant d’arriver sur cette plage immense, qui semble s’étendre à l’infini. Le sable en est tiède et orange, bien que par endroits il prenne une teinte verdâtre. Cette plage est pareille à un organisme infectée. Un virus s’y répand, inexorablement. Et Trahearne cherche à savoir comment empêcher sa propagation. Ils installent un camp de fortune et, tandis que Cynaris amasse quelques branchages ramassés plus tôt sur leur route afin d’allumer un feu pour la nuit, Trahearne, à quelques mètres de là, invoque quelque chose à l’aide de son sceptre. Un grand éclair violacé s’échappe de son arme et parcourt en une seconde l’étendue de la plage. Sous le sable, des entités commencent alors à bouger, à glisser vers le Premier-Né. Elles remontent de la mer ou se précipitent latéralement vers lui. Soudain, elles émergent, et Cynaris retient un cri d’horreur en découvrant les dizaines d’ossements que Trahearne a fait venir à lui. Il y a là des fémurs, des os de bassin, des mains presqu’entières, qui jonchent le sol autour de lui, comme s’il avait fait remonter de dessous la terre un cimetière en ruine.
« Ne craigniez rien, Heva. J’ai simplement besoin de ces os pour la cage, lui explique-t-il.
- Quelle cage ? demande Cynaris, incrédule.
- Afin de les enfermer.
- Enfermer…qui ? »

En guise de réponse, Trahearne se contente d’indiquer d’un mouvement de la tête une forme qui émerge de l’océan. Le soleil est en train de se coucher, aussi Cynaris parvient-elle à peine à distinguer de quoi il s’agit. La silhouette se rapproche et elle finit par discerner les vagues contours d’un Asura. Sa démarche est étrange, boitante, et elle s’accompagne d’une odeur immonde. Un bourdonnement émane de la créature et, alors qu’elle n’est plus qu’à quelques mètres d’eux, Cynaris constate avec effroi que sa chair toute entière est en décomposition.
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Message par Cynaris Mer 5 Fév 2014 - 15:35

Il est des rituels qu’elle aime. Ceux qui touchent aux repas, par exemple, la fascinent au plus haut point. Elle ne comprend pas pourquoi certains éprouvent le désir de se regrouper afin de se sustenter, mais elle trouve cette habitude très conviviale et donc très plaisante. Elle n’a connu que quelques repas au Bosquet et bien moins encore au camp des Asuras. Elle en a aimé chaque seconde, chaque instant de rire et de nourriture mâchée. Avec Traherne, cependant, c’est une autre histoire, un autre rituel.
Tôt le matin, il la réveille. Et tandis qu’elle se glisse hors de sa couverture et retrouve avec dégoût le contact du sable humide, il lui tend sa pitance, qu’elle doit manger en marchant derrière lui, tandis qu’il la mène d’un pas cadencé vers la cage aux morts. Ils ont établi leur campement de fortune loin de celle-ci, pour des raisons de confort olfactif évidentes. Et chaque jour, Traherne passe des heures à les observer, à les étudier, à incanter autour d’eux. Parfois, il extrait magiquement de leur corps quelques gouttes de sang. D’autres fois encore, il travaille à des potions qu’il projette à leurs visages décomposés.
Cynaris s’était sentie mal les quatre premiers jours. Entre l’odeur pestilentielle et la vision des amas de chair difforme, sans compter les activités morbides de son Nécromant de compagnon, elle était régulièrement prise de haut-le-cœur. D’aucun diront que l’on s’habitue à tout. Et ce n’est pas entière faux, puisque Cynaris s’accoutuma somme toute assez vite de ces journées passés en compagnie des mort-vivants.


En revanche, elle ne se faisait toujours pas à l’ennui. Elle s’asseyait le matin à quelques dizaines de pas de la cage, puis regardait faire Traherne. Rapidement, elle sombrait dans le sommeil, laissant son corps fondre dans la mouvance du sable corrompu. Elle s’éveillait lorsque les cobayes criaient trop. Souvent, elle entreprenait alors de croquer leurs portraits dans le sable et souvent, tous les portraits ressemblaient à Traherne.
Ce dernier ne pouvant guère communiquer avec elle durant ses études, elle allait vagabonder un peu, mais jamais trop loin, de peur qu’une horde de créatures ne l’assaillent, comme l’avait avertie le Sylvari. Si ce dernier expérimentait, d’ailleurs, elle n’était pas en reste et se livrait également à toutes sortes d’études magiques, entraînant ses faibles pouvoirs jusqu’à ce que ceux-ci ne deviennent, non pas puissants, mais du moins relativement peu ridicules. Elle n’en fait guère usage que contre les rochers, les algues échouées et les crabes cavaliers qui s’aventurent jusque sur sa petite parcelle de sable.
Cet usage limité la rend cependant excessivement fière d’elle. Qu’elle soit capable d’accomplir quelque chose par elle-même, peu importe l’envergure de ce quelque chose, est un pas gigantesque dans sa jeune vie. Parfois, lorsqu’elle se concentre sur ses sorts, Traherne l’observe du coin de l’œil, comme un père amusé contemple son enfant qui essaye de faire entrer un objet cubique dans une ouverture ronde. Il ne pense pas vraiment que Cynaris soit un fardeau. Elle lui apporte un peu de cette fraîcheur qui caractérise les jeunes et qui manque temps à son monde de ténèbres.


C’est à force de regards en coin qu’il finit par percevoir l’ennui qui suinte par tous les pores de la jeune pousse. Si les capacités d’observation de Traherne ne sont plus à démontrer lorsqu’il s’agit de ses sujets d’étude, il faut avouer qu’il fait preuve d’une absence totale de finesse psychologique lorsqu’il s’agit de ses paires. La preuve en est qu’il lui faut six longues journées pour se rendre compte que Cynaris tourne en rond comme un poisson dans un bocal, sauf qu’elle ne peut pas respirer sous l’eau. Elle suffoque. Elle lui apporte une bouffée d’air requinquant, mais en retour il aspire tout ce qui la rend si vivante.
La conclusion s’impose d’elle-même : il faut qu’elle puisse s’éloigner de la cage. Mieux encore, il faut qu’elle se sente obligée d’être loin de la cage, sans quoi il redoute que son sens du devoir – et son devoir n’est-il pas de rester auprès de lui ? – ne reprenne le dessus. Aussi au début élabore-t-il des plans rationnels quoique ponctuels pour l’obliger à s’éloigner.
Il l’envoie au camp Asura chercher des instruments scientifiques et elle en revient au comble de l’excitation. Il la prie d’aller les ravitailler en nourriture fraîche dans un bourg humain non lointain et elle en revient avec moult anecdotes qu’elle meurt visiblement d’envie de lui raconter sans pour autant le faire. Un jour, il va même jusqu’à l’équiper d’un respirateur aquatique afin qu’elle plonge cueillir des algues « indispensables » à la préparation de sa prochaine potion. Malgré l’eau très fraîche, Cynaris barbote plus longtemps que de raison et ressort finalement avec, en plus des algues demandées, les bras chargés de plantes aquatiques en tout genre et même quelques poissons malchanceux. Elle détaille leurs couleurs tant qu’il fait jour, puis propose d’en faire des grillades le soir venu.


Bien sûr, cette mascarade aussi, n’a qu’un temps. L’excitation qui précède et suite chaque sortie de Cynaris se mue lentement en un tout autre sentiment. Elle voit bien que Traherne cherche à l’éloigner du lieu de ses expériences. Alors, quoi ? Elle aurait fait quelque chose de mal ? Sa compagnie est finalement aussi déplaisante qu’elle se le figure ? Elle ne veut déranger personne et ne cherche jamais qu’à être plaisante. Certes, elle comprend que sa nature frivole, voire franchement naïve, peut agacer son aîné.
Il faut savoir accepter un certain nombre de réalités quant à son propre caractère et Cynaris accepter celui-ci qu’elle est impulsive, bavarde et inconsciente des réalités. Ce qui, en soit, est simplement synonyme de sa jeunesse. Traherne a tout vu, tout vécu. Elle, elle n’en est qu’au début de tout. Alors elle pense qu’il est de son devoir d’apprendre à vivre, à savoir vivre mieux, comme lui, pour pouvoir rester à ses côtés. Et dorénavant, c’est elle qui demande à s’éloigner de la cage.
« J’aimerais retourner au village humain et m’y acheter un peu de tissu, demande-t-elle un matin au Nécromant.
- Vous êtes libre de vos mouvements, Heva, répond-il en cachant son soulagement, n’ayant aucune raison particulière de l’envoyer au loin. Mais pourquoi ce soudain besoin de tissu, si je puis me permettre ?
- J’aurais voulu une chemise rouge, pour aller avec le manteau qui m’a été offert, admet-elle. Est-ce que je pourrai… ? »
Traherne lui tend une bourse en souriant. L’or n’est pas un souci pour le Premier-Né, qui est généreusement rémunéré par le Prieuré et les Veilleurs réunis pour ses différentes activités. Ce qu’il ignore en revanche, c’est que son geste est le premier d’une longue série de gestes semblables. Car Cynaris aime les jolies choses mais ne comprend guère la notion d’argent. Et qu’elle saura toujours trouver une âme trop bonne pour ne pas céder à sa passion des belles parures…


La voici en chemin vers le village, une bourse et sa dague à la ceinture, le luxueux manteau rouge sur ses épaules, et son éternel air enfantin accroché au visage comme une pancarte appelant tous les voyous des alentours à lui dérober son or. L’effet est presque immédiat et, alors qu’elle n’est plus très loin de l’entrée du bourg et rêvasse à son futur accoutrement, un petit groupement d’humains mal intentionnés l’aperçoit.
On pourra bien entendu les juger autant qu’on le voudra, et Cynaris ne sera pas d’ailleurs la dernière à le faire, mais souvenons-nous que les temps sont rudes pour les hommes de Kryte. Elle le saura plus tard, quand elle connaîtra de l’intérieur, ce que peut être la misère du Promontoire Divin. Mais pour l’instant, elle n’a que quelques semaines et ignore ce qu’est le besoin ou même le vol. Aussi, lorsque sort d’un fourré au bord de la route un bougre amaigris qui l’incite d’un signe de l’index à s’éloigner du chemin balisé, c’est en toute confiance et pleine de sa curiosité naturelle que la Sylvarie va à sa rencontre.


Traherne a toujours pensé avoir davantage appris de ses erreurs que de ses succès, et que c’est en chutant qu’il était parvenu à marcher droit. Sans doute aurait-il été sage de partager cette sagesse avec la Jeune Pousse lui servant de compagne. Puisque c’est bien une erreur qu’elle commet en rejoignant le brigand à l’écart de la route. Elle se rend vite compte qu’il n’est pas seul et que deux individus, tout aussi pouilleux que lui, les attendent.
Très vite, ils l’encerclent, la toisent. Cette bourse m’a l’air bien garnie…Bon sang, j’ai des envies de côte de bœuf qui me démangent rien qu’à y penser, songe l’un, salivant. Ce manteau est d’une bien belle étoffe, lourde, résistante ! Il tiendrait chaud à Gudule tout l’hiver ! espère l’autre. La troisième choppe de bière était peut-être de trop, conclut lucidement le troisième, en titubant.
Cynaris, elle, ne comprend pas ce qu’on lui veut. Elle repère que deux hommes sont armés de couteaux et le troisième d’une épée. Naïve sans être idiote, elle se doute bien que cette réunion impromptue n’a rien d’un comité sympathique de bienvenue.
« Que puis-je pour vous, humains ? demande-t-elle, avant de poursuivre, n’ayant reçu aucune réponse à part quelques œillades incrédules face à la candeur d’une telle demande : Mon nom est Cynaris et je suis en mission auprès de…
- Par les dieux, faites taire la plante verte et prenez-lui sa bourse, qu’on en finisse ! beugle mollement l’humain ivre.
- Ma bourse ? s’étonne la Sylvarie. Mais…pourquoi ?
- Pourquoi, elle demande pourquoi ? s’offusque le gourmand. Je vais te dire pourquoi, fillette : parce que j’ai pas mangé depuis deux jours, voilà pourquoi. Même que j’ai si faim que si t’étais comestible, je te boufferais ! »


L’idée fort déplaisante de devenir le met d’autrui – idée qui s’accompagne de moult illustrations diverses, tel le perturbant fantasme d’être ligotée dans une assiette géante puis dépiautée au couteau – laisse Cynaris interdite un bon moment. Altruiste qu’elle est, elle songe aussi qu’il faut avoir fort faim pour vouloir la manger. Ces pauvres diables doivent connaître de grandes souffrances et de nombreux gargouillements !
Pendant qu’elle se perd dans de telles réflexions, celui des agresseurs qui a exprimé son intention de la manger, s’impatiente et tire sa dague.
« Non, non, rangez ça ! » l’exhorte-t-elle. Et de tendre sa bourse : « Prenez-la, si vous avez tellement faim ! »
Il lui arrache presque des mains, la soupèse, sourit. Une bourse bien pleine, comme sa panse dans quelques heures. L’ivrogne ricane bêtement à ses côtés. Lui doit rêver à un tonneau rempli d’une bière brune et mousseuse, assez forte pour qu’il perde conscience après le premier litre.
Mais tandis que ses comparses ne voient pas plus loin que les confins des leurs estomac et foie, le pragmatique, lui, continue de penser à l’hiver qui approche.
« Dis-donc, feuille morte, il a l’air sacrément chaud ce manteau ! J’en connais qui ont froid en hiver… » lance-t-il en pensant à la joie de Gudule lorsqu’il lui apportera un tel habit.
L’altruisme de Cynaris a cependant ses limites. Elle a tout d’abord du mal à se sentir compatissante vis-à-vis de quelqu’un se plaignant du froid hivernal, étant donné qu’elle n’a jamais connu d’hiver. Ensuite, lorsqu’il s’agit de donner un objet sans grande valeur comme une bourse remplie de pièces, pourquoi pas. Mais s’il s’agit d’offrir à des inconnus son manteau, celui-là même qui lui a été offert avant son départ du Bosquet, celui-là même qui, plus qu’un objet de parure superficiel, incarne son appartenance à un peuple, qu’elle sait si fragile. Céder son manteau, ce serait céder un symbole, en plus d’un objet d’une grande beauté, qui n’appartient qu’à elle.


Doucement, elle se met à faire non de la tête. Alors le pragmatique dresse sa dague, qui jusque-là pendait au bout de son bras ballant. Ses compagnons, dans un élan de solidarité idiote,  l’imitent. Cynaris est à présent cernée par les lames. Si les chairs ne sont pas en plein putréfaction, elle reconnaît ce même regard vide que chez les mort-vivants. Elle se les figure, ces cadavres hagards, et elle songe qu’elle les hait plus que tout.
Elle les hait de venir pourrir le sable de la côte. Elle les hait de sentir si mauvais qu’elle en est malade. Elle les hait d’accaparer Traherne. Et elle les hait de l’avoir éloignée, elle, du Bosquet. S’ils n’avaient pas existé, elle pourrait être parmi les siens et s’épanouir comme n’importe quel Sylvari.
Au lieu de quoi, elle ne connait que solitude et désolation. Elle ne sait pas encore quelle vie elle veut, mais elle sait qu’elle ne peut pas rester aussi seule.
Toutes ces pensées refoulées se canalisent en elle et la mettent en colère. Du moins, est-ce ce qu’elle identifie comme tel, car elle n’est pas de ceux que la rage gagne facilement. Pourtant maintenant que ces trois armes sont brandies vers elle, elle n’a qu’une seule envie : en découdre.

Oui, soudain, Cynaris a envie de se battre.
Cynaris
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